La présomption de minorité est consacrée par le droit international.
Convention internationale des droits de l’enfant
L’article 3.1 de la Convention internationale des droits de l’enfant, d’effet direct, stipule :
« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Dans sa décision du 25 janvier 2023 (décision CRC/C/92/D/130/2020), adressée à la France dans une affaire concernant la procédure de détermination de minorité d’une mineur non accompagné, le Comité des droits de l’enfant a rappelé :
« 8.3 Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’un jeune qui affirme être mineur revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure détermine si l’intéressé peut prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que la détermination de l’âge repose sur une procédure régulière, et que les décisions en résultant soient susceptibles de recours. Tant que la procédure de détermination de l’âge est en cours, l’intéressé doit avoir le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge »
Voir également : décision Comité des droits de l’enfant, N.B.F contre Espagne, 15 février 2017, CRC/C/79/D/11/2017 paragraphe 12.3
Ainsi, tant que la procédure de détermination de l’âge est en cours, la personne doit être traitée comme un enfant.
Le Comité précise également que le droit de faire appel, avec effet suspensif, doit être garanti aux enfants. (paragraphe 8.7 de la décision du 25 janvier 2023)
Dans la décision S.E.M.A c. France, du 25 janvier 2023, le Comité a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale dans la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis. Le Comité indique que parmi les garanties qui doivent entourer la procédure de détermination de l’âge figure le caractère suspensif du recours. Le Comité a conclu notamment à la violation de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant au motif que la procédure n’a pas été entourée des garanties nécessaires, parmi lesquelles le droit à un recours suspensif.
Le Comité des droits de l’enfant a été amené à se prononcer une seconde fois, dans une décision individuelle, sur la procédure d’évaluation telle qu’elle est prévue par le droit français. Dans la décision U.A c. France du 21 mai 2024, le Comité reprend les constats et les demandes faites à la France et y ajoute les éléments suivants :
• Il reconnaît le rôle de l’avocat aux côtés du mineur lors de l’évaluation ;
• Il reconnaît expressément la présomption de minorité et sollicite de la France qu’elle soit respectée ;
• Il sollicite la simplification des procédures qui doivent avoir un caractère suspensif et garantir la prise de décision finale dans un délai raisonnable.
Il convient de rappeler que les décisions du Comité des droits de l’enfant ont l’autorité de la chose interprétée (Voir Cour internationale de Justice, République de Guinée c/ République démocratique du Congo, 30 novembre 2010, paragraphe 66, à propos de la valeur des constatations du Comité des droits de l’homme. Cette même autorité peut être attachée aux constatations du Comité des droits de l’enfant, également comité onusien)
De plus, il est utile de se reporter à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 juillet 2022 Darboe et Camara c/ Italie. La Cour rappelle que les décisions le Comité des droits de l’enfance donne des orientations interprétatives qui font autorité ( Décision n°5797/17, paragraphe 58).
Le principe de présomption de minorité, qui implique le droit à un recours suspensif dans la procédure de détermination de l’âge, est donc consacré par la Convention internationale des droits de l’enfant, en application de l’article 3. La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant implique de le considérer comme tel durant toute la procédure de détermination de son âge.
Convention européenne des droits de l’hommes
L’article 8 de la Convention protège le droit au respect de la vie privée et familiale.
Dans sa décision du 21 juillet 2022, n°5797/17, Darboe et Camara c/ Italie, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que la présomption de minorité est un élément participant du droit au respect de la vie privée d’un mineur non accompagné se déclarant mineur.
Le jeune qui sollicite sa protection doit donc être considéré comme mineur, en application de l’article 8 de la CEDH, tout au long de la procédure.
Par ailleurs, l’article 13 de la Convention consacre le droit au recours effectif.
Il est constant que le recours doit être disponible en droit comme en pratique. (CEDH 9. CEDH, G.C. 13 déc. 2012, De Souza Ribeiro c. France, Req. n° 22689/07, § 80).
Le droit à un recours effectif impose donc que le jeune, qui n’a pas vu sa minorité reconnue, puisse être protégé pendant le temps du recours. A défaut d’une protection, il est livré à lui-même et ne peut accéder à ses droits, n’est pas en capacité d’avoir accès à un recours.
