Source : Assemblée nationale
Voir en ligne : www.assemble-nationale.fr
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2025.
Texte :
« EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La protection de l’enfance, pilier indispensable de notre société, traverse une crise structurelle. Depuis dix ans, le nombre d’enfants mis sous protection de l’Aide Sociale à l’Enfance a connu une augmentation de 20 %.
Les constats sont alarmants : 381 000 mesures de protection de l’enfance ont été prononcées sur l’année 2022, dont 208 000 enfants confiés hors du domicile de leurs parents.
En vingt ans, trois projets de loi sur la protection de l’enfance ont été votés sans que les acteurs de la protection de l’enfance n’aient déployé l’ensemble des mesures. Il est nécessaire de continuer à faire évoluer cette politique tant au niveau réglementaire que législatif.
La protection de l’enfance est un dispositif sous tension, dont les manquements sont nombreux : manque de moyens, manque de personnels, manque de coordination et de communication entre les différents interlocuteurs, manque de contrôles des établissements mais, surtout, un manque de suivi individuel des enfants. Il est urgent d’assurer un contrôle plus efficace des établissements qui accueillent ces enfants.
S’agissant du pouvoir judiciaire, il est impératif de clarifier les rôles de chacun pour permettre aux acteurs et, à l’enfant au premier chef, de mieux saisir le dispositif afin de tendre vers une cohérence dans les décisions qui le concernent.
Force est de constater que le placement ne constitue pas toujours la réponse opportune à la mise à l’abri d’un enfant en danger. Les procédures, trop longues, doivent pouvoir être individualisées et répondre avec rapidité et précision aux besoins d’un enfant en détresse. Transformer l’ordonnance de placement provisoire en une ordonnance de protection provisoire est un impératif et une demande. Ce dispositif, à l’instar de ce qui existe déjà pour les femmes victimes de violences conjugales, doit être adapté à l’enfant victime de violences. Parce qu’il a des besoins spécifiques, l’enfant doit ainsi bénéficier d’une mesure de protection dédiée, qui lui offre une protection immédiate de la part des pouvoirs publics, notamment à l’égard de ceux qui détiennent autorité sur lui. Les faits divers récurrents démontrent la nécessité de mieux contrôler celles et ceux qui accompagnent les enfants.
Enfin, il est assurément injuste que des inégalités de traitements puissent exister entre les enfants placés. Il est fondamental d’établir un système de protection de l’enfance égalitaire et équitable pour l’ensemble de ces enfants, quel que soit leur mode de placement et sur l’ensemble du territoire. Les aides au placement doivent être révisées en vue d’accompagner et d’encourager les alternatives telles que le tiers digne de confiance, plutôt que d’encourager presque systématiquement l’accueil en "foyer".
Ainsi, la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, créée en 2022 a mené depuis décembre 2023 un cycle d’auditions sur la protection des enfants. À cet égard, 16 auditions ont été menées, soit plus de 50 personnes entendues. La présente proposition de loi constitue une résultante de ce travail.
L’article 1er complète le code de l’action sociale et des familles, d’une part en interdisant les établissements privés lucratifs et en renforçant les contrôles au moins tous les trois ans des lieux d’accueil de la protection de l’enfance en charge de mineurs.
D’autre part, cet article introduit un nouvel article permettant aux services de l’État en département de contrôler les lieux d’accueil des enfants.
Enfin, le code de l’action sociale et des familles est également complété en établissant un meilleur suivi des enfants placés. Cette mesure obligera les départements qui placent un enfant en dehors de leur territoire à en informer le département où l’accueil de l’enfant se déroulera.
L’article 2 complète le code de la santé publique afin de durcir les contrôles dans les établissements accueillant des enfants de moins de six ans.
Ces mesures permettront de passer d’un contrôle tous les cinq ans à un contrôle tous les trois ans.
Dans certaines situations, les décisions du juge des enfants et du juge aux affaires familiales peuvent entrer en contradiction. L’article 3 vise à éviter ces incohérences en élargissant la compétence du juge des enfants sur les sujets d’autorité parentale des dossiers qu’il instruit.
L’article 4 comme le précédent article, vise à élargir les compétences du juge des enfants en lui accordant en plus des prérogatives d’assistance éducative, celles en matière de visite et d’hébergement des titulaires de l’autorité parentale pour les enfants qu’il suit.
Cet article est complété par la création d’une ordonnance de protection provisoire visant à permettre au procureur, devant statuer en urgence sur la situation d’un enfant en danger, de disposer davantage de possibilités de prise en charge. Le procureur pourra toujours décider d’un placement, il pourra également le confier à un parent ou à un tiers digne de confiance tout en agissant sur la fréquence du droit de correspondance, de visite et d’hébergement d’un ou des parents, mais également interdire à des personnes de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés et d’entrer en relation avec l’enfant.
Cet article introduit également la possibilité pour le procureur de faire désigner pour l’enfant un avocat.
