Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) – Cinquième section - Arrêt du 16 janvier 2025 - Affaire A.C c. France – Mineur non accompagné – Violation de l’article 8 de la CESDH – Présomption de minorité renversée dans des conditions privant le requérant de garanties procédurales suffisantes – Absence de violation des articles 3 et 13 de la CESDH

Résumé :

Faits :

Le requérant, se déclarant mineur et isolé, a vu sa minorité contestée par le département à l’issue de son entretien d’évaluation (au cours duquel il n’avait pas présenté de document d’état civil) et a fait l’objet, après réalisation d’un examen médico-légal, d’un non-lieu à assistance éducative prononcé par le procureur de la République.

Il a alors été contraint de vivre à la rue, notamment durant une période pendant laquelle des mesures de confinement étaient applicables en France du fait de l’épidémie de Covid 19. Le requérant a saisi le juge des enfants et a introduit un référé liberté devant le tribunal administratif compétent, qui rejeta cette requête.

La Cour européenne des droits de l’Homme, saisie d’une demande de mesures provisoires, indiqua au gouvernement français d’assurer au requérant logement et alimentation jusqu’à la fin du confinement. Il fut ensuite pris en charge dans le cadre du dispositif de l’hébergement d’urgence (115).
Le Conseil d’Etat, saisi en appel contre l’ordonnance du tribunal administratif, conclut à un non-lieu, soulignant qu’il était désormais pris en charge par les services de l’Etat.

Le requérant introduisit également un recours devant le tribunal administratif, tendant à l’annulation de la décision du département actant de sa fin de prise en charge (finalement rejeté au regard de la voie de recours existante devant le juge des enfants, de même que les conclusions indemnitaires déposées, en raison de l’absence de qualité du requérant mineur pour introduire cette demande).

Il finit par quitter la ville où il se trouvait et se retrouva de nouveau dans la rue.

Plus de trois mois après sa saisine, le juge des enfants prononça un non-lieu à assistance éducative, qui fut finalement infirmé six mois plus tard par la cour d’appel.


Décision de la Cour :

La Cour rejette le grief fondé sur la violation de l’article 3 de la CESDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) :
Si le requérant se plaignait de ses conditions de vie lors de la période pendant laquelle il n’a pas été pris en charge, la Cour rappelle que pour considérer que le seuil de gravité de l’article 3 est atteint, elle doit pouvoir s’appuyer sur des éléments factuels suffisamment solides, qu’elle considère comme n’étant pas réunis en l’espèce.
La violation de l’article 13 (droit à un recours effectif), combinée à une violation de l’article 3, est de ce fait écartée.

InfoMIE – Remarques :


La Cour relève qu’en l’espèce, le requérant n’apporte pas suffisamment d’éléments s’agissant de ses conditions de vie durant la période durant laquelle il n’a fait l’objet d’aucune prise en charge (voir également en ce sens, M.D c. France et S.M.K c. France.)

La question du niveau d’exigence, concernant les éléments factuels permettant d’étayer les griefs fondés sur une violation de l’art. 3 de la CESDH dans la situation de mineur.es isolé.es étranger.es non pris.es en charge, pose la question de la charge de la preuve qui pèse sur ces mineur.es. En situation de rue et ne bénéficiant d’aucune ressource, et le plus souvent d’aucun accompagnement, la documentation de cette période pose en effet nécessairement de très grandes difficultés.

On peut noter que dans le cadre d’autres affaires dans lesquelles une violation de l’article 3 a été retenue par la Cour, au regard de périodes d’absence de prise en charge adaptée, la documentation des conditions de vie des requérant.es étaient notamment permise par l’identification des lieux concernés et de leurs problématiques (ex : centres d’accueil pour adultes concernant Darboe et Camara c. Italie et M.A c. Italie ; demandeurs d’asile à la rue et dans des camps identifiés concernant O.R c. Grèce ; placement en "garde protectrice" pour W.S c. Grèce ; lande de Calais concernant Khan c. France, etc.).

