Rapport 2024 sur les centres et locaux de rétention administrative

Date de publication : 29.04.2025

Source : La Cimade

Auteurs : Forum réfugiés, France terre d’asile, Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte

Voir en ligne : www.lacimade.org


Communiqué de presse (La Cimade) :

« Communiqué commun : A l’heure où les parlementaires étudient plusieurs propositions de loi visant à durcir le caractère répressif de la rétention administrative et à restreindre l’accès des personnes étrangères retenues à leurs droits, les associations intervenant dans les centres de rétention administrative (CRA) – Forum réfugiés, France terre d’asile, Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte – publient collectivement leur rapport annuel. 40 ans après la création du premier CRA, elles y dressent le constat accablant d’une utilisation de plus en plus massive et disproportionnée de l’enfermement administratif, de situations individuelles dramatiques et de violations fréquentes des droits fondamentaux des personnes retenues.

Si le texte examiné au Sénat le 12 mai prochain visant à confier à l’OFII la mission d’assistance juridique dans les CRA était adopté, il porterait un coup grave à l’accès aux droits des personnes privées de liberté, à la transparence démocratique et à la place des acteurs de la société civile dans le contrôle des politiques publiques.

En 2024, plus de 40 000 personnes ont été enfermées dans les CRA de France hexagonale et d’Outre-mer.

A l’occasion du 40ème anniversaire de la rétention, ce rapport retrace son histoire, du scandale du hangar d’Arenc aux structures ultrasécuritaires des CRA d’Olivet et de Lyon 2. Il décrypte les principales évolutions observées ces quatre dernières décennies, où les réformes successives ont élargi le cadre de son utilisation, réduit les dispositions protectrices et laissé de plus en plus de place à la libre appréciation des préfectures et à l’arbitraire qui en découle.

La loi asile et immigration du 26 janvier 2024[1] a supprimé les protections contre l’éloignement dont bénéficiaient certaines personnes du fait, notamment, de leur état de santé ou de l’intensité de leurs liens familiaux sur le territoire français. Elle a sacralisé l’utilisation de la notion de « menace pour l’ordre public » comme critère central pour justifier les décisions de placement et de prolongation de la rétention, en dépit de son caractère flou et discrétionnaire. Les décisions administratives d’expulsion et de placement en rétention prennent ainsi de moins en moins en compte la situation individuelle des personnes concernées. Aussi, à rebours de nos constats répétés sur l’impact délétère de l’enfermement sur la santé physique et mentale, notamment des personnes les plus vulnérables, la durée moyenne de rétention n’a cessé d’augmenter, atteignant en 2024 près de 33 jours.

L’augmentation progressive du nombre de places dans les centres et locaux de rétention, ainsi que l’allongement au fil des réformes de la durée maximale d’enfermement sont autant de mesures pensées exclusivement à l’aune de la chimère selon laquelle enfermer plus permettrait d’éloigner plus. Le taux d’éloignement depuis les CRA n’a cependant que très peu augmenté, de 36 % environ en 2023 à 39 % en 2024 depuis l’Hexagone. Ce chiffre met en lumière l’utilisation détournée, à visée presque carcérale, de la rétention, pourtant légalement conditionnée à l’existence de perspectives réelles de renvoi et justifiée uniquement par des motifs administratifs.

Dans les Outre-mer, notamment à Mayotte qui concentre la majorité des placements, de graves atteintes aux droits fondamentaux sont constatées chaque jour et facilitées par l’application d’un régime dérogatoire qui permet des éloignements rapides, souvent antérieurs à (et donc en l’absence de) tout contrôle judiciaire. De nombreux enfants continuent notamment d’y être enfermés, malgré les condamnations multiples de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.

Face à ces constats alarmants, le rôle de vigie et de contre-pouvoir exercé par nos associations, directement menacé par le projet de loi visant à confier à l’OFII (organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur) le travail d’information des personnes retenues sur leurs droits, est plus que jamais essentiel. A l’occasion de la sortie de ce nouveau rapport, nous appelons les parlementaires à ne pas franchir une ligne rouge : celle qui sépare une démocratie respectueuse de ses principes d’un système où le respect des droits fondamentaux devient une variable d’ajustement. Maintenir une assistance juridique indépendante en CRA, ce n’est pas défendre un intérêt sectoriel. C’est défendre l’Etat de droit, la transparence et la dignité dans un domaine où ils sont trop souvent mis à mal. Et plus que jamais, nous appelons nos élus à mettre un terme à ces politiques migratoires stigmatisantes et répressives, et à assurer le respect scrupuleux des cadres légaux et des droits fondamentaux des personnes étrangères. »


Extraits du rapport :

« L’enfermement des enfants en rétention

Parmi les rares avancées de la loi du 26 janvier 2024, l’article 40 signe la fin de l’enfermement des enfants dans les centres de rétention administrative.

