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La place des mineurs étrangers isolés dans l’espace scolaire français : quelles conséquences sur le rapport à l’apprentissage ?

Revue Espaces scolaires et plurilinguismes - N°5/2013

Publié le mardi 18 juin 2013 , mis à jour le jeudi 24 mars 2016

Auteur : Eva LEMAIRE

"La place des mineurs étrangers isolés dans l’espace scolaire français : quelles conséquences sur le rapport à l’apprentissage ? (1)", Les Cahiers du GEPE, N°5/ 2013. Espaces scolaires et plurilinguismes (2013).

Résumé

La place des mineurs étrangers isolés dans l’espace scolaire français : quelles conséquences sur le rapport à l’apprentissage ?] Sans parents pour les protéger, les « mineurs étrangers isolés » sont pris en charge par les services sociaux, mais la protection de l’État, toutefois, cesse de leur être acquise dès lors qu’ils entrent dans leur dix-huitième année. Pour rester en France, ces jeunes migrants doivent se voir accorder un titre de séjour. Or, l’obtention de celui-ci est corrélée à l’apprentissage de la langue française et à une intégration scolaire réussie.

Pourtant la fin de l’obligation scolaire à seize ans, le manque de classes adaptées, la difficulté à obtenir une autorisation de travail permettant de bénéficier du statut d’apprenti sont autant d’éléments qui viennent leur fermer les portes du système éducatif.

Malgré ces obstacles, ces adolescents apprennent le français de façon intensive au sein de dispositifs d’accueil spécialisés dans l’espoir, hypothétique, de pouvoir un jour intégrer l’Éducation nationale ou un centre d’apprentissage.

Que cet espoir se concrétise ou non, c’est un rapport ambivalent que les mineurs étrangers isolés nouent à l’apprentissage du français et à la scolarité.

Lire l’intégralité de l’article en ligne au lien suivant : http://www.cahiersdugepe.fr/index.php?id=2429 ou ci-dessous.

Plan

Les mineurs étrangers isolés : présentation d’une situation méconnue
Un accès à la scolarisation problématique
L’« obligation de réussite », une forme de pression singulière
Un rapport ambigu au savoir et à l’école
L’impératif de réussite : une certaine violence
Une « situation d’apprentissage-extrême » qui interroge au-delà de ses spécificités

Texte intégral :

Selon la Convention internationale des Droits de l’enfant, que la France a ratifiée en 1989, les États membres s’engagent à offrir à tout mineur présent sur leur territoire des opportunités égales en terme de scolarisation, sans distinction aucune, « notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »2. Ainsi le droit relatif à l’accès scolaire serait le même pour chaque enfant, qu’il soit notamment français ou étranger. De fait, la circulaire du 20 mars 2002 rappelle que, quel que soit l’âge de l’enfant concerné, l’inscription dans un établissement scolaire ne peut être subordonnée à la présentation d’un titre de séjour3.

Les « mineurs étrangers isolés » se voient pourtant refuser l’accès à certaines formations professionnelles pour des raisons de statut administratif alors que, par ailleurs, l’État français leur enjoint de s’intégrer tant sur le plan scolaire que socioprofessionnel4.

Cette situation paradoxale, que nous allons développer, interroge quant à l’influence du contexte scolaire et para-scolaire sur le rapport qui se forme entre de jeunes primo-arrivants et l’apprentissage et permet de poser la question des responsabilités réciproques entre l’État et ses étrangers quant à l’intégration linguistique et scolaire de ces derniers.

Les mineurs étrangers isolés : présentation d’une situation méconnue

La moitié des 9,2 millions de personnes déplacées et de réfugiés dans le monde sont des mineurs, estime le Haut conseil aux réfugiés. 50 000 de ces mineurs se trouvent en Europe avec, comme particularité, le fait d’être séparés de leur famille. Certains d’entre eux ont en effet perdu leurs parents lors des guerres, conflits religieux ou ethniques qui sévissent dans leur pays. D’autres sont des enfants des rues qui, depuis plusieurs années déjà, n’ont plus de contacts réguliers avec leur famille et qui ont décidé de tenter leur chance dans un pays dit « riche ». D’autres encore ont quitté leur pays d’origine pour fuir la misère, sur leur propre initiative ou à la demande de proches qui espèrent que l’adolescent ainsi mandaté pourra subvenir aux besoins de la famille restée au pays.

