Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – Seconde section – Affaire J.B et autres c. Malte – Arrêt du 22 octobre 2024 – Détention prolongée de mineurs isolés étrangers – Violation de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3, et de l’article 5§1 et §4 (droit à la liberté et à la sûreté) de la CESDH

Résumé :

Faits et procédure

Les requérants, six mineurs isolés de nationalité bangladaises, ont été détenus dans un "centre d’accueil initial" pendant près de deux mois après leur arrivée à Malte.

Ils ont été détenus avec des adultes dans des cellules de 3 à 5m² et n’ont reçu aucune information relative aux raisons de la détention, alors même qu’ils avaient informé les autorités maltaises de leur minorité.

En vertu de l’article 39 de son Règlement ("mesures provisoires"), la Cour a demandé au gouvernement de Malte de veiller à ce que les conditions de vie des requérants soient compatibles avec l’article 3 de la Convention et avec leur statut de mineurs non accompagnés.

Les autorités maltaises ont alors transféré les requérants dans un centre de détention, où ils furent détenus avec d’autres mineurs.

Ils invoquent la violation de l’article 3 compte tenu des conditions de leur détention au sein des deux centres où ils affirment avoir été victimes de menaces, de violences et de harcèlement de la part d’autres détenus et d’agents de détention, ainsi que la violation des articles 5§1 et §4 en raison de l’illégalité de leur détention arbitraire et de l’absence de recours et de l’article 13 combiné à l’article 3 de la CESDH en raison de l’absence de procédure effective permettant de se plaindre des conditions d’une détention en cours.

Décision :

La Cour conclut à la violation de l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants), de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3, et des articles 5§1 (droit à la liberté et à la sûreté) et de l’article 5§1 et §4 (droit à la liberté et à la sûreté) de la CESDH.

En premier lieu, la Cour rappelle le principe de la présomption de minorité et souligne la désignation de représentants légaux par les autorités maltaises, effectuée tardivement.

Par ailleurs, la Cour relève que la procédure d’évaluation de l’âge a confirmé que tous les requérants, à l’exception du premier, étaient mineurs. Ainsi, en tenant compte de l’âge des requérants, de la durée totale de la détention dans deux lieux distincts, des conditions matérielles de détention et de leur incompatibilité avec l’hébergement d’enfants, de la vulnérabilité des mineurs et des effets de la détention sur leur état psychologique, la Cour conclut que les conditions de détention de l’espèce sont constitutives d’un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

De plus, la Cour constate que le gouvernement maltais n’a pas été en mesure de prouver que la procédure de recours constitutionnel, recours effectif en principe, l’état également en pratique, en raison de sa durée. Bien que la Cour ait condamné Malte de nombreuses fois à ce sujet, la situation reste inchangée. C’est en ce sens que la Cour a considéré que les procédures de recours constitutionnel ne constituent pas un recours effectif aux fins des plaintes relatives aux conditions de détention au titre de l’article 3. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3.

Voir dans le même sens : CEDH, Arrêt du 17 octobre 2023, Affaire A.D. contre Malte


Extraits de l’arrêt :

« […].

46. Turning to the present case, it would appear that, although with some delay, and except for the first applicant, at least on paper, the principle of presumption of minor age was applied to the applicants (see, a contrario, Darboe and Camara v. Italy, no. 5797/17, 21 July 2022, §§ 153 et seq.,) as of 6 December 2022 when reference was made to the fact that the second, third, fourth, fifth and sixth applicants were minors and the IAB instructed measures to be taken in order for a legal guardian to be appointed by AWAS (see paragraph 7 above). Nevertheless, no alteration was made to their detention arrangements at the time and until after 11 January 2023 when the Court issued a Rule 39 measure (see paragraphs 10 and 11 above), at which point the materials submitted show that no care orders had yet been issued.

47. The Court further notes that, the age-assessment procedure on appeal confirmed that all but the first applicant were minors. There is therefore no doubt that it is with that vulnerability in mind that the Court must assess the conditions within which the latter applicants were held (see, for example, Abdullahi Elmi and Aweys Abubakar v. Malta, nos. 25794/13 and 28151/13, §§ 113-14, 22 November 2016).

48. In respect of all but the first applicant, the Court observes that despite being presumed minors, a matter acknowledged by the authorities, they had been hosted with adults for around two months in HIRC. The mere fact that this was allowed under domestic law has no bearing on the assessment for the purposes of Article 3 (see A.D. v. Malta, cited above, § 126).

[…].

52. In conclusion, bearing in mind the above considerations, particularly their age, the total length of their detention in both venues, the material conditions in the HIRC and its lack of appropriateness for accommodating children, as well as the vulnerability of the minor applicants and the effects of detention on a minor’s psychological condition, the Court considers that the conditions of detention of the second, third, fourth, fifth and sixth applicants amounted to inhuman and degrading treatment (compare Rahimi v. Greece, no. 8687/08, § 86, 5 April 2011, Abdullahi Elmi and Aweys Abubakar, cited above, §§ 113-14 ; and M.H. and Others v. Croatia, nos. 15670/18 and 43115/18, § 190, 18 November 2021, concerning teenagers).

53. There has accordingly been a violation of Article 3 of the Convention in their respect.

[…].

68. In Story and Others, (cited above, §§ 83-85), concerning conditions of detention the Court had found that the Government had been unable to prove that constitutional redress proceedings, a remedy effective in principle, were also effective in practice, due to their duration. In Yanez Pinon and Others v. Malta (nos. 71645/13 and 2 others, § 76, 19 December 2017) and Peňaranda Soto v. Malta (no. 16680/14, § 40, 19 December 2017), although the Government requested that the Court review its conclusion concerning constitutional redress proceedings – the only shortcoming of which was the length of the proceedings – the Court found that the Government had not submitted any relevant domestic case-law that would call into question the prior conclusions. To the contrary, in Yanez Pinon and Others (cited above, § 76) the Court noted that the proceedings instituted by the second applicant in that case, which had lasted fourteen months at one instance, strengthened that finding. In Abdilla v. Malta (no. 36199/15, § 71, 17 July 2018) the Court further noted that despite its suggestion made in Story and Others (cited above, § 85) that the Government should be able to introduce a proper administrative or judicial remedy capable of ensuring the timely determination of such complaints, and where necessary, to prevent the continuation of the situation, no new remedy had yet been put in place. In Fenech (cited above, § 44) the Court noted that more than six years after the judgment in Story and Others, the situation remained unchanged. The situation was found to persist again in the most recent judgment A.D. v. Malta (cited above, §§ 201-02).

69. As already noted above, the Government’s submissions do not go further than those they already submitted in recent cases of the like.

70. The Court thus finds no reason to alter the conclusions already reached in the previous cases against Malta (cited in the preceding paragraphs) that constitutional redress proceedings are not an effective remedy for the purposes of complaints of ongoing conditions of detention under Article 3.

71. The Government have not claimed that there had been any other remedy available to the applicants in this respect. There has therefore been a violation of Article 13 in conjunction with Article 3.

[…]. »


Voir l’arrêt en PDF (en anglais) :

CEDH - 22.10.2024 - J.B. AND OTHERS v. MALTA
Retour en haut de page