Cour européenne des droits de l’Homme – Première section – Arrêt du 5 avril 2011 – Affaire RAHIMI c. Grèce – Conditions dans lesquelles un mineur isolé afghan a été détenu puis remis en liberté – Violation des articles 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), 13 (droit à un recours effectif) et 5§1 et §4 (droit à la liberté et à la sûreté) de la CESDH

Faits et procédure

Le requérant, mineur non accompagné de nationalité afghane, a été arrêté et détenu dans un centre de rétention lors de son arrivée sur l’île de Lesbos en Grèce, puis remis en liberté en vue de son expulsion.
Le requérant soutient une violation des articles 3 et 13 invoquant l’absence d’encadrement adapté à son âge mineur et l’absence d’accompagnement lors de son arrestation, incarcération puis remise en liberté. Il invoque également les conditions de détention, ainsi que sa détention avec des adultes.
De plus, le requérant soutient une violation de l’article 5§1, §2 et §4 en raison de l’absence de considération de son statut de mineur en séjour illégal, ainsi que du manque d’information des raisons de son arrestation et des recours envisageables.
Les autorités grecques, quant à elles, soutiennent que le mineur était accompagné par un cousin majeur et que la requête est irrecevable en raison du non-épuisement des voies de recours internes.

Décision :

La Cour conclut à la violation des articles 3, 13 et 5§1 et §4 de la CESDH.

La Cour relève des conditions de détention portant atteinte « au sens même de la dignité humaine ». Elle détaille les états des cellules surpeuplées, la situation sanitaire de centre de détention en question, l’insalubrité générale, ainsi que l’insuffisance en matière d’activités récréatives aux détenus. Par voie de conséquence, elle en conclut que les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu sont constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

Elle rappelle que les mineurs non accompagnés relèvent de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société et qu’il appartient à l’Etat de mettre en œuvre des mesures de protection à leur égard. En l’espèce, la Cour relève les omissions des autorités compétentes quant au suivi et à l’encadrement du requérant. Ainsi, l’indifférence des autorités grecques face à la situation d’extrême vulnérabilité du mineur non accompagné atteint le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention.


Extraits de l’arrêt :

« […].

66. Se penchant sur les faits particuliers de la cause, la Cour note tout d’abord qu’au moment où le requérant a demandé l’asile politique, à savoir le 27 juillet 2007, aucune mention à des membres de sa famille qui l’accompagnaient n’a été portée sur la fiche d’enregistrement de sa demande et dans la rubrique y relative. De plus, l’attestation délivrée en août 2009 par l’organisation non gouvernementale « Arsis » ayant pris en charge son hébergement, affirme que le requérant était arrivé à Athènes avec d’autres mineurs non accompagnés et que, selon ses dires, aucun adulte ne l’accompagnait. La même attestation relève qu’aucun tuteur, ni temporaire ni permanent, n’avait à ce jour été assigné au requérant. Au vu de ces éléments, la Cour considère que le requérant n’était pas accompagné d’un proche de sa famille à la date d’enregistrement de sa demande d’asile, à savoir le 27 juillet 2007, situation qui reste inchangée à ce jour.

[…]

73. La Cour se réfère enfin à sa considération ci-dessus relative à la situation du requérant pour la période allant du 27 juillet 2007 à ce jour. En effet, l’absence de tuteur pour une période aussi longue ne peut que conforter sa version pour la période antérieure. Au vu des éléments précédents, pris en considération à la lumière des rapports émis par des organismes internationaux et des organisations non gouvernementales sur le sujet en cause, la Cour estime que la thèse du Gouvernement, à savoir que le requérant était un mineur accompagné, n’est pas établie en ce qui concerne la période allant du 19 au 27 juillet 2007. La Cour considère donc le requérant, en ce qui concerne cette période litigieuse, comme un mineur non accompagné.

