Rapport inter-associatif - Le revers de la médaille | “Circulez, y’a rien à voir” : 1 an de nettoyage social avant les JOP 2024

Source : Le revers de la médaille
Date de publication : Juin 2024

Voir le rapport en ligne : www.lereversdelamedaille.fr


Extraits du rapport (p.53 à 60) :

« 4. Invisibilisation et harcèlement des mineurs non accompagnés “en recours” à Paris

Les expulsions régulières des campements des mineurs non accompagnés (MNA) en recours”, en grande partie situés sur les berges de la Seine, ont été un des exemples les plus criants du nettoyage social effectué en vue des JOP.

☛ Entre février et mai 2024 à Paris, 828 jeunes se sont fait expulser de leurs lieux de vie, sans que ne leur soit proposée une solution de mise à l’abri. Ces opérations, qui ne résolvent donc pas le problème de l’hébergement de ces jeunes, se répètent régulièrement, et touchent parfois les mêmes personnes plusieurs fois ce qui crée un phénomène perçu comme du harcèlement.

“Ils nous chassent de partout où on va. Ils ne veulent pas nous voir en France. (...) On a l’impression qu’ils veulent pas de nous ici, ça fait des mois qu’on dort dehors dans la rue, on est comme des animaux.”

témoignage d’un jeune dormant au Pont-Marie, retranscris du français, collecté le 06 mars 2024 par la Veille Sanitaire de Médecins du Monde Paris.

☛ Pour rappel, après que la reconnaissance de minorité leur ait été refusée par le conseil départemental sur la base d’une évaluation sociale effectuée par l’AMNA (Accueil des Mineurs Non Accompagnés), dispositif d’évaluation parisien, ces jeunes ont formé un recours contre la décision de refus en saisissant un·e juge des enfants.

☛ Dans l’attente de leur convocation par le ou la juge des enfants et de la décision statuant sur leur minorité, les jeunes ne sont ni pris·es en charge par l’Aide sociale à l’enfance, ni par le dispositif national d’accueil réservé aux demandeur·ses d’asile adultes ou mineur·es accompagné·es. Or, le délai d’attente pour une audience varie considérablement selon les départements, allant de quelques semaines à plusieurs mois. Ces mineur·es se retrouvent ainsi durant plusieurs mois, voire années, sans protection officielle et sans solution d’hébergement, contraint·es de dormir dans la rue.

☛ Concernant les jeunes garçons “en recours”, la Mairie de Paris et la Préfecture n’organisent qu’occasionnellement leur mise à l’abri provisoire dans des centres d’hébergement souvent inadaptés. Contraints la plupart du temps à vivre dans la rue, les jeunes tentent de trouver une place où installer leur tente sur un lieu fixe, ce qui permet également aux associations, faute de lieux dédiés, d’organiser des distributions alimentaires, de prodiguer les soins et l’appui juridique dont ils ont besoin. Alors que depuis plusieurs années les jeunes filles MNA bénéficiaient d’une mise à l’abri le temps de leurs recours, car elles sont considérées comme particulièrement vulnérables, la Ville de Paris a arrêté d’organiser tout dispositif d’hébergement à partir de juillet 2023. Les associations de notre collectif sont depuis ce jour en contact avec en moyenne 30 jeunes filles en recours de minorité qui survivent à la rue.

☛ À Paris, ces jeunes qui n’avaient en outre pas accès aux structures d’accueil de jour pour les personnes exilées réservées aux majeur·es ont pu finalement accéder au cours de l’année 2023 aux Espaces de Solidarité Insertion. Toutefois, ces lieux se sont révélés inadaptés à leur situation. Ainsi, au-delà de l’absence de solution d’hébergement, trop peu de lieux d’accueil de jour permettent aux jeunes de se nourrir, de charger leur téléphone, de se reposer quelques heures.

Dans un contexte de pression policière constant sur les jeunes “en recours”, l’année précédant les JOP a été marquée par l’accélération de la politique d’expulsion des lieux publics : les opérations d’expulsions sèches sont devenues plus récurrentes et d’autant plus violentes depuis que les jeunes se sont installés sur les berges de Seine, lieu de la cérémonie d’ouverture des JOP.