La France accueillerait 3 000 à 5 000 de ces adolescents séparés de leurs parents qu’elle nomme « mineurs étrangers isolés ». Précisons à cet égard que cette population, qui regroupe un nombre limité d’individus, fait l’objet de peu d’études, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives. Les données chiffrées disponibles sont ainsi le plus souvent parcellaires, incomplètes, datées et donc peu fiables. Elles sont donc fournies ici à titre purement indicatif.

Un accès à la scolarisation problématique

Dans la mesure où ils se trouvent en France sans parents ou responsable légal, les mineurs étrangers isolés sont considérés, au regard de l’article 375 du Code civil5 comme des enfants « en danger » et doivent normalement être pris en charge par l’État via ses services sociaux, et ce, même s’ils sont entrés clandestinement en France, sans passeport ou titre de séjour valable.

Les services de l’Aide sociale à l’enfance (Ase), qui accueillent les mineurs étrangers isolés au même titre que les enfants et adolescents français bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative, ont pour mission non seulement de leur apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique, mais aussi de veiller à leur orientation, de prévenir leur marginalisation et de faciliter leur scolarisation et leur insertion socioprofessionnelle. Ces missions sont définies par l’article L. 221‑1 du Code de la famille et de l’action sociale6.

Les mineurs étrangers isolés âgés de plus de 16 ans ne sont certes plus tenus à l’obligation scolaire, mais ils ont droit aux mêmes opportunités que les adolescents français et sont censés être soutenus dans leur démarche d’intégration scolaire.

De fait, comme tous les enfants primo-arrivants, les mineurs étrangers isolés passent rapidement, en règle générale, des tests auprès des Centres d’information et d’orientation (CIO) ou des Centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants (Casnav) pour que leur niveau de maîtrise du français et de scolarisation antérieure soit évalué et qu’une orientation scolaire puisse être proposée. Peu de ces jeunes migrants ont un niveau suffisant pour accéder aux classes « ordinaires » des filières générales ou professionnelles proposées par les collèges et lycées.

Provenant de pays aussi variés que la Chine, la Roumanie, le Pakistan, l’Inde, le Zaïre ou encore l’Angola pour ne citer que ceux-là, nombre de ces jeunes ne sont pas francophones et ne parlent pas un mot de français à leur arrivée en France. À titre d’exemple, on note qu’en 2005, l’association Enfants du Monde-Droits de l’Homme accueillait 62 % de non-francophones. Dans une autre structure de la région, 18 des mineurs isolés (sur 40) pris en charge, étaient alloglottes et plus d’un quart d’entre eux étaient en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme à leur arrivée7. Il n’est en effet pas rare que, parmi les mineurs étrangers isolés accueillis, certains n’aient été que peu voire jamais scolarisés dans leur pays d’origine.

Parce qu’ils sont non-francophones ou qu’ils ont été peu scolarisés antérieurement et dès lors qu’ils sont âgés de plus de seize ans, nombre de ces jeunes gens rejoignent le lot des jeunes primo-arrivants en attente de scolarisation, faute de classes adaptées (classes d’accueil ou classes réservées aux élèves non scolarisés antérieurement). Cette réalité est surtout observée en région parisienne qui, devant la région des Bouches-du-Rhône, est la plus concernée par l’afflux de cette population.

En l’absence d’une affectation en lycée, et dans le cadre de la mission générale d’insertion (MGI), l’Éducation nationale peut parfois diriger les mineurs isolés vers ses différents dispositifs destinés aux élèves en voie de déscolarisation, notamment les cycles d’insertion professionnelle par alternance (Cippa). Ces Cippa, qui proposent aux jeunes non diplômés et en situation de rupture scolaire un travail d’orientation, des cours de remise à niveau ainsi que, pour certains, des cours de français langue étrangère, doivent permettre d’acquérir les pré-requis nécessaires à une formation qualifiante.

