La reconstitution de l’état civil

De nombreux mineurs isolés étrangers arrivent en France dépourvus de tout document d’état civil ou d’identité (acte de naissance, carte d’identité, passeport, etc...). La possession de tels documents est exigée pour un certain nombre de démarches. Pour d’autres, elle facilite grandement la prise en compte de l’état civil du jeune, même lorsque la présentation d’un acte n’est pas obligatoire (Voir l’article dédié).

Exigences de reconstitution de l’état civil

L’État français doit permettre à chaque individu présent sur son territoire de posséder un état civil et plus encore lorsqu’il s’agit d’un mineur :

  • Article 8 2° de la Convention internationale des droits de l’enfant : «  si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les États parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. »
  • IGREC n° 273-1 : «  un intérêt public s’attache à ce que toute personne vivant habituellement en France, même si elle est née à l’étranger et possède une nationalité étrangère, soit pourvu d’un état civil  » (Cf. également TGI Paris, 18 janvier 2006, n° 04/10188)
  • Rapport du Défenseur des droits, Les mineurs non accompagnés au regard du droit, 2022 : "La Défenseure des droits a pu constater dans le cadre de l’instruction des réclamations dont elle est saisie, que les services de l’ASE décident rarement d’engager des démarches afin de reconstituer les états civils des mineurs qui leur sont confiés. Il s’agit pourtant d’une obligation au titre de l’article 8-2 de la CIDE qui indique que « Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d’entre eux, les Etats parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible  ».


La reconstitution par les autorités du pays d’origine

La première démarche à effectuer en cas d’absence de documents d’état civil est de s’adresser aux autorités du pays d’origine du mineur afin qu’elles lui délivrent les documents en question.

Le jeune devra s’adresser :

-* aux autorités consulaires de son pays (démarches sur place combinées avec une lettre recommandée avec accusé de réception adressée au Consul Général)

Dans le cas où les consulats et ambassades ne pourraient ou ne voudraient pas délivrer les actes sollicités, il convient se solliciter les autorités du pays d’origine.

Les pratiques sont variables d’un consulat à l’autre. Par exemple, des consulats peuvent refuser de délivrer un acte d’état civil sans la présence du représentant légal. Des consulats ne délivrent pas de copie d’acte de naissance.

Dans l’hypothèse où l’authenticité de l’acte d’état civil délivré par le consulat serait remise en cause par les autorités administratives ou juridictionnelles françaises, il pourrait être utile de prouver les démarches faites avec le consulat. Cela pourra également être utile en cas de reconstitution de l’état civil par le tribunal judiciaire français. C’est la raison pour laquelle il convient de conserver toutes les preuves des démarches faites avec les consulats. Il s’agit par exemple de mail de convocations, d’attestation de témoin (la personne accompagnant le jeune) présent au consulat, de reçu de dépôt de dossier ou de délivrance d’acte, etc...

-* aux autorités compétentes dans son pays d’origine (par lettre recommandée avec accusé de réception si possible ou par le biais d’une personne de confiance présente sur place).

Ces démarches sont plus longues que des démarches effectuées auprès du consulat du pays d’origine en France.

S’il est fait appel à une personne intermédiaire sur place, il est nécessaire que ce soit une personne fiable, de confiance.

Si cette personne envoie des documents en France, il est préférable de faire appel à un transporteur sûr, et de garder l’enveloppe d’envoi.

Attention : s’agissant des mineurs potentiellement demandeurs d’asile, des démarches auprès des autorités consulaires pourraient être interprétées comme un acte d’allégeance et donc faire échec à une éventuelle demande d’asile. De ce fait, elles ne doivent pas êttre effectuées en cas de demande d’asile et c’est l’OFPRA qui se chargera de reconstituer l’état civil de l’intéressé après s’il bénéficie d’une protection internationale.
Attention : si la reconstitution d’état civil est faite alors que le mineur est en situation de rue, il est recommandé que les documents originaux soient mis à l’abri en lieu sûr, selon des modalités permettant au jeune de les récupérer rapidement (en effet, s’il doit les déposer au greffe du tribunal, il faut qu’il puisse le faire dans les meilleurs délais). Le jeune conserve alors avec lui des photocopies en couleur.


La reconstitution par les autorités judiciaires françaises

En principe, les tribunaux français ne peuvent pas se substituer aux autorités étrangères en matière d’établissement de documents d’état civil étrangers ; seules ces dernières peuvent les établir ou, le cas échéant, les rectifier.

Cependant, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, tout individu présent sur le territoire français, et plus spécifiquement les enfants, doit être mis en mesure de détenir des documents d’état civil.

Ainsi, si malgré les démarches entreprises devant les autorités de son pays d’origine, le mineur ne parvient pas à récupérer ses documents d’état civil, ou s’il s’avère qu’aucun acte d’état civil n’a été établi dans son pays d’origine et qu’il ne peut les y faire établir, une requête peut être présentée aux autorités judiciaires françaises afin qu’elles prononcent un jugement établissant les éléments liés à la naissance de cette personne.

