Les recours

Plan :

1. Compétence du Juge des enfants
2. Procédure devant le Juge des enfants
3. L’ordonnance de placement provisoire
4. L’audience et la décision du Juge des enfants
5. L’appel
6. Les référés-liberté aux fins de poursuite de l’accueil provisoire d’urgence
7. En l’absence de recours
8. Schéma procédural

L’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des famille (ci-après CASF) est relatif à l’évaluation des mineurs isolés étrangers.

L’avant-dernier aliéna de cet article dispose :

« Si le président du conseil départemental estime que la situation de la personne accueillie ne justifie pas la saisine de l’autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions de l’article R. 223-2 du code de l’action sociale et des familles. Dans ce cas, l’accueil provisoire d’urgence prend fin. »

Ainsi, si le président du conseil département considère que le jeune n’est pas mineur, il ne saisit pas l’autorité judiciaire d’une demande de protection et met fin à l’accueil provisoire d’urgence.

C’est dans ce cadre que se situe les recours présentés ci-après.


1. Compétence du Juge des enfants

Même si la décision du président du conseil départemental de refus de prise en charge du jeune est une décision administrative, ce n’est pas le tribunal administratif qui est compétent pour examiner la demande d’un mineur d’être placé à l’aide sociale à l’enfance. Le juge des enfants est le juge compétent pour examiner cette demande.
Le Conseil d’Etat l’a affirmé dans une décision du 1er juillet 2015 (n°386769, Mentionné aux Tables) :

«  5. Considérant qu’il résulte de ces dispositions que lorsqu’il est saisi par un mineur d’une demande d’admission à l’aide sociale à l’enfance et que le ou les représentants légaux de celui-ci ne sont pas en mesure, notamment en raison de leur éloignement géographique, de donner leur accord à cette admission, le président du conseil général peut seulement, au-delà de la période d’accueil provisoire de cinq jours prévue par l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, décider de saisir l’autorité judiciaire, mais ne peut en aucun cas décider d’admettre le mineur à l’aide sociale à l’enfance sans que l’autorité judiciaire ne l’ait ordonné ; que si le président du conseil général refuse de saisir l’autorité judiciaire, notamment lorsqu’il estime que le jeune a atteint la majorité, celui-ci peut saisir le juge des enfants en application de l’article 375 du code civil ; que l’existence de cette voie de recours, par laquelle un mineur peut obtenir du juge qu’il ordonne son admission à l’aide sociale à l’enfance, y compris à titre provisoire pendant l’instance, sans que son incapacité à agir en justice ne puisse lui être opposée, rend irrecevable le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif contre la décision du président du conseil général de refuser de saisir l’autorité judiciaire et la demande de suspension dont ce recours peut être assorti »

La compétence du Juge des enfants est prévue à l’article 375-1, alinéa 1, du code civil : « Le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative.  »

L’article 1181du code de procédure civile débute par ailleurs ainsi : « Les mesures d’assistance éducative sont prises par le juge des enfants (…) »

C’est donc au Juge des enfants que le mineur doit s’adresser lorsqu’il sollicite son placement.


2. Procédure devant le Juge des enfants

Compétence territoriale du Juge des enfants

Le Juge des enfants compétent pour connaître de la demande d’un jeune placé à l’aide sociale à l’enfance est celui du tribunal judiciaire dans le ressort duquel demeure le mineur.

Cela ressort de l’article 1181 du code de procédure civile :

« Les mesures d’assistance éducative sont prises par le juge des enfants du lieu où demeure, selon le cas, l’un des parents, le tuteur du mineur ou la personne, ou le service à qui l’enfant a été confié ; à défaut, par le juge du lieu où demeure le mineur. (…) »

La compétence territoriale du Juge des enfants est donc déterminée par le lieu où se trouve le mineur – et non le lieu où il a été évalué, ce qui peut être différent dans certains cas.