Or, et là réside la spécificité de la situation des mineurs étrangers isolés, l’accès à ces formations qualifiantes leur est souvent refusé à cause de l’indétermination de leur statut juridique et de l’ambivalence de la législation française à leur égard.

Soulignons d’abord que, pour ces jeunes migrants, la voie de scolarisation la plus souvent envisagée est celle proposée par les centres de formation par alternance (CFA). En effet, ceux-ci ont généralement des exigences moindres quant au niveau scolaire des élèves et valorisent fortement les expériences et savoir-faire professionnels. Les CFA proposent en outre une formation diplômante courte, en adéquation avec la nécessité, pour les mineurs isolés, de devenir rapidement autonomes sur le plan financier. La prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance (Ase) est en effet remise en question à leur majorité et ne peut en aucun cas s’étendre au-delà de l’âge limite de 21 ans.

Pour pouvoir intégrer ces formations par alternance, les mineurs isolés, parce qu’ils sont étrangers, doivent présenter aux établissements de formation une autorisation provisoire de travail (APT) délivrée par les Directions départementales du travail et de l’emploi (DDTE). Notons en effet que si les stages conventionnés effectués par les lycéens ne nécessitent aucune formalité particulière, ce n’est pas le cas pour les formations engagées au sein d’un CFA, car il n’est pas là question d’un stage, mais d’un véritable contrat de travail passé entre l’employeur et l’apprenti.

Or, l’octroi de telles autorisations provisoires de travail ne va nullement de soi. Seuls les mineurs (et les jeunes devenus majeurs) ayant été pris en charge par l’Ase avant l’âge de seize ans se voient accorder, sans difficulté, la précieuse autorisation. Pour leurs camarades, arrivés plus âgés en France et majeurs au moment où ils sont prêts à entrer en formation, l’autorisation de travail et le titre de séjour l’accompagnant ne sont censés être accordés qu’ « exceptionnellement » et au « cas par cas », selon les circulaires du 2 mai 2005 et du 5 octobre 20058. D’après ces textes, ne recevront les papiers nécessaires à l’entrée en CFA que les jeunes pouvant attester de leur volonté d’intégration, une volonté devant se traduire par la maîtrise du français, la cohérence du projet scolaire et socioprofessionnel et par un investissement certain dans la scolarité. Ces mesures apparaissent d’autant plus paradoxales que, nous l’avons précisé précédemment, l’État tarde à scolariser les mineurs isolés dans des classes adaptées, voire se montre dans l’incapacité de le faire, faute de moyens. L’accès au cas par cas à la formation semble en outre donner lieu à de réelles disparités régionales. Ainsi, alors qu’en Ile-de-France, les jeunes migrants obtiennent avec une relative clémence les papiers nécessaires à la conduite de leur projet de formation, dans d’autres régions, les directeurs d’établissement spécialisés dressent un constat bien plus négatif ; un constat que déplore par ailleurs l’actuelle Défenseure des enfants, Dominique Versini9.

Cette restriction quant à l’accès à la formation, qui distingue les mineurs pris en charge après l’âge de seize ans, est de fait d’autant plus problématique que l’âge moyen des mineurs isolés arrivant en France serait justement légèrement supérieur à seize ans, selon J-M. Rolland10.

Pour grand nombre de jeunes migrants donc, l’autorisation de travail n’est nullement accordée de droit. Or, sans APT, ils ne peuvent entrer en formation, quand bien même ils auraient passé avec succès les tests d’admission dans les CFA et trouvé un employeur.

Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant, que la France s’est engagée à respecter, stipule que les États signataires « encouragent l’organisation de différentes formes d’enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées11 », force est donc de constater que l’État restreint l’accès à ces lieux de scolarisation adéquats que sont les CFA. Les logiques du droit de l’enfant et de maîtrise de l’immigration entrent ici clairement en conflit. Alors que N. Sarkozy rappelait en 2006, lors d’un déplacement au Mali et au Bénin qu’« un Africain sur deux a moins de 17 ans12 », l’État semble en effet craindre de créer un « appel d’air » en offrant notamment aux mineurs isolés la possibilité d’être « facilement » régularisés par le simple biais de la scolarisation.

