Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – Cinquième section – Affaire W.S. c. Grèce – Arrêt du 23 mai 2024 – Conditions de vie et conditions de détention au sein d’un commissariat d’un mineur non accompagné en Grèce – Violation de l’article 3 de la CESDH (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants)

Résumé :

Faits et procédure

Le requérant, mineur non accompagné demandeur de protection internationale, est resté plusieurs semaines en Grèce, livré à lui-même, sans bénéficier d’aucune prise en charge malgré sa demande en ce sens. En vertu de l’art. 39 de son Règlement ("mesures provisoires"), la Cour a demandé aux autorités grecques de transférer le requérant dans un logement offrant des conditions d’accueil compatibles avec l’art. 3 de la Convention.

Les autorités grecques ont alors demandé au requérant de se présenter au commissariat le plus proche, ce qu’il a fait avant d’être transféré dans un second commissariat où il a été placé en garde à vue (régime de la « garde protectrice ») durant plus de deux semaines. Une nouvelle demande au nom du requérant, alors en grande détresse psychologique, a été adressée à la Cour qui a demandé au gouvernement grec (toujours en vertu de l’art. 39) de prendre toute mesure de nature à garantir au requérant une assistance médicale et psychiatrique appropriée et de veiller à ce qu’il soit hébergé dans un environnement compatible avec son état de santé.

Il a alors finalement été transféré dans une structure d’hébergement adaptée à sa situation.

Le requérant soutient que les articles 3, 8 et 34 de la CESDH ont été violés.

Décision :

La Cour conclut à la violation de l’article 3 de la CESDH.

Elle rappelle en effet qu’elle a déjà conclu à la violation de cet article dans des affaires similaires, au regard des conditions de vie de demandeurs d’asile, notamment MNA, livrés à eux-mêmes en Grèce, ainsi qu’en raison des conditions de leur détention lors de leur placement en "garde protectrice" au sein de commissariat de police (voir en ce sens : M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09, 21 janvier 2011 ; Rahimi c. Grèce, n°8687/08, 5 avril 2011 ; Al. K. c. Grèce, n°63542/11, 11 décembre 2014 ; Sh.D. et autres c. Grèce, Autriche, Croatie, Hongrie, Macédoine du Nord, Serbie et Slovénie, n°14165/16, 13 juin 2019 ; H.A. et autres c. Grèce, n°19951/16, 28 février 2019). En l’espèce, le Gouvernement grec n’expose aucun fait ni argument impliquant une conclusion différente.


Voir également : Cour européenne des droits de l’Homme – Arrêt du 23 janvier 2024 - O.R. c. Grèce


Extraits de l’arrêt :

« […].

24. La Cour rappelle tout d’abord qu’elle a déjà constaté que les Etats situés aux frontières extérieures de l’Union européenne rencontrent des difficultés considérables pour faire face à un flux croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Toutefois, vu le caractère absolu de l’article 3, cela ne saurait exonérer un Etat de ses obligations au regard de cette disposition (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 223, CEDH 2011).

25. La Cour rappelle également qu’elle s’est déjà penchée sur les conditions d’existence en Grèce de demandeurs d’asile qui étaient livrés à eux-mêmes et avaient vécu pendant de longs mois dans une situation de dénuement extrême (M.S.S., précité, §§ 263-264, Rahimi c. Grèce, no 8687/08, §§ 92-94, 5 avril 2011 et Al. K. c. Grèce, no 63542/11, §§ 59 et 62, 11 décembre 2014).

26. La Cour réaffirme en outre, qu’elle a déjà eu à connaître, à plusieurs reprises, des affaires relatives aux conditions de détention de mineurs non accompagnés demandeurs d’asile placés en "garde protectrice" dans des commissariat de police en Grèce (Sh.D. et autres c. Grèce, Autriche,
Croatie, Hongrie, Macédoine du Nord, Serbie et Slovénie, no 14165/16, §§ 48-51, 13 juin 2019, H.A. et autres c. Grèce, no 19951/16, §§ 166-170, 28 février 2019).

27. La Cour relève que ces considérations sont pertinentes dans les circonstances de la présente espèce. Elle note, en particulier, que les autorités ont été informées de la situation particulière du requérant et notamment du fait qu’il était un mineur non-accompagné sans logement stable, sans accès aux produits de première nécessité et sans tuteur légal permanent à tout le moins depuis le 17 décembre 2019, date à laquelle il a déposé sa demande protection internationale […]. Cependant, ce n’est que le 23 janvier 2020 que le requérant a été placé dans une structure d’hébergement adaptée à sa situation personnelle […], soit un mois et sept jours au total après sa demande. Du 17 décembre 2019 au 4 janvier 2020, le requérant a été livré à lui-même, avant d’être placé, du 5 janvier 2020 au 22 janvier 2020, en "garde protectrice" au commissariat de police […].

28. La Cour rappelle qu’elle a conclu, dans des affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 3 de la Convention, en raison des conditions de vie inadéquates des mineurs non accompagnés livrés à eux-mêmes en Grèce, ainsi qu’en raison des conditions de leur détention lors de leur placement en "garde protectrice" aux commissariats de police (voir paragraphes 25 et 26 respectivement).

29 Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente en l’espèce de celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

[…]. »


Voir l’arrêt en PDF :

CEDH - Affaire W.S c. Grèce
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