L’article 5 vise à accorder les mêmes droits à tous les enfants bénéficiant d’une mesure de protection, aussi bien ceux placés dans un établissement ou une famille d’accueil par le département que ceux placés auprès d’un accueil durable bénévole ou d’un tiers digne de confiance.
L’article 6, à l’instar de l’article précédent et, eu égard au principe d’égalité de traitement, permet à tous les enfants placés et ce, quel que soit le type de placement, de bénéficier de la complémentaire santé solidaire.
L’article 7 garantit l’accès à une bourse d’études supérieures pour l’ensemble des enfants accueillis au sein des structures dédiées, afin de leur offrir la même chance de construire leur avenir.
L’article 8 gage financièrement la proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L.221‑1 est ainsi modifié :
a) À l’avant‑dernier alinéa, après le mot : "privés", sont insérés les mots : "non lucratifs" ;
b) Le dernier alinéa est ainsi modifié :
– après le mot : "contrôle", sont insérés les mots : "au moins tous les trois ans" ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : "Un rapport rendant compte de ces contrôles est présenté annuellement au conseil départemental."
2° Le dernier alinéa de l’article L. 221‑2 est complété par une phrase ainsi rédigée : "Il en informe le département ou la collectivité d’accueil territorialement compétent. "
3° Le chapitre Ier du titre II du livre II est complété par un article L. 221‑10 ainsi rédigé :
"Art. L. 221‑10. – Les établissements mentionnés à l’article 227‑2 du présent code sont contrôlés tous les trois ans par les services du représentant de l’État dans le département. Un décret précise les modalités de contrôle."
Article 2
Le I de l’article L. 2324‑2‑4 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° La première phrase est ainsi modifiée :
a) Le mot : "cinq" est remplacé par le mot : "trois" ;
b) Les mots : "une évaluation" sont remplacés par les mots : "un contrôle" ;
2° À la deuxième phrase, les mots : "cette évaluation" sont remplacés par les mots : "ce contrôle".
Article 3
L’article L. 252‑2 du code de l’organisation judiciaire est complété par une phrase ainsi rédigée : "Il est compétent en matière de visite et d’hébergement pour les dossiers qu’il instruit."
Article 4
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article 375‑1 est complété par les mots : "y compris le droit de visite et d’hébergement des titulaires de l’autorité parentale" ;
2° L’article 375‑5 est ainsi modifié :
a) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– à la fin de la première phrase, les mots : "a le même pouvoir, à charge de saisir dans les huit jours le juge compétent, qui maintiendra, modifiera ou rapportera la mesure" sont remplacés par les mots : "peut prendre l’une des mesures précisées aux articles 375‑3 et 375‑4" ;
– au début de la deuxième phrase, les mots : "Si la situation de l’enfant le permet, le procureur de la République" sont remplacés par le mot : "Il" ;
– est ajoutée une phrase ainsi rédigée : "Il peut spécifiquement interdire à des personnes de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés et d’entrer en relation avec certaines personnes spécialement désignées." ;
– est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
"Le procureur de la République doit saisir dans les huit jours le juge compétent, qui dans un délai d’un mois, maintient, modifie ou rapporte les mesures." ;
b) L’avant dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : "Lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige, le procureur demande au bâtonnier la désignation d’un avocat pour l’enfant."
Article 5
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° La première phrase de l’article L. 221‑2‑1 est complétée par les mots : "ou d’un accueil par un tiers digne de confiance, l’enfant bénéficie des mêmes droits que ceux confiés à l’assistance éducative" ;
2° L’article L. 222‑5 est ainsi modifié :
a) Au 5°, après la première occurrence du mot : "enfance", sont insérés les mots : "ou accueillis chez un tiers digne de confiance ou chez un accueillant durable bénévole" ;
b) L’avant‑dernier alinéa est ainsi modifié :
– au début, les mots : "peuvent être" sont remplacés par le mot : "sont" ;
– les mots : "à titre temporaire" sont supprimés ;
c) Le dernier alinéa est complété par les mots : "ou leur parcours de formation ou d’insertion".
Article 6
Après le cinquième alinéa de l’article L. 861‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
"Les personnes mineures relevant des dispositions prévues aux 2° à 5° de l’article 375‑3 du code civil et de l’article L. 221‑2‑1 du code de l’action sociale et des familles, bénéficient à titre personnel de la protection complémentaire définie à l’article L. 861‑3 du présent code."
Article 7
Après le premier alinéa de l’article L. 821‑1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
"Dans le cas où un étudiant relevait durant les deux années précédant sa majorité, des dispositions prévues aux 2° à 5° de l’article 375‑3 du code civil et de l’article 221‑2‑1 du code de l’action sociale et des familles, sans préjudice des conditions de ressource précédemment mentionnées, l’étudiant bénéficie des prestations prévues par le réseau des œuvres universitaires."
Article 8
I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. »
Proposition de loi en PDF :