Date de publication : Octobre 2024
Source : CESE
Rapporteurs : Josiane BIGOT et Elisabeth TOMÉ-GERTHEINRICHS
Voir en ligne : www.lecese.fr
Extraits (p.47 à 49) :
« PARTIE 03 Protéger efficacement les enfants
A. Protéger les mineurs non accompagnés sans discrimination
Dans ses observations finales sur les sixième et septième rapports combinés de la France, adoptées le 26 mai 2023, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a retenu comme sujet de préoccupation majeure la situation des enfants demandeurs d’asile et migrants et a affirmé que la France ne considère pas suffisamment l’intérêt supérieur de l’enfant comme un principe directeur, dans tout le processus d’évaluation initiale et les dispositions ultérieures.
Il relève en particulier :
- les pratiques arbitraires d’évaluation de l’âge avec l’utilisation continue de tests osseux et l’application discrétionnaire de la « minorité manifeste » ;
- l’accès insuffisant des enfants non accompagnés aux structures de protection de l’enfance, à la représentation juridique, au soutien psychologique, à l’assistance sociale, à la santé et à l’éducation ainsi qu’à l’hébergement.
Le comité demande à la France :
- d’aligner la procédure d’évaluation de l’âge sur le principe de la présomption de minorité et de donner à la personne la possibilité de contester le résultat de cette évaluation par le biais d’une procédure judiciaire. Pendant la durée de cette procédure, le jeune devrait se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant, et donc maintenu dans un système de protection de l’enfance ;
- de veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans toutes les décisions ;
- de garantir les ressources humaines, techniques et financières suffisantes sur l’ensemble de son territoire pour apporter un soutien spécialisé et spécifique aux enfants migrants non accompagnés.
Le CESE se réfère expressément à ces observations dans l’examen proposé de la situation actuelle des mineurs non accompagnés et les fait siennes.
Cette question des mineurs non accompagnés crispe très fortement les relations entre l’État, les départements et le secteur associatif autour du financement de leur accueil et de leur accompagnement. Les personnes se déclarant mineures doivent être accueillies d’urgence, dans des structures à la charge du département. Toutefois, l’État verse une contribution forfaitaire pour la mise à l’abri provisoire ainsi que pour l’évaluation de la minorité et de l’isolement. Celle-ci est effectuée au cours de l’accueil provisoire après un temps de répit déterminé par le président du conseil départemental.
Il est essentiel de rappeler que ces mineurs arrivent sur le territoire national après une histoire personnelle et familiale initiale complexe, un long parcours souvent sous la coupe de passeurs aux seuls intérêts financiers. Il leur faut un environnement sécurisant, une réelle prise en charge matérielle, sanitaire, éducative et psychologique avant de pouvoir exposer ce qui sera leur récit de vie, indispensable pour leur prise en charge. Ayant souvent fait l’objet de traumatismes multiples, on ne peut être surpris par des exposés parcellaires, souvent tronqués, la crainte justifiant bien des omissions ou des inexactitudes.
La réalité aujourd’hui de l’accueil ne repose trop souvent plus sur la bienveillance nécessaire.
C’est ainsi que la France a fait l’objet de condamnations à la suite de procédures de présentation de communications au nom de mineurs non accompagnés par le Comité des droits de l’enfant, pour manque d’accès d’un enfant migrant au système de protection de l’enfance car il était considéré comme un adulte après une procédure de détermination de l’âge non conforme, et sans garantie de représentation ni de recours efficace et accessible contre cette décision67.
Le nombre significatif d’enfants migrants arrivant sur notre territoire ne saurait justifier de ne plus tenir compte de la vulnérabilité manifeste de ces enfants et de leur parcours migratoire parsemé de violences sur leur personne. La Mission MNA (rattachée à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse) qui coordonne le dispositif de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation recense de nombreux cas d’agression, particulièrement sexuelle, de viol, d’emprise par des réseaux les forçant à commettre des délits.