Mais au-delà du questionnement politique et juridique quant à l’accès à la scolarisation et à la formation, se pose le problème de la motivation des mineurs étrangers isolés autour de l’apprentissage alors qu’une décision administrative, en partie arbitraire, est susceptible de réduire à néant leurs efforts d’intégration linguistique et scolaire.

Le rapport que les mineurs étrangers isolés nouent avec l’apprentissage et la scolarisation est en outre marqué par un autre élément contextuel déterminant : l’obligation pour ces jeunes gens de faire rapidement la preuve de leur intégration linguistique.

L’« obligation de réussite », une forme de pression singulière

Si les mineurs isolés sont admis sur le territoire français parce qu’ils sont considérés comme enfants en danger et doivent, de ce fait, bénéficier d’une protection, celle-ci ne leur est plus systématiquement acquise dès lors qu’ils fêtent leur dix-huitième anniversaire. Devenus majeurs, ils doivent, comme tout étranger voulant résider légalement en France, entamer les démarches administratives nécessaires.

Même s’il existe d’autres possibilités, la plupart des mineurs étrangers isolés tentent d’obtenir un titre de séjour mention « salarié » ou, plus souvent, mention « étudiant » ou « vie privée-vie familiale ».

Le titre mention « salarié » peut être octroyé à de jeunes apprentis que leur maître d’apprentissage s’engage à embaucher une fois leur formation achevée.

Le titre de séjour mention « étudiant » est délivré aux jeunes scolarisés. L’octroi de cette carte est soumis à la présentation d’un visa long séjour sauf si le jeune est scolarisé en France depuis l’âge de seize ans et s’engage vers des études supérieures. Le renouvellement de ce titre, qui n’est valable qu’un an, n’est possible que si l’étudiant poursuit sa scolarité avec sérieux et assiduité.

Quant à l’obtention du titre « vie privée-vie familiale », elle implique que l’individu prouve que l’essentiel de ses attaches privées et familiales se trouvent désormais en France et qu’un retour au pays lui porterait considérablement préjudice. Les mineurs étrangers isolés qui, par définition, n’ont pas de parents en France, doivent donc, pour se voir accorder ce titre, faire la preuve de leur bon degré d’intégration socioculturelle ; ce qui passe en partie par une scolarisation réussie en France.

Dans ces trois cas de figure, la réussite scolaire fait donc office de sésame en vue d’une régularisation administrative. La circulaire du 2 mai 2005, émanant de D. de Villepin, alors Ministre de l’Intérieur, insiste sur l’importance des études, de la maîtrise du français et du projet d’insertion socioprofessionnel pour qu’une régularisation puisse être accordée aux jeunes migrants en faisant la demande à leur majorité13.

S’inscrire avec succès dans une scolarisation en France est donc non seulement primordial dans une optique de régularisation, mais cette inscription est également fondamentale en ce qu’elle détermine la possibilité, pour les mineurs isolés, de continuer à bénéficier de l’aide sociale, éducative et financière de l’Aide sociale à l’enfance à leur majorité. Les contrats jeunes majeurs, qui permettent de prolonger les mesures d’assistance éducative jusqu’à l’âge de 21 ans, sont souvent corrélés à la capacité du jeune adulte à défendre un projet socioprofessionnel dans lequel il est engagé. Autrement dit, si le (ex) mineur isolé ne peut convaincre l’Ase de son désir d’intégration linguistique, scolaire et socioprofessionnelle, il court le risque de se retrouver brutalement dépourvu de l’hébergement, du soutien et de l’aide financière dont il bénéficiait jusqu’alors.
La pression pesant sur l’apprentissage n’en est que plus forte.

Cette pression est encore accentuée par le fait que, pour relever le défi d’une scolarisation réussie, les mineurs étrangers isolés, arrivés en moyenne à l’âge de 16 ans, ne disposent que de très peu de temps ; et ce, alors que beaucoup sont non-francophones, ont souvent un faible niveau scolaire et ne sont pas toujours accueillis dans les structures scolaires adéquates.