[…]

85. En somme, les éléments précités décrivent des conditions de détention qui se trouvaient manifestement en dessous des normes prescrites par les textes internationaux en la matière et, notamment, des exigences de l’article 3 de la Convention. La Cour prend également en compte de façon complémentaire les éléments suivants : en 2009, le CPT a qualifié d’« abominables » les conditions de détention au sein du centre de Pagani. En outre, dans son rapport publié en 2010, il a constaté que ledit centre « était insalubre au-delà de toute description et les conditions de détention pour certains, sinon pour tous les migrants en situation irrégulière, pourraient sans autre être qualifiées d’inhumaines et dégradantes » (voir paragraphes 30 et 31 ci-dessus). Sur ce point, la Cour accorde une importance particulière aux incidents violents qui ont eu lieu au sein du centre en 2009, en raison des piètres conditions de détention. Comme le relèvent Amnesty International et Médecins sans frontières, un grand nombre de détenus a entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions de détention et également des émeutes ont éclaté. Les rapports du CPT et de Médecins sans frontières affirment qu’en 2009 les autorités ont fermé le centre de rétention de Pagani (voir paragraphes 31 et 48 ci-dessus).

86. La Cour prend en compte l’argument du Gouvernement, à savoir que le requérant est resté détenu à Pagani pour une période très limitée de deux jours. Or, elle rappelle que l’appréciation du seuil minimum de gravité qu’un mauvais traitement doit atteindre pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention est relative par essence. Il dépend de l’ensemble des données de la cause (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 120, CEDH 2000 IV), et notamment de la nature et du contexte du traitement, de sa durée et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Price c. Royaume-Uni, no 33394/96, § 24, CEDH 2001-VII ; Mikadzé c. Russie, no 52697/99, § 108, 7 juin 2007). En l’espèce, la Cour ne perd pas de vue que le requérant, en raison de son âge et de sa situation personnelle, se trouvait en une situation d’extrême vulnérabilité. Il ressort du dossier que les autorités compétentes ne se sont aucunement préoccupées lors de sa mise en détention de sa situation particulière. De plus, les conditions de détention au centre de Pagani, notamment en ce qui concerne l’hébergement, l’hygiène et l’infrastructure étaient si graves qu’elles portaient atteinte au sens même de la dignité humaine. Par conséquent, elles s’analysaient, en elles-mêmes et sans prendre en considération la durée de la détention, en un traitement dégradant contraire à l’article 3.

87. Comme il a déjà été relevé, la situation du requérant se caractérisait par son jeune âge, le fait qu’il était étranger en situation d’illégalité dans un pays inconnu, qu’il n’était pas accompagné et donc livré à lui-même. Eu égard à la protection absolue conférée par l’article 3 de la Convention, il convient, selon la Cour, de garder à l’esprit que ces éléments sont déterminants en l’espèce et prédominent sur la qualité d’étranger en séjour illégal du requérant. Il relevait incontestablement de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société et il appartenait à l’Etat grec de le protéger et de le prendre en charge par l’adoption de mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 (voir Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, précité, § 55).

[…]

94. Au vu de ce qui précède, les circonstances de la cause amènent la Cour à conclure qu’en raison surtout des omissions des autorités compétentes quant au suivi et à l’encadrement du requérant, le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention a aussi été atteint en l’espèce en ce qui concerne la période postérieure à sa remise en liberté.

95. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que tant les conditions de détention auxquelles le requérant a été soumis au sein du centre de Pagani que les omissions des autorités de le prendre en charge, en tant que mineur non accompagné, suite à sa remise en liberté, équivalent à un traitement dégradant. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

[…]

109. Or, en l’occurrence, en ordonnant la mise en détention du requérant les autorités nationales ne se sont aucunement penchées sur la question de son intérêt supérieur en tant que mineur. De plus, elles n’ont pas recherché si le placement du requérant dans le centre de rétention de Pagani était une mesure de dernier ressort et si elles pouvaient lui substituer une autre mesure moins radicale afin de garantir son expulsion. Ces éléments suscitent des doutes aux yeux de la Cour, quant à la bonne foi des autorités lors de la mise en œuvre de la mesure de détention.

110. Cela est d’autant plus vrai que, comme la Cour l’a déjà constaté dans le contexte de l’article 3 de la Convention, les conditions de détention au centre de Pagani, notamment en ce qui concerne l’hébergement, l’hygiène et l’infrastructure étaient si graves qu’elles portaient atteinte au sens même de la dignité humaine. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la détention du requérant n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition.

[…]. »


Voir l’arrêt en PDF :

CEDH, 5 avril 2011, RAHIMI c. Grèce
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