Résumé :
Faits
Le Comité a été saisi de la situation d’un mineur isolé étranger, demeuré plusieurs mois en France sans faire l’objet d’aucune prise en charge, et ce malgré des décisions du juge des enfants et du tribunal administratif enjoignant au département de procéder à sa mise à l’abri.
L’évaluation sociale dont il a par la suite fait l’objet a conclu à sa majorité, sans qu’il soit accompagné par un représentant et sans que l’acte de naissance original présenté ne soit pris en compte. Le juge des enfants a par la suite mis fin à sa prise en charge (notamment au regard des conclusions de cette évaluation et d’un rapport d’analyse documentaire soulignant que l’acte de naissance produit n’était pas accompagné d’une traduction). L’intéressé s’est alors de nouveau retrouvé à la rue.
Le jugement de juge des enfants a été confirmé par la Cour d’appel, et ce sans qu’une analyse documentaire des nouveaux documents présentés n’ait été ordonnée et sans que les autorités pakistanaises n’aient été sollicitées.
L’intéressé a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision et a saisi le Procureur de la République afin qu’une analyse documentaire soit menée et que sa mise à l’abri soit prononcée dans cette attente. Sa mise à l’abri a également été de nouveau sollicité auprès du Conseil départemental.
Recevabilité de la communication :
Le Comité constate que la communication de l’auteur est recevable. Concernant l’épuisement des voies de recours internes, le Comité estime notamment que si le recours en cassation était toujours pendant à la date de la présentation de la communication, le recours dans le cadre d’une procédure de détermination de l’âge, tel que prévu en France, ne peut être considéré comme utile au regard des délais non raisonnables dans lesquelles les autorités judiciaires (notamment la Cour de cassation) statuent, du caractère non suspensif de la procédure et de l’absence d’adoption de mesures provisoires en faveur de l’intéressé pendant l’examen de sa demande.
Sur le fond :
Le Comité constate que la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’intéressé a été soumis a entraîné une violation des articles suivants de la Convention internationale des droits de l’enfant :
- Articles 3 (principe de l’intérêt supérieur de l’enfant) et 12 (droit d’exprimer librement son opinion)
Le Comité constate que la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’intéressé a été soumis n’a pas été assortie des garanties nécessaires et a entraîné une violation de ces articles, notamment au regard de :
• L’évaluation sommaire dont il a fait l’objet par le département, hors présence d’un.e avocat.e.
Le Comité rappelle à cet égard que ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés (ce qui n’est pas le cas en l’espèce) que les Etats doivent procéder à une évaluation complète de l’âge de la personne concernée et qu’en cas d’incertitude persistante, le doute doit bénéficier à l’intéressé.
• L’absence d’accompagnement par un représentant durant la procédure administrative.
A cet égard, le Comité rappelle que la France est tenue d’assurer, le plus rapidement possible, à toute personne se présentant comme mineure l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié sous peine de violer les art. 3 et 12 de la CIDE.
• L’absence de caractère suspensif des recours alors que le droit de faire appel d’un refus de prise en charge avec effet suspensif doit être garanti aux enfants.
• L’absence de valeur probante accordée à ses documents sans même que la France n’ait contesté leur validité et alors même que les documents d’identité doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire.
A cet égard, le Comité rappelle qu’un Etat partie ne saurait agir dans un sens contraire à ce qu’établit un document d’identité original et officiel sans en avoir officiellement contesté la validité. En outre, la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement au mineur, d’autant qu’il ne jouit pas du mêmes accès aux éléments de preuve de l’Etat qui est souvent le seul à disposer des informations pertinentes.
- Article 8 (droit de l’enfant de préserver son identité)
En considérant que les documents présentés n’avaient aucune valeur probante, sans que leur validité n’ait été dûment contestée, le Comité conclut que la France a violé l’art. 8 de la CIDE.
- Articles 20 (droit d’obtenir une protection et une aide spéciales de l’Etat) 37 (a) (droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants)
Le Comité conclut à la violation par la France des articles 20 et 37(a) de la CIDE au regard de l’absence de prise en charge de l’intéressé qui a été contraint de vivre à la rue. Il rappelle l’obligation de protection des Etats parties à l’égard de tout enfant isolé et le fait que les personnes se déclarants mineures doivent se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme des enfants durant toute la procédure de détermination de l’âge.
Le Comité précise également que les enfants ne sont pas tenus de solliciter explicitement des mesures provisoires de protection durant cette procédure puisqu’il s’agit d’une obligation des Etats.
- Article 28 (droit de l’enfant à l’éducation)
Du fait de la remise en cause de sa minorité, l’intéressé a été exclu de l’accès à l’éducation en violation de l’art 28 de la CIDE.
A cet égard, le Comité rappelle que les obligations de la France découlant du droit à l’éducation s’applique à tous les enfants jusqu’à 18 ans, et ce quel que soit l’âge prévu pour l’enseignement obligatoire (16 ans en France).
Le Comité constate également que la France a violé l’article 6 du Protocole facultatif en s’abstenant d’exécuter la mesure provisoire prononcé par le Comité (visant à sa mise à l’abri).
Le Comité demande ainsi à la France d’assurer une réparation effective des violations subies par l’intéressé.
Surtout, il demande de nouveau à la France de veiller à ce que de telles violations ne se reproduisent pas en :
- Mettant en conformité la procédure de détermination de l’âge avec la Convention, ce qui implique notamment que :
• Les documents soient pris en considération et leur authenticité reconnue lorsqu’ils ont été établis, ou leur validité confirmée par les autorités du pays du pays qui les a émis ;
• Un représentant légal qualifié ou d’autres représentants soient désignés sans délai et à titre gratuit et soient autorisés à les assister tout au long de la procédure et que les avocats désignés pour représenter les mineurs soient reconnus.
- Assurant la protection des personnes se présentant comme mineures dès leur entrée sur le territoire et pendant toute la procédure en reconnaissance la présomption de minorité.
- Simplifiant les procédures, reconnaissant leur caractère suspensif et assurant qu’une décision finale soit prise dans un délai raisonnable.
La France être tenue de transmettre au Comité des informations sur les mesures prises pour donner effet à ces constatations dans un délai de 180 jours.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la décision S.E.M.A contre France du 25 janvier 2023. A noter que le Comité apporte toutefois ici des précisions quant aux garanties à mettre en œuvre pour assurer la conformité avec la CIDE de la procédure de détermination de l’âge :
- Reconnaissance du rôle de l’avocat.e aux côtés du mineur lors de l’évaluation ;
- Reconnaissance expresse de la présomption de minorité (principe découlant déjà des exigences précédemment dégagées par le Comité – mais ici affirmée de façon d’autant plus explicite) ;
- Simplification des procédures, qui doivent avoir un caractère suspensif et garantir la prise de décision finale dans un délai raisonnable.
Il est également intéressant de noter que le Comité soulève ici d’office la violation de l’art 37 (a) de la Convention au regard des conditions de vie de l’intéressé, en situation de rue, ne bénéficiant d’aucune protection dans un contexte d’épidémie du Covid-19.
Voir la décision en PDF :