Résumé :
La Cour d’appel infirme le jugement du juge des enfants et confie l’intéressé, mineur et isolé, au département des Côtes d’Armor.
La CA souligne tout d’abord qu’aucun document présenté par l’intéressé n’a été considéré comme frauduleux.
S’il est fait grief aux documents produits (jugement supplétif, extraits du registre des actes de l’état civil, copie intégrale d’acte de naissance) de comporter une date de délivrance en chiffres et non en lettres, la CA retient que les art. 17 et 31 du code de l’Etat civil ivoirien visent la date d’établissement de l’acte et non sa date de délivrance. En outre, la date de décès de l’un des parents n’a pas à y figurer. Ces dispositions ne s’appliquent par ailleurs pas au jugement supplétif dont l’authenticité n’est pas remise en cause. Enfin, l’intéressé produit un passeport biométrique délivré par autorités ivoiriennes qui confirment l’identité arguée.
Ces documents bénéficient ainsi de la présomption prévue à l’art. 47 du code civil.
De plus, la CA écarte les appréciations (soulignées comme éminemment subjectives) de l’évaluation sociale qui ne respecte pas les garanties relatives à la pluridisciplinarité, à la qualification des évaluateurs et à l’interprétariat (art. R 221-11 du CASF et arrêté du 20 novembre 2019).
La CA souligne également que les incohérences et imprécisions du récit sont compréhensibles dans un contexte de parcours migratoire douloureux, de nature à occasionner des pertes de mémoire voire des traumatismes psychologiques.
Enfin, elle rappelle que les conditions d’obtention douteuse d’un acte de l’état civil ne suffisent pas à écarter celui-ci comme non probant au sens de l’art. 47 du code civil (1ere Civ 6 juillet 2022 pourvoi 22-12.506).
Extraits de l’arrêt :
« […].
En l’espèce, aucune des pièces produites par le jeune n’a été considérée comme frauduleuse ; le ministère public n’a pas remis en cause leur authenticité.
Il est fait grief que la date de délivrance est en chiffres et non en lettres ce qui serait contraire aux articles 17 et 31 de code de l’Etat civil ivoirien.
Concernant le non respect des articles 17 et 31, ce n’est pas la date de délivrance qui est visée par ces articles mais la date de l’établissement de l’acte qui doit figurer en lettres, ce qui est le cas des extraits et copie intégrale.
La mention du décés de l’un des parents n’a pas à y figurer et ne remet pas en cause leur authenticité.
Mais ces dispositions ne s’appliquent pas au jugement supplétif dont l’authenticité n’est pas remise en cause ;
En effet en procédant à la vérification de l’authenticité du jugement, le juge ne peut procéder à une révision au fond en substituant sa propre appréciation à celle, motivée, du juge étranger (1re Civ., 30 septembre 2020, pourvoi n°19-17.995).
Le jugement est exécutoire et son bien fondé ne peut être remis en cause par une juridiction française sauf à prouver son caractère frauduleux, ce qui n’est pas le cas.
Ce jugement supplétif tient lieu d’acte de naissance et constitue donc le document socle de nature à fonder l’état civil.
La production du passeport dont il n’est pas démontré le caractère frauduleux démontre que M.A est reconnu officiellement comme un ressortissant ivoirien mineur par les autorités ivoiriennes qui confirment la même identité que celle de son acte de naissance.
Les actes produits bénéficient donc de la présomption édictée par l’article 47 du code civil. M. A prouve sa minorité.
L’évaluation sociale :
Les appréciations éminemment subjectives des deux évaluateurs dont les qualifications sont ignorées, sans caractère de pluridisciplinarité, ôtant ainsi tout crédit à cette "évaluation", et dans un entretien mené en français alors qu’il parlait le bambara, ne peuvent être retenues.
Si le récit du jeune a pu comporter des incohérences et imprécisions, elles sont compréhensibles dans un contexte de parcours migratoire douloureux, de nature à occasionner des pertes de mémoire inévitables voire des traumatismes psychologiques avec amnésies totales ou partielles et en tous cas des imprécisions ou incohérences de récit dans les entretiens.
Il sera rappelé que les conditions d’obtention douteuse d’un acte de l’état civil (déduites des seuls déclarations incohérentes de l’intéressé) ne suffisent pas à écarter celui-ci comme non probant au sens de l’article 47 du code civil (1ere Civ 6 juillet 2022 pourvoi 22-12.506).
Ainsi, l’apparence, l’attitude et l’impression de maturité dans le comportement de M.A telles qu’évaluées par les services des Côtes d’Armor sont bien trop subjectives, en l’absence de renvoi précis à un élément qui s’avèrerait particulièrement remarquable, pour pouvoir emporter renversement de la présomption de l’article 47 du code civil.
[...]. »
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