Quel rapport les mineurs isolés peuvent-ils, dans un tel contexte, nouer avec l’apprentissage et la scolarisation ? La question reste ouverte, mais l’enquête menée dans quatre structures d’accueil spécialisées dans la prise en charge de ces jeunes migrants permet de disposer de premiers éléments de réflexion. Trois des quatre centres qui constituent le terrain de la recherche travaillent en collaboration avec l’ASE, le dernier d’entre eux accueillant les adolescents en amont, avant qu’ils n’aient été reconnus officiellement « mineurs » et « isolés » par les autorités compétentes. Ces structures associatives, socio-éducatives, proposent un suivi éducatif, psychologique et juridique ainsi que des cours « à l’interne » (cours de français langue étrangère ou langue seconde, alphabétisation, remise à niveau scolaire, etc.), assurés pour la plupart par des enseignants formés en didactique des langues. Ces cours sont obligatoires14.

Un rapport ambigu au savoir et à l’école

De manière globale, les mineurs étrangers isolés adhèrent à ces cours qui, dès le début de la prise en charge, permettent aux non-francophones d’apprendre à communiquer en français, aux illettrés d’acquérir la maîtrise de l’écrit, et à tous de retrouver une dynamique de vie structurante. Après une phase de premier accueil, ces cours transitoires visent à préparer, à moyen terme, l’intégration d’une classe « ordinaire » au sein d’un lycée de l’Éducation nationale ou d’un CFA.

Or, pour certains adolescents, en situation de rupture scolaire depuis plusieurs mois voire plusieurs années, il est particulièrement difficile de se projeter dans une dynamique de scolarisation alors que, pour eux, l’école est souvent synonyme d’échec. Leur projet, en arrivant en France, n’était pas d’y poursuivre des études mais d’y travailler.

D’autres, au contraire, rêvent de renouer avec une scolarité qu’ils regrettent d’avoir dû interrompre ou rêvent que la France leur offre cette chance qu’ils n’ont pu avoir dans leur pays : celle d’aller à l’« Ecole », qui dès lors est auréolée d’un prestige certain. Ceux-là acceptent difficilement que l’académie ne leur attribue pas d’affectation. Une certaine frustration peut également surgir chez certains dans la mesure où les perspectives de scolarisation leur apparaissent fortement limitées : il est en effet irréaliste pour ces jeunes d’envisager des cursus à la fois généraux et longs, même s’ils en ont les capacités. La nécessité d’entrer rapidement sur le marché du travail pour pouvoir être autonome sur le plan financier — avant que la prise en charge sociale ne s’arrête — borne les perspectives scolaires.

De plus, leur orientation professionnelle apparaît parfois sacrifiée dans la mesure où la nécessité de s’inscrire rapidement dans une scolarité les amène le plus souvent à saisir la première affectation qui s’ouvre à eux. En pratique, certains jeunes préfèrent s’engager dans une formation ou s’inscrire dans tel CFA plutôt que dans un autre du simple fait que des places y sont immédiatement disponibles. Pour ceux-là, il faudra parfois accepter la perspective d’une formation professionnelle qui ne soit pas nécessairement en adéquation avec leurs désirs.

Néanmoins, d’après les professionnels de terrain rencontrés, l’impératif de s’inscrire dans une scolarisation en France pour pouvoir y demeurer dans de bonnes conditions suscite une forte motivation chez les mineurs isolés. Mais ce pourquoi ces adolescents investissent l’école ne reste-t-il pas trop souvent corrélé à la crainte de ne pas obtenir de titre de séjour s’ils ne sont pas engagés dans une dynamique de scolarisation ? S’ils sont motivés, sont-ils pour autant « mobilisés » envers l’apprentissage, pour reprendre la distinction établie par B. Charlot, E. Bautier et J-Y Rochex (1992 : 21) ? Selon ces auteurs, on « motive quelqu’un » (de l’extérieur) alors que l’apprenant « se mobilise » (