L’état d’esprit qui prévaut aujourd’hui laisse à craindre une approche bien plus centrée sur les politiques migratoires que protectrice. En atteste ainsi la dernière loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration » du 24 janvier 2024, heureusement partiellement censurée par le Conseil constitutionnel, qui a néanmoins validé la création d’un fichier pour les mineurs soupçonnés d’avoir participé à une infraction ainsi que la non prise en charge, dans le cadre d’un contrat jeune majeur, de jeunes précédemment confiés à l’aide sociale à l’enfance lorsqu’ils ont fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français.
La procédure d’évaluation de la minorité et de l’isolement est très imparfaite : elle s’appuie essentiellement sur des entretiens réalisés par les services du département ou une structure habilitée par le président du conseil départemental. Ils doivent se dérouler dans une langue comprise par la personne, et portent sur son parcours migratoire, son état de santé et ses conditions de vie depuis son arrivée en France. Si nécessaire, le préfet apporte son concours par la consultation du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité et de l’isolement, qui regroupe des données d’identification biographique et biométrique (fichier contesté par les associations au soutien des droits de l’enfant, mais les recours n’ont pas abouti) ou pour la vérification des documents d’identité de la personne. L’autorité judiciaire peut également intervenir pour diligenter des examens radiologiques osseux, dont on connaît le manque de fiabilité scientifique, et statuer sur la validité des pièces d’identité produites. L’ensemble représente un faisceau d’indices qui permet d’évaluer si la personne est mineure et isolée. La notion d’isolement est elle-même source d’interprétations diverses, et il peut être reproché à un jeune d’entretenir des relations avec une personne rencontrée lors de son processus migratoire pour refuser de le qualifier d’isolé.
Les pratiques d’évaluation sont très disparates sur le territoire, et le Comité des droits de l’enfant a noté que les entretiens étaient souvent extrêmement lapidaires, voire expéditifs.
Le jeune qui a été évalué majeur peut saisir un juge des enfants pour contester cette décision mais son recours n’est pas suspensif et les tribunaux statuent dans des délais souvent extrêmement longs, sans qu’aucune assistance (même matérielle) ne soit assurée pendant ce laps de temps.
S’agissant de la prise en charge de ceux dont la minorité est reconnue, elle est loin de répondre aux exigences de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).
Les structures d’accueil des MNA sont aujourd’hui spécifiques pour la plupart, avec un prix de journée apparaissant comme inférieur à celui alloué habituellement pour la protection d’enfants du même âge, entraînant de facto un encadrement éducatif insuffisant. Elles doivent être a minima dotées des mêmes moyens que les autres services de la protection de l’enfance en termes de personnels qualifiés et de prix de journée. S’il n’existe pas de données nationales sur ce sujet, on constate, à partir des informations données en audition, un prix de journée compris entre 50 et 60 euros68 pour les MNA contre un prix de journée moyen de 170 euros, pour les autres mineurs de même âge. Surtout les besoins spécifiques en santé, soutien psychologique, lutte contre les addictions sont totalement négligés, de même que leur droit à l’éducation. L’exposition de ces jeunes à divers réseaux de traite des êtres humains et de trafics divers reste extrêmement forte en l’absence de lieux suffisamment encadrants et bienveillants pour les accueillir.
Le CESE constate que, loin d’offrir une protection à la hauteur de la vulnérabilité et des traumatismes subis par ces jeunes migrants, la France leur propose aujourd’hui une protection « au rabais ».
C’est ce que ne cesse de répéter le Défenseur des enfants69, en rappelant aux départements de respecter leurs obligations et en demandant à l’État de les soutenir dans le contexte actuel de saturation des structures d’accueil.
Le CESE demande, comme le prévoit la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qu’aucune distinction ne soit faite entre les mineurs non accompagnés et les autres mineurs et rappelle les enjeux d’intérêt général liés à cette obligation : enjeux sanitaires, d’éducation, de prévention de la délinquance..
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