Entre avril et juin 2023, 600 jeunes ont dormi dans une école désaffectée dans des conditions insalubres.
Durant ces 3 mois, aucune solution d’hébergement ne leur a été proposée. Lorsqu’ils ont été remis à la rue, les jeunes se sont mobilisés devant le Palais Royal pour revendiquer leurs droits. Ils ont alors été violemment évincés par les forces de l’ordre durant cette occupation de l’espace public, et toujours sans aucune proposition de solution. Les jeunes ont ensuite pu trouver un lieu de regroupement au jardin Pali Kao, dans le 20e arrondissement de Paris, mais celui-ci a également fini par être évacué en octobre 2023, avec cette fois une mise à l’abri de 430 jeunes en CAES et plus de 100 jeunes restés sans solution.

☛ Au demeurant, les jeunes envoyés en CAES ont rapidement été sortis du dispositif pour avoir refusé de démarrer une procédure de régularisation pour adultes.
En effet, les CAES permettent d’offrir un hébergement de transition en urgence et d’examiner sur place avec l’aide de l’OFII et de la préfecture les situations administratives des exilés adultes accueillis et ainsi procéder à une orientation adaptée. Ces jeunes ont donc été mis à l’abri dans une structure pour adulte inadaptée à leur situation, de sorte qu’il leur a été proposé soit d’intégrer un parcours de demande d’asile adulte, soit de déposer une demande de titre de séjour pour adultes, ces deux choix impliquant d’abandonner leur recours en cours devant le juge pour enfants. Les jeunes ont donc été remis à la rue sans solution, après avoir été soumis à un processus déloyal de tentative de modification de leur recours, sans avoir été informés au préalable des conséquences d’un tel changement.

☛ Le même processus de proposition d’envoi au sein de structures inadaptées à la situation des jeunes a été de nouveau employé à plusieurs reprises en 2024 par les agents de la Préfecture d’Île-de-France qui conseillent avec insistance et parfois en donnant des informations mensongères aux jeunes d’accepter la délocalisation dans des SAS régionaux, alors que les jeunes n’y seront ni pris en charge, ni même accueillis pour une nuit. Les seuls jeunes en recours ayant accepté de se rendre au SAS de Rouen à la suite de l’expulsion du 9 avril 2024 du square Coquoin dans le 16ème arrondissement de Paris n’ont en effet même pas pu entrer dans le SAS et ont dû rejoindre Paris par leurs propres moyens.

Des campements se sont ensuite formés sur les quais de Seine, lieu phares des JOP.
Les lieux d’expulsion en 2024 se sont donc regroupés principalement autour de la Seine.

[...].

Ces exemples d’opérations d’évacuation témoignent en effet de cette volonté de disperser pour invisibiliser les jeunes MNA et les pousser en dehors de l’espace public pendant les JOP, et en particulier des berges de la Seine “considérées comme un élément phare des Jeux Olympiques et Paralympiques”.

L’invisibilisation à tout prix de ces jeunes, à défaut d’une prise en charge digne et adaptée, aura de graves conséquences.

☛ Les résultats d’une enquête réalisée par Action contre la Faim et 3 autres associations fin 2023 auprès de 128 jeunes font état d’une situation alarmante : 95 % des jeunes interrogés dorment à la rue ou dans un campement, 92% d’entre eux sont en situation de faim modérée à sévère et 35% ne savent pas comment accéder à une consultation médicale.

☛ Un autre impact de cette invisibilisation est l’éclatement spatial de ces jeunes qui sont désormais répartis sur plus de 20 lieux de vie différents, parfois avec des publics adultes, parfois seuls dans des parcs et souvent de plus en plus éloignés des associations.

☛ Cette situation provoque de graves problématiques de santé et de détresse psychique entraînant une grande vulnérabilité qui fait de ces jeunes, très souvent victimes de harcèlement policier, des cibles pour les réseaux d’exploitation ou de traite des êtres humains.

[...]. »


Voir le rapport en PDF :

Le revers de la médaille - 1 an de nettoyage social avant les JOP 2024
Retour en haut de page