Résumé :
La requérante est une mineure guinéenne, arrivée en Belgique après avoir fui son pays d’origine pour échapper aux sévices à la suite de son mariage forcé. A son arrivée, elle déposa une demande de protection internationale et fut interrogée par un agent du bureau en charge des mineurs et victimes de la traite des êtres humains. Ce dernier a indiqué qu’il y avait un doute sur sa minorité, qu’un examen médical était demandé et que la requérante n’y était pas opposé.
Une dizaine de jours plus tard, la requérante subissait un examen médical consistant en un triple test osseux en vue de déterminer son âge. A la suite de cet examen, il était conclu à sa majorité ; il était retenu que les tests montraient qu’au jour de l’examen, elle était âgée de 21,7 ans, avec un écart-type de 2 ans.
Une semaine plus tard, elle fut entendue par un agent du service des tutelles en vue de la détermination de son âge et de son identité. Elle transmit ensuite des documents d’état civil originaux, qui furent envoyés pour une demande d’authentification.
Avant d’avoir la réponse de cette demande, le service des tutelles prit une décision de cessation de prise en charge. La requérante fut ensuite transférée du centre pour mineurs où elle était prise en charge, à un centre pour majeurs.
La requérante fit une demande de suspension et d’annulation de la décision du service des tutelles mais ces requêtes furent rejetées.
Décision de la Cour :
Violation de l’article 8 de la CEDH
La Cour rappelle que le principe de présomption de minorité implique que la procédure d’évaluation s’accompagne de garanties procédurales suffisantes et se réfère à la décision Darboe et Camara du 21 juillet 2022.
Elle estime que les tests médicaux pratiqués en vue de l’évaluation de l’âge consistant en une triple radiographie (main-poignet, clavicule, machoire) ont un caractère invasif. Compte tenu de ce caractère invasif, il convient de ne pratiquer ces examens qu’en dernier ressort, s’il n’a pas pu être conclu sur la majorité avec d’autres moyens. Or, le droit belge prévoit que ces tests sont effectués immédiatement en cas de doute sur l’âge de l’intéressée.
De plus, la requérante n’a pas été informée de ses droits lors du test osseux, alors même que son consentement doit être exprès.
La Cour relève que l’entretien avec la requérante n’a eu lieu qu’après la réalisation de tests osseux, alors qu’un entretien préalable aurait pu permettre de rechercher si le doute sur la minorité de la requérante pouvait être levé par d’autres moyens.
La Cour note au surplus que la fiabilité des tests osseux reste largement débattue.
La Cour conclut à la violation de l’article 8 de la CEDH dès lors que la procédure d’évaluation n’a pas été entourée des garanties suffisantes.
Extraits :
"88. Aux yeux de la Cour, la communication de ces informations est d’autant plus importante lorsque, comme en l’espèce, la personne concernée, toujours présumée mineure non accompagnée et demanderesse de protection internationale, n’est assistée ni d’un représentant ni d’un conseil lors de la phase d’évaluation de l’âge.
89. La Cour n’estime cependant pas nécessaire de trancher la question de savoir si la requérante a
effectivement reçu les informations concernant le triple test osseux puisque, même à supposer que le
fascicule en question lui eût effectivement été remis, elle ne peut que constater que celui-ci ne mentionne pas la nécessité de son consentement, le document n’indiquant que la possibilité d’« exprimer [son] avis sur le sujet » ainsi que la possibilité, en cas de désaccord, de contester la décision finale devant le Conseil d’État (paragraphe 8 ci-dessus). La décision de cessation de prise en charge de la requérante en tant que mineure
étrangère non accompagnée ne mentionne pas davantage l’existence du consentement de la requérante et se limite à indiquer que celle-ci a été informée du déroulement du test médical (paragraphe 17 ci-dessus). (...)
90. La Cour réitère à cet égard l’importance du consentement libre et éclairé des patients à la réalisation d’un acte médical et rappelle que l’absence de ce consentement peut s’analyser en une atteinte à leur intégrité physique mettant en jeu les droits protégés par l’article 8 de la Convention (Pindo Mulla, précité, §§ 138-139). La Cour ne perd pas de vue qu’il s’agit en l’occurrence d’un examen médical pratiqué à des fins non médicales. Elle estime cependant que cette circonstance n’a guère d’incidence sur l’application des principes dégagés par sa jurisprudence dans la mesure où est également en jeu le principe de l’autonomie personnelle qui est au cœur de l’article 8 de la Convention (idem, § 137). À ce titre, elle relève le caractère invasif des tests médicaux pratiqués en vue de l’évaluation de l’âge consistant, en l’espèce, en une triple
radiographie paragraphe 11 ci-dessus).
91. En deuxième lieu, la Cour relève qu’il a été procédé immédiatement aux tests osseux à la suite des doutes émis sur la minorité de la requérante par un agent de l’Office des étrangers (paragraphe 7 ci-dessus). Le droit belge prévoit en effet expressément que ces tests sont effectués « immédiatement » en cas de doute concernant l’âge de l’intéressé (paragraphe 31 ci-dessus).
92. Or, la Cour souligne que, compte tenu de leur caractère invasif en l’espèce, il convient de ne pratiquer les examens médicaux qu’en dernier ressort si les autres moyens permettant de lever le doute sur l’âge de l’intéressé n’ont pas abouti à des résultats concluants (voir en ce sens également paragraphe 41 ci-dessus). Elle rappelle en effet que, pour qu’une mesure puisse être considérée comme proportionnée et nécessaire dans une société démocratique, l’existence d’une mesure portant moins gravement atteinte au droit fondamental en cause et permettant d’arriver au même but doit être exclue (Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 183, CEDH 2012, et Saint-Paul Luxembourg S.A. c. Luxembourg, no 26419/10, § 44, 18 avril 2013).
93. En l’espèce, force est de constater que l’entretien de la requérante avec un agent du service des tutelles spécialement formé à l’accueil des mineurs n’a eu lieu qu’après la réalisation des tests osseux. Ce n’est que lors de cet entretien que la requérante a notamment été interrogée sur son état civil, sur sa situation familiale, sur ses conditions de vie dans son pays d’origine ainsi que sur sa scolarité. Or, un entretien préalable avec un agent du service des tutelles aurait pu, le cas échéant, permettre, d’une part, de rechercher si le doute sur la minorité de la requérante pouvait être levé par d’autres moyens moins intrusifs et, d’autre part, permettre au professionnel qualifié de s’assurer que celle-ci a reçu toutes les informations nécessaires pour faire valoir valablement ses droits.
94. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la fiabilité des tests osseux, laquelle a été abondamment discutée par les parties et les tiers intervenants, et reste largement débattue. Dans le cas d’espèce, elle observe, sans qu’elle ait à se prononcer sur ce point ni sur la minorité ou non de la requérante, que le processus décisionnel qui a abouti à la décision de cessation de sa prise en charge en tant que mineure étrangère non accompagnée n’a pas été entouré de garanties suffisantes au regard de l’article 8 de la Convention."
Sur l’article 13 de la CEDH
La requérante soulevait une violation de l’article 13 de la CEDH, combiné avec l’article 8 de la Convention.
La Cour retient que la circonstance que le contrôle du Conseil d’Etat soit limité à la légalité de la décision ne permet pas de considérer que ce recours ne serait pas effectif.
Elle conclut à une absence de violation de l’article 13 de la CEDH.
Décision en PDF :