Date de publication : 27.09.2024
Source : CNCDH
Déclaration adoptée lors de l’assemblée plénière du 26 septembre 2024 (Adoption à l’unanimité).
Voir en ligne : www.cncdh.fr
Texte de la déclaration :
« 1. Alors qu’un nouveau gouvernement vient de prendre ses fonctions, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) tient à rappeler l’importance pour la France d’exécuter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Dans la lignée de la Déclaration sur la remise en cause des engagements internationaux et européens de la France au prétexte de la politique migratoire, adoptée lors de l’assemblée plénière du 30 novembre 2023 par son assemblée plénière, la Commission insiste sur ce point, tant par fidélité aux engagements du pays en faveur des valeurs humanistes, de la démocratie et de l’État de droit qui ont présidé à l’élaboration de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH, ci-après « la Convention »), que pour garantir la pérennité du système européen de protection des droits de l’Homme.
2. La CNCDH tient à rappeler que la Convention a été adoptée quelques années après l’effondrement des régimes autoritaires responsables de violations majeures des droits de l’homme1. Ce texte incarnait alors la promesse d’un État de droit garant des droits et libertés des individus. La Convention s’applique pleinement en France, et s’impose ainsi aux pouvoirs publics, charge aux magistrats d’en assurer le respect en cas de contentieux. L’organe juridictionnel de la Convention, la CEDH, peut néanmoins être saisie par des justiciables, après épuisement des voies de recours internes, s’ils estiment être victimes d’une violation de la Convention. Ses arrêts s’imposent aux États mis en cause2.
3. Depuis 1981, la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour et s’est conformée, avec plus ou moins de célérité, à ses arrêts. Des pans entiers du droit français ont ainsi été modifiés, s’agissant par exemple des écoutes téléphoniques administratives, du régime de la garde à vue ou encore du traitement des enfants adultérins3. Quelques affaires impliquant la France n’ont pourtant toujours pas donné lieu à une exécution jugée satisfaisante par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe4. Sur des sujets dits « régaliens », tels que la situation des mineurs isolés étrangers ou les conditions de détention dans les prisons, les pouvoirs publics peinent à mener les réformes qui s’imposent pour garantir le respect effectif de la Convention5 [ Par exemple : CEDH, Khan c. France, arrêt du 18 février 2019 ; CEDH, 30 janvier 2020, J.M.B. et autres c. France, arrêt du 30 janvier 2020 ; CEDH, Moustahi c. France, arrêt du 25 juin 2020.]. Dans le domaine de l’expulsion, l’exécution d’un arrêt impliquant des relogements sur des terrains familiaux n’est toujours pas effective6. La CNCDH relève d’ailleurs que l’inexécution des arrêts favorise l’engorgement dont souffre depuis plusieurs décennies la CEDH, les problèmes non résolus donnant lieu inévitablement à des requêtes similaires.
4. Si la critique de la jurisprudence européenne revient périodiquement dans le débat public, en particulier à l’occasion d’une condamnation de la France ou lors des débats électoraux, les réactions du ministre de l’Intérieur intervenues l’an dernier ont illustré une remise en cause sans précédent de la Cour et de ses décisions. Pour la première fois, un membre du gouvernement en exercice a assumé publiquement le renvoi d’étrangers vers leur pays d’origine en méconnaissance de la jurisprudence de la CEDH. Pour rappel, celle-ci s’oppose toujours à ce type de mesure lorsqu’il existe un risque de torture dans le pays de destination7. Un mois plus tard, le 14 novembre 2023, le même ministre a décidé l’expulsion d’un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine alors que la Cour s’y était opposée. Par la voie d’une mesure provisoire8, la CEDH avait en effet fait savoir aux autorités françaises que tant qu’elle n’aurait pas statué sur le fond de l’affaire, cette personne ne devait pas être renvoyée dans ce pays, en raison des traitements inhumains et dégradants auxquels elle risquait d’y être exposée.
5. La CNCDH insiste sur le fait que le respect des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme est inconditionnel. Cela s’applique également aux mesures provisoires, comme l’a rappelé récemment le Comité des ministres du Conseil de l’Europe9. D’ailleurs, le Conseil d’État n’a pas tardé à reconnaître lui aussi, le 7 décembre 2023, que l’expulsion du ressortissant ouzbek vers son pays d’origine, « en violation de la mesure provisoire prescrite par la Cour européenne », constituait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale10.
6. En ces temps troublés, marqués partout en Europe par l’essor des mouvements populistes et par les critiques croissantes adressées à l’État de droit dans le débat public, la CNCDH appelle les autorités françaises à s’engager pleinement dans l’exécution des arrêts et des mesures provisoires de la Cour européenne des droits de l’Homme, assurant ainsi la promotion des valeurs humanistes, de la démocratie et de l’État de droit, fondements de la Convention européenne des droits de l’homme. Il y va de la crédibilité de nos institutions, tant sur le plan interne que sur le plan international. La remise en cause du caractère obligatoire de ses décisions ne porte pas seulement atteinte à l’autorité de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris à l’égard des autres États parties. Plus fondamentalement, elle compromet dangereusement le principe même de la prééminence du droit.
[...]. »
Déclaration en PDF :