On peut également noter qu’en l’espèce, la Cour souligne que le requérant a été pris en charge dans le cadre de l’APU, puis mis à l’abri à l’hôtel suite à la mesure provisoire de la CEDH, et enfin finalement confié à l’aide sociale à l’enfance.

• La Cour conclut à la violation de l’article 8 de la CESDH (droit au respect de la vie privée et familiale) :
Elle retient que, malgré l’existence d’un cadre juridique interne comportant en principe des garanties procédurales répondant aux exigences de l’article 8, en l’espèce, la présomption de minorité dont bénéficiait le requérant a été renversée (par les résultats de l’évaluation sociale et de l’examen médical) dans des conditions qui l’ont privé de garanties procédurales suffisantes :

  • Rien n’indique que les conclusions de l’évaluation administrative auraient été remises au requérant ou qu’il aurait été informé de la possibilité d’en obtenir une copie, ni qu’il aurait reçu la copie des conclusions de l’examen physiologique pratiqué, sur lesquelles aucune mention de la marge d’erreur n’est en outre indiquée.
  • Le non-lieu à assistance éducative prononcée par le procureur de la République ne comportait aucune motivation et la décision du conseil départemental se bornait, de manière stéréotypée, à un renvoi vers l’évaluation et la décision du procureur, sans comporter de motivation personnalisée.
  • Les mentions des voies et délais de recours indiquées dans la décision du département étaient incomplètes et imprécises.

• La Cour rejette le grief fondé sur la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné à l’article 8 de la CESDH :
Le requérant soutient avoir été privé d’un recours effectif à l’encontre de la décision de refus de prise en charge (absence de voie de recours suspensif et appréciation des preuves fournies pour démontrer sa minorité).
La Cour conclut que la combinaison des recours offerts en droit interne remplit les exigences de l’article 13 combiné avec l’article 8 et qu’en l’espèce, le requérant a bénéficié en pratique de recours effectifs.

InfoMIE – Remarques :


En considérant que le cadre juridique français concernant la procédure de détermination de la minorité, comporte en principe des garanties procédurales suffisantes et que la combinaison des recours internes remplit les exigences liées au droit à un recours effectif, l’analyse de la Cour européenne des droits de l’Homme est à distinguer de celle du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies.

Par deux décisions récentes (S.E.M.A c. France et U.A c. France), le Comité avait en effet considéré que la procédure de détermination de l’âge en France ne respectait pas les exigences posées par la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant). Il exigeait ainsi de la France qu’elle mette cette procédure en conformité avec la CIDE, ce qui impliquait notamment que la présomption de minorité soit appliquée pendant toute la procédure et que le caractère suspensif du recours devant le juge des enfants soit garanti.

S’agissant de la question de l’effectivité des recours existants en droit interne, il semble également pertinent de souligner que la possibilité de recourir au référé liberté (procédure prise en considération par la CEDH dans l’analyse des voies de recours disponibles), peut uniquement aboutir au prononcé d’une mesure provisoire de protection. En outre, cette procédure ne peut être mobilisée que par un nombre très limité de mineur.es en recours, compte tenu des conditions qui y sont attachées.
De plus, la possibilité, pour le juge des enfants de prononcer des mesures provisoires (article 375-5 du code civil) est facultative. On constate que peu de mesures provisoires de protection sont en réalité prononcées.

A tout le moins, il est intéressant de préciser que pour être reconnu comme effectif, le recours doit pouvoir être accessible en droit comme en pratique. Cette question se pose concernant les mineur.es isolé.es non pris.es en charge au regard de leur vulnérabilité durant la période pendant laquelle ils et elles sont bien souvent dans des situations d’extrêmes précarité.

La Cour demande à l’Etat français de verser au requérant la somme de 5 000 euros pour dommage moral.


Arrêt en PDF :

Communiqué de presse de la CEDH :

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