Cette mesure intervient 12 ans après la première condamnation de la France à ce sujet par la Cour européenne des droits de l’homme1. De nombreuses autres ont suivi, rappelant régulièrement au gouvernement que l’enfermement d’enfants dans les CRA constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies considère également que le fait d’enfermer un enfant au motif du statut migratoire de ses parents est une violation des droits de l’enfant et est contraire au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant2. Des études ont par ailleurs démontré les conséquences dramatiques de l’enfermement, même de courte durée, sur les enfants : insomnies, repli sur soi, refus de s’alimenter, stress, etc3.

Alors même que cette réalité était parfaitement connue de l’administration, les préfectures du Bas-Rhin et du Doubs ont profité des quelques semaines du mois de janvier précédant l’entrée en vigueur de la loi pour placer au CRA de Metz-Queuleu trois familles, accompagnées de six enfants. Le plus âgé d’entre eux avait 7 ans, deux étaient des nourrissons. La plupart ont été libérés ou éloignés dans le cadre d’un transfert au titre du Règlement Dublin le lendemain de leur placement. Ils ont tous subi au moins 24 heures de privation de liberté inutile mais violente, dans le contexte particulièrement anxiogène de la rétention, dans des conditions inadaptées à leur âge.

Il faut toutefois rappeler que la loi du 26 janvier 2024 reporte à 2027 l’interdiction de l’enfermement des enfants à Mayotte (voir page suivante).

Quelques jours après l’entrée en vigueur de la loi, le ministre de l’Intérieur a pris une instruction recommandant aux préfectures d’avoir recours à l’assignation à résidence pour les familles avec enfants. Celle-ci conclut cependant que la loi permet tout de même le placement d’un des deux parents en CRA et l’assignation à résidence de l’autre avec les enfants4, incitant ainsi clairement les préfets à séparer les familles pour parvenir à la mise en œuvre des expulsions.

La loi du 26 janvier 2024 interdisant l’enfermement des enfants de moins de 18 ans, l’enjeu de la reconnaissance de la minorité de la personne concernée par l’administration est majeur. En 2024, 56 personnes considérées comme majeures par l’administration se sont déclarées mineures auprès de nos associations. Elles ont toutes été placées en rétention avec les adultes, sans aucune prise en considération de leur particulière vulnérabilité. Les préfectures ne tiennent pas compte de leurs déclarations en audition au sujet de leur minorité, alors même que, selon une jurisprudence claire de la Cour de cassation, le doute sur leur âge devrait leur profiter5. La récupération d’éléments de preuve est parfois particulièrement complexe, les actes de naissance produits par certains États étant régulièrement remis en question. Par ailleurs, la production de documents attestant de leur âge ne suffit pas systématiquement à conclure à la libération de ces jeunes, souvent au motif qu’une évaluation de leur minorité par la préfecture aurait préalablement eu lieu.

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MAYOTTE

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Statistiques

En 2024, 22 325 personnes ont été enfermées dont 2 266 mineurs, pour 17 681 éloignements. Parmi elles 13 579 ont été placées en CRA, dont 1 860 mineurs, pour 10 105 éloignements.
8 746 personnes ont été placées en LRA, dont 406 mineurs, pour 7 576 éloignements.

2 828 personnes ont pu avoir accès à l’association, parmi lesquelles 1 949 ont vu leurs situations transmises à la préfecture dans le cadre d’un recours gracieux afin de solliciter le retrait de l’OQTF*.

311 saisines du juge des référés ont été effectuées, aboutissant à 108 suspensions d’OQTF dont 28 injonctions retour**.

66 saisines du Juge des libertés et de la détention ont été effectuées, aboutissant à 25 mains levées.

550 demandes d’asile ont été effectuées en rétention.

L’association Mlezi Maoré présente au sein du CRA s’occupe des parents d’enfants français, des parents d’enfant malade ainsi que des mineurs. 1 696 personnes ont pu s’entretenir avec l’association Mlezi Maoré, dont 158 mineurs déclarés majeurs sur leur OQTF.

Cette année a été marquée par une baisse du nombre d’enfermements et d’expulsions, qui s’explique par trois facteurs. Premièrement, des blocages intenses organisés par les collectifs citoyens de fin janvier à début mars ont paralysé l’île et par conséquent les interpellations.

Deuxièmement, l’intégration au CRA de personnes d’Afrique des Grands Lacs (notamment congolaises) a monopolisé une grande partie du CRA, avec des personnes qui ont réalisé leurs démarches d’asile en rétention et qui sont restées entre 60 à 90 jours. Par ailleurs, plusieurs vols ont eu lieu à destination de Goma en RDC, ce qui a concentré les activités du CRA sur les expulsions de ces ressortissants.

Troisièmement, le cyclone Chido qui a frappé l’île le 14 décembre 2024 a conduit à la fermeture du CRA et des LRA. Le fonctionnement du CRA a donc été mis en pause durant les quinze derniers jours de 2024.

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Rapport en PDF :

Rapport 2024 - Centres et locaux de rétention administrative
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