Extraits de la [demi-journée d’étude du 1er décembre 2023 "Les mineur.es non accompagné.es face à la reconnaissance de leur état civil" - Intervention de Madame Frédérique PITEUX - Vice-Présidente, Pôle civil spécialisé, Tribunal Judiciaire de Nantes - "La reconstitution de l’état civil des MNA dépourvu.es de document". Le document peut être consulté ici

Que faire lorsque le mineur arrive sur le territoire sans papier ou avec des documents jugés non probants par la préfecture ou l’autorité judiciaire ?

Il est possible de solliciter l’autorité judiciaire française afin qu’elle prononce un jugement supplétif ou déclaratif de naissance qui tiendra lieu d’acte de naissance. La constatation régulière de l’état civil des personnes est une base essentielle de l’ordre social. Il est nécessaire que chacun puisse avoir un nom, un prénom, une date de naissance, un lieu de naissance ou encore une filiation.

Les textes supranationaux, que les juridictions devraient appliquer avant même leur propre droit national, font état de la reconstitution de l’état civil.

C’est notamment le cas de l’article 7 de la Convention internationale des droits de l’enfant sur lequel il convient de s’appuyer, qui prévoit que : « L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux. »

De plus, selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (droit au respect de la vie privée et familiale), «  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Une jurisprudence s’est développée sur la base de ces principes sur le fondement de l’article 55 alinéa 3 du code civil. Il s’agit d’une jurisprudence assise ; elle n’est pas récente et a été réaffirmée à plusieurs reprises.

L’alinéa 3 de l’article 55 du code civil dispose :

« Lorsqu’une naissance n’a pas été déclarée dans le délai légal, l’officier de l’état civil ne peut la relater sur ses registres autrement qu’en vertu d’un jugement rendu par le tribunal de l’arrondissement dans lequel est né l’enfant, et mention sommaire en est faite en marge à la date de la naissance. Si le lieu de la naissance est inconnu, le tribunal compétent est celui du domicile du requérant. Le nom de l’enfant est déterminé en application des règles énoncées aux articles 311-21 et 311-23. »

Sur la base de cet article, la jurisprudence a affirmé qu’un intérêt d’ordre public s’attachait à ce que toute personne vivant en France, même lorsqu’elle est née à l’étranger et possède une nationalité étrangère, soit pourvue d’un acte d’état civil.

Certains tribunaux se fondent sur l’article 46 du code civil, qui paraît pourtant être un fondement moins pertinent.

Cet article implique en effet que le registre d’état civil ait été perdu, détruit ou qu’il n’ait jamais existé, ce qui est plus difficile à prouver. Les conditions posées par l’article 55 du code civil sont plus larges.

La jurisprudence s’appuie sur le constat qu’une fois que le mineur non accompagné est arrivé en France et a vocation à y rester, il faut qu’il puisse vivre normalement (entreprendre une formation, suivre une scolarité, etc.). Or, un grand nombre de démarches du quotidien nécessitent un acte d’état civil.

Le principe de l’article 55 vient se télescoper avec un autre principe qui veut que l’état civil des ressortissants d’un pays soit une prérogative de puissance publique de cet État. L’État français ne peut se substituer au gouvernement étranger pour gérer l’état civil à sa place.

Toutefois, outre les textes supranationaux mentionnés précédemment sur lesquels il est possible de s’appuyer, le paragraphe 28 de la circulaire du 28 octobre 2011 du ministère de la Justice reprend la jurisprudence fondée sur l’application de l’alinéa 3 de l’article 55 du code civil. Il convient de se référer également à une Instruction interministérielle du 21 avril 2022 relative au suivi judiciaire des mineurs à leur retour de zone d’opération de groupement terroriste. Cette instruction prévoit la possibilité pour le parquet de saisir le tribunal judiciaire d’une requête en déclaration judiciaire de naissance, fondée sur l’article 55 alinéa 3 du code civil, et ce avant même que la filiation maternelle n’ait été établie.

En pratique, de quelle façon la procédure s’enclenche-t-elle ? Jusqu’où peut-elle aller ? Quelles décisions peuvent être prises ?

Le tribunal judiciaire du domicile du mineur est compétent pour rendre un jugement supplétif ou déclaratif de naissance. Pour déterminer le domicile du mineur, il convient de prendre en compte l’endroit où il réside effectivement (il ne s’agit donc pas nécessairement du tribunal dans le ressort duquel se situe le siège du conseil départemental qui a en charge le mineur).

Si la personne est encore mineure, elle doit être représentée par l’organisme qui la prend en charge dans le cadre d’une ordonnance de placement provisoire, d’une décision de placement ou bien d’une tutelle (dans ce dernier cas, l’ASE présente la requête au nom du mineur).

Par exemple, en Loire-Atlantique, une ordonnance de placement provisoire est prise. Si l’identité est confirmée après le rapport d’évaluation, le juge des enfants maintient le placement. Une tutelle d’État est ensuite ouverte et déférée au conseil départemental. Dans ce cas, ce dernier présente la requête au nom du mineur. Si, entre temps, le mineur devient majeur, il doit reprendre l’action en intervenant lui-même à la procédure.

La procédure est gracieuse et non contentieuse. La représentation par un avocat est toutefois obligatoire.

Il convient de démontrer que l’intéressé n’est pas en mesure d’obtenir un extrait ou une copie intégrale d’acte de naissance dans son pays d’origine, soit parce qu’il ne peut pas effectuer ces démarches lui-même en raison de l’absence de contact dans le pays d’origine, soit parce qu’il s’agit d’un pays en guerre.

En ce sens, sont produits devant le Tribunal judiciaire des courriers qui ont été envoyés :

  • à la mairie du lieu de naissance supposé ;
  • à l’ambassade du pays d’origine en France ;
  • et, quelquefois, à l’ambassade de France dans le pays d’origine, lorsque la France y est encore représentée.

En règle générale, ces courriers n’obtiennent pas de réponse. Au bout d’un certain délai sans réponse, souvent six mois, il est admis que le mineur ne peut pas se procurer de document d’état civil. La naissance du mineur est dans ce cas déclarée judiciairement en reprenant les éléments d’identité qu’il a donnés de façon constante depuis son arrivée en France (rapport d’évaluation, juge des enfants, juge des tutelles) et qui, la plupart du temps, n’ont jamais été remis en question, notamment par le Parquet.

Il est ainsi possible de rendre un jugement déclaratif de naissance.

Le tribunal n’a aucun moyen de vérifier la réalité des informations. Nous prenons en compte les éléments donnés de façon constante : le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance, éventuellement les noms et prénoms des parents. Il n’appartient en revanche pas au Tribunal dans le cadre de cette procédure d’établir la nationalité du mineur.

Nous avons eu connaissance de quelques dossiers dans lesquels le directeur de greffe avait refusé l’enregistrement de la déclaration de nationalité française, sous prétexte que le mineur avait produit, dans un premier temps, un acte de naissance de son pays, puis le jugement établi par le tribunal judiciaire de Nantes. Il en déduisait qu’il ne justifiait pas d’une identité certaine. Après recours cependant, le tribunal judiciaire a retenu que le seul acte d’état civil valable était celui qui avait été établi par le jugement du tribunal.

La difficulté est plus importante lorsque le mineur arrive en France avec des actes. Il s’agit souvent d’un jugement supplétif de naissance établi dans le pays, sur la base duquel un acte de naissance a été dressé. Régulièrement, la police aux frontières souligne le non-respect (par l’acte) de la législation du pays d’origine lors de l’établissement de l’acte (avec parfois des erreurs). Dans le ressort du Tribunal de Nantes, concernant la Guinée, l’existence d’une fraude généralisée dans le pays d’origine est souvent invoquée par la police. Ces arguments ne lient pas le juge.

Lorsque les documents fournis par le mineur sont des copies, il est tout d’abord nécessaire de les analyser. En effet, si l’acte d’état civil est considéré comme probant, le tribunal judiciaire ne se substitue pas aux autorités du pays d’origine qui a établi un acte d’état civil.

En revanche, si l’acte n’est pas probant au sens de l’article 47 du code civil, le tribunal peut établir un jugement déclaratif de naissance.

Il convient de relever que les juridictions administratives n’aboutiront pas forcément à la même décision s’agissant du caractère probant de ces documents. Les décisions antagonistes sont fréquentes entre (différents) les deux ordres de juridiction. Ainsi, il est possible que le tribunal judiciaire considère que l’acte de naissance présenté est probant et refuse de rendre un jugement déclaratif de naissance, alors que dans le cadre d’un recours devant une juridiction administrative (notamment en matière de refus d’admission au séjour), celle-ci considérerait que l’acte n’est pas probant.

En outre, dans certains cas, le mineur a un acte d’état civil dans son pays d’origine, puisqu’il peut produire un passeport dont la police aux frontières reconnaît l’authenticité. La jurisprudence du tribunal judiciaire de Nantes consiste à retenir que si le mineur est en mesure de produire un passeport, ce document d’identité a nécessairement été fait sur la base d’un acte d’état civil établi dans son pays d’origine. Or, l’État français n’a pas à se substituer au pays d’origine pour (produire) établir un nouvel acte d’état civil. La difficulté pour le mineur concerné est que l’autorité administrative n’accordera pas forcément de valeur probante à ce passeport.

Toutefois, dans la grande majorité des cas, le mineur qui a recours à cette procédure est dépourvu de tout document d’état civil ou bien présente des documents manifestement irréguliers, raison pour laquelle un jugement déclaratif (d’acte) de naissance est établi.

Cette jurisprudence est une façon de consolider l’état civil du mineur qui arrive souvent très démuni. Cela va lui permettre de mener une vie plus normale sur le territoire français, sur lequel il a vocation à demeurer.

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