Sur la situation d’un mineur non accompagné livré à lui-même et de l’appréciation qui en est faite par la Cour européenne des droits de l’homme, l’on peut également utilement citer l’arrêt du 23 janvier 2024 - O.R. c. Grèce – n°24650/19 :
« 69. Eu égard aux constats auxquels elle est parvenue ci-dessus, la Cour considère que du 24 novembre 2018 au 16 mai 2019, le requérant a été abandonné à lui-même par les autorités grecques, dans un environnement totalement inadapté à sa condition de mineur, que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins et, plus généralement, de mise en œuvre de sa prise en charge, ainsi que dans une précarité inacceptable au regard de son statut de demandeur d’asile et de mineur non-accompagné.
70. Il s’ensuit que le requérant s’est retrouvé, par le fait des autorités, dans une situation inhumaine et dégradante contraire à l’article 3 de la Convention. (…) »
La cour européenne des droits de l’homme a été amenée à connaître d’un cas français, dans lequel elle a conclu à la violation de l’article 8 de la CEDH, considérant que la présomption de minorité était renversée dans des conditions privant le requérant de garanties procédurales suffisantes.
En droit interne, des éléments ont trait à la présomption de minorité.
La présomption de minorité n’est pas totalement exclue en droit interne, même si sa reconnaissance est pour le moment limitée.
En 2015, le Conseil d’Etat déclare que le juge administratif est incompétent car seul le Juge des enfants est compétent pour connaître de la décision du Conseil départemental de mettre fin à la prise d’un mineur non accompagné au motif qu’il le considère majeur. (CE, 1er juillet 2015, n°386769, Mentionné aux Tables)
Certains commentateurs voient dans cette décision la consécration du principe de la présomption de minorité dans la mesure où si un individu saisit le juge des enfants pour lui-même, c’est qu’il est mineur (voir notamment Rapport n°20.35, Repenser la détermination de l’âge du mineur étranger non accompagné, septembre 2023, Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice)
L’on peut se référer aux ordonnances du Juge des référés du Conseil d’Etat du 25 janvier 2019 (n° 427169, 427170, 427167) :
« sous réserve des cas où la condition de minorité ne serait à l’évidence pas remplie, il incombe aux autorités du département de mettre en place un accueil d’urgence pour toute personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de cette famille, confrontée à des difficultés risquant de mettre en danger sa santé , sa sécurité ou sa moralité en particulier parce qu’elle est sans abri. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Le Conseil d’Etat confirme que celui qui sollicite sa protection doit être considéré comme mineur.
Enfin, l’on peut citer la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle il appartient au Conseil départemental de poursuivre l’accueil provisoire d’urgence lorsqu’il a porté, sur la minorité du jeune, une appréciation manifestement erronée :
« Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. » (CE, ordonnance du 4 juin 2020, n°440686).
En droit interne, en l’état des textes et de la jurisprudence, il est considéré que la personne demandant sa prise en charge doit être considérée comme mineure durant la phase d’évaluation puis, ensuite, dans des conditions restreintes, jusqu’à la décision judiciaire. Il est précisé que pour ce dernier élément, cela ressort de la jurisprudence, et dans des conditions restrictives.
Voir également :
Ordonnance, Juge des référés du Conseil d’Etat, 12 juin 2020
Ordonnance Juge des référés du Conseil d’Etat, 15 novembre
Il convient enfin de préciser qu’en matière d’examen d’âge osseux, le doute profite au mineur.
C’est ce que prévoit l’article 388 du code civil :
« Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis.
Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.
Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.
En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »
C’est également ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans la décision du 21 mars 2019 :
« D’autre part, il a exclu que ces conclusions puissent constituer l’unique fondement dans la détermination de l’âge de la personne. Il appartient donc à l’autorité judiciaire d’apprécier la minorité ou la majorité de celle-ci en prenant en compte les autres éléments ayant pu être recueillis, tels que l’évaluation sociale ou les entretiens réalisés par les services de la protection de l’enfance. Enfin, si les conclusions des examens radiologiques sont en contradiction avec les autres éléments d’appréciation susvisés et que le doute persiste au vu de l’ensemble des éléments recueillis, ce doute doit profiter à la qualité de mineur de l’intéressé. » (paragraphe 11)