Afin de connaître le tribunal territorialement compétent, il existe un annuaire du ministère de la justice. Il convient d’indiquer le lieu, et la catégorie « tribunal pour enfants » afin de connaître la juridiction compétente pour un territoire.

Saisine du Juge des enfants

Dans le langage courant, on parle le plus souvent de « recours » devant le Juge des enfants. Sur le plan strictement juridique, ce n’est pas un recours contre une décision, mais une saisine du Juge des enfants. Il s’agit d’alerter le Juge des enfants sur la situation de danger qu’un mineur encourt, du fait de son isolement.

Comme pour tous les mineurs en danger, il n’y a pas de formalisme particulier pour saisir le Juge des enfants.

Le jeune peut saisir lui-même le juge des enfants. Un modèle est disponible ici.

Ainsi qu’il est rappelé dans cet article, il est nécessaire que le jeune ne joigne à la requête que des photocopies (les originaux de ces actes d’état civil peuvent lui être demandés ensuite), conserve une copie de la saisine et la preuve de dépôt de celle-ci.

Le juge des enfants peut également être saisi par l’avocat.e du jeune.

Assistance d’un avocat

Dans certaines villes, il existe des permanences gratuites d’avocats dédiées aux mineurs isolés étrangers. C’est par exemple le cas à Paris, où des permanences dédiées aux mineurs isolés étrangers sont organisées par l’antenne des mineurs du Barreau de Paris.

Dans certains barreaux, il existe des groupes d’avocats volontaires pour assister les mineurs isolés. L’ordre des avocats de chaque barreau peut vous renseigner sur ce point.

C’est un droit pour le mineur d’être assisté par un avocat pour la procédure devant le Juge des enfants. Le mineur a le libre choix de son avocat.

S’il ne connaît pas d’avocat, il peut faire la demande pour qu’un avocat lui soit désigné ; c’est ce qu’on appelle la commission d’office. En pratique, si le jeune saisit lui-même le juge, il demande, dans sa saisine, qu’un avocat lui soit désigné. Dans les autres cas, il doit s’adresser à l’ordre des avocats auprès du tribunal qui connaîtra de sa situation.

Il est vivement recommandé au jeune d’être assisté d’un avocat.

En assistance éducative, l’avocat qui assiste le mineur bénéficie de l’aide juridictionnelle garantie. Cela signifie qu’il est indemnisé, dans tous les cas, par l’aide juridictionnelle. L’avocat qui intervient dans ce cadre ne peut pas demander, en plus, des honoraires au mineur pour l’instance d’assistance éducative.

Délai

Hormis les cas d’ordonnance de placement provisoire qui seront évoqués ci-dessous, aucun délai n’est prévu par le code de procédure civile pour que le juge des enfants statue. Les délais sont très variables selon les tribunaux. En 2024, on observait des délais pouvant aller de quelques semaines, jusqu’à 8 à 12 mois.


3. L’ordonnance de placement provisoire

Le juge des enfants peut prendre une ordonnance de placement provisoire. Cela est prévu par l’article 375-5 du code civil :

« A titre provisoire mais à charge d’appel, le juge peut, pendant l’instance, soit ordonner la remise provisoire du mineur à un centre d’accueil ou d’observation, soit prendre l’une des mesures prévues aux articles 375-3 et 375-4. (…)  »

Parmi les mesures visées à l’article 375-3 du code civil, il y a le placement du mineur à l’aide sociale à l’enfance.

Le juge des enfants qui est saisi de la situation d’une mineur isolé étranger peut donc le placer provisoirement à l’aide sociale à l’enfance, dans l’attente du jugement statuant sur sa demande de protection. La décision prise est une ordonnance de placement provisoire.

Dès lors qu’il est mis fin à l’accueil provisoire d’urgence en cas d’évaluation concluant à la majorité, et dans la mesure où la saisine du juge des enfants ne suspend pas cette fin d’accueil provisoire d’urgence, il est vivement recommandé de solliciter, dans la saisine du juge des enfants, une ordonnance de placement provisoire.

En pratique, on constate que malgré les demandes faites, peu d’ordonnances de placement provisoires sont prises par les juges des enfants au moment de la réception de la saisine. Dans ce cas et dans certaines conditions, le jeune peut se tourner vers le juge des référés du tribunal administratif (voir ci-dessous).


4. L’audience et la décision du Juge des enfants

La procédure devant le Juge des enfants est prévue par les articles 1181 et suivants du code de procédure civile

Le jeune est convoqué à l’audience. S’il a un avocat, il est assisté par son avocat à l’audience.

Le représentant de l’aide sociale à l’enfance peut être présent à l’audience devant le Juge des enfants. Tant que le mineur n’est pas confié à l’aide sociale à l’enfance, l’ASE n’a pas la qualité de partie à la procédure et ne peut donc pas faire de demande au juge des enfants. Le service est alors présent en tant qu’il peut faire des observations utiles.

Voir par exemple :
Cour d’appel de Grenoble, arrêt du 17 mai 2024
Tribunal pour enfants d’Angers, Jugement du 18 octobre 2017
Tribunal pour enfants de Rouen, Jugement du 17 juin 2022

Le Juge des enfants peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile pour connaître de la situation du mineur. Cela peut par exemple être le cas de bénévoles ayant accompagné le mineur. La décision d’entendre ou non ces personnes appartient au Juge des enfants.

L’audience se tient en chambre du conseil, c’est-à-dire qu’elle n’est pas publique.

A l’issue de l’audience, plusieurs hypothèses se présentent :

  • Le juge des enfants peut indiquer directement sa décision à la fin de l’audience
  • Le juge des enfants peut mettre la décision en délibéré et indiquer la date à laquelle il rendra sa décision
  • Le Juge des enfants peut décider d’un placement ou, s’il considère que le jeune est majeur, d’un non-lieu à assistance éducative.
  • Lorsqu’il décide d’un placement, le juge des enfants peut soit placer le mineur dans le département, soit le placer auprès de l’aide sociale à l’enfance d’un autre département, dans le cadre d’une orientation décidée après consultation de la Mission MNA
  • Le Juge des enfants peut ordonner des investigations supplémentaires (analyse de documents d’état civil, examens d’âge osseux par exemple) et surseoir à statuer, c’est-à-dire décider qu’il rendra sa décision après la réception des investigations supplémentaires ;
  • S’il ordonne des investigations supplémentaires, il peut décider de placer le jeune à l’aide sociale à l’enfance durant les investigations.

Le jugement du juge des enfants est notifié au mineur capable de discernement (c’est le cas de la quasi-totalité des mineurs isolés étrangers), ainsi qu’au service auquel le mineur est confié.


5. L’appel

L’appel est une voie de recours qui permet de contester la décision rendue par le Juge des enfants.

Qui peut faire appel ?

Les personnes qui peuvent interjeter appel (i.e. faire appel) sont les suivantes :

  • Le président du conseil départemental. C’est le cas quand il conteste la minorité du jeune qui a été placé à l’ASE ;
  • Le Procureur de la République
  • Le jeune, quand il a fait l’objet d’un non-lieu à assistance éducative, c’est-à-dire quand le juge des enfants a rejeté sa demande de placement à l’ASE ;
  • Le jeune qui fait l’objet d’une mainlevée de placement, c’est-à-dire quand le juge des enfants met fin au placement qui avait été précédemment ordonné ;
  • Le jeune qui est placé à l’ASE mais qui conteste l’échéance du placement. C’est le cas lorsque le juge des enfants décide de l’échéance du placement en fonction des conclusions de l’examen d’âge osseux, en retenant la fourchette basse de l’examen pour fixer un âge. Cette pratique n’est pas légale puisqu’elle revient à considérer à tort qu’un examen d’âge osseux permet de fixer un âge, et que le juge des enfants n’est pas compétent pour fixer l’âge de la personne. Voir par exemple une décision de la Cour d’appel de Paris du 20 septembre 2019 ou de la Cour d’appel de Rouen du 17 mai 2022.

Quels sont les délais et modalités pour faire appel ?

Le délai d’appel est de quinze jours à compter de la notification de la décision (article 1191 du code de procédure civile)

La déclaration d’appel est faite par le jeune ou son avocat. Elle se fait soit par une démarche au greffe, soit par lettre recommandée.

Devant la Cour d’appel, la procédure est orale.

S’il n’est pas obligatoire pour le mineur d’avoir un avocat, il est très vivement recommandé qu’il soit assisté d’un avocat.


6. Les référés-liberté aux fins de poursuite de l’accueil provisoire d’urgence

La saisine du juge des enfants par un mineur ne suspend pas la décision par laquelle il est mis fin à son accueil provisoire d’urgence. Ainsi, durant le temps de la procédure devant le juge des enfants, le jeune n’est pas mis à l’abri par l’aide sociale à l’enfance et est donc livré à lui-même, il ne peut compter que sur les associations de solidarité, lorsqu’elles sont présentes sur le territoire concerné.

L’expression « mineurs en recours » est généralement utilisée pour désigner les jeunes à cette étape de leur parcours.

Par une ordonnance du 4 juin 2020, le Juge des référés du Conseil d’Etat a ouvert la voie du référé-liberté pour les mineurs non pris en charge durant la procédure devant le Juge des enfants.

Extraits de cette ordonnance :

« 8. Il appartient toutefois au juge du référé, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2, lorsqu’il lui apparaît que l’appréciation portée par le département sur l’absence de qualité de mineur isolé de l’intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, d’enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. »

Précisions procédurales :

Il s’agit d’une procédure de référé-liberté, prévue à l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Cette procédure permet au juge des référés du tribunal administratif de statuer en extrême urgence, dans un délai de 48 heures, lorsqu’est en jeu une liberté fondamentale à laquelle l’administration a portée atteinte.

Le mineur doit donc justifier se trouver dans une situation d’extrême urgence. Cela peut être une situation de rue, une vulnérabilité particulière, le fait d’être une cible de réseaux criminels, etc…

Si un mineur non émancipé n’a pas de capacité juridique et doit donc, en principe, être représenté pour saisir le juge, il en va autrement en référé-liberté. En effet, le Conseil d’Etat a admis que, compte tenu de l’urgence et des circonstances particulières dans lesquelles se trouve un mineur qui sollicite un hébergement du Département, il est recevable à saisir le juge des référés. (CE, Juge des référés, 12 mars 2014, n°375956,)

Dans cette procédure, ce qui est sollicité du Département est la reprise de l’accueil provisoire d’urgence, le temps que la décision judiciaire relative au placement du mineur intervienne.

Il est donc nécessaire de justifier de la saisine du Juge des enfants, y compris d’une demande d’ordonnance de placement provisoire en application de l’article 375-5 du code civil.

Enfin, dans cette procédure, le Juge des référés examine si le département a porté une appréciation manifestement erronée sur la qualité de mineur isolé du jeune. Il est donc attendu du mineur qu’il apporte des éléments suffisamment solides relatifs à sa minorité.

Pour quelques exemples récents d’application :
Tribunal administratif de Versailles 19 novembre 2024
Tribunal administratif de Paris 2 novembre 2024
Conseil d’Etat 15 novembre 2023


7. En l’absence de recours du jeune

Si le jeune décide de ne pas contester la décision remettant en cause sa minorité, il sera considéré comme majeur.

Or, contrairement aux mineurs, les majeurs doivent être titulaires d’un titre de séjour pour pouvoir se maintenir sur le territoire français (Article L. 411-1 CESEDA).

En conséquence, à défaut de régularisation de leur situation administrative (demande de titre de séjour ou demande de protection au titre de l’asile), les jeunes qui ne contestent pas la remise en cause de leur minorité pourront faire l’objet d’une décision d’éloignement.



8. Schéma procédural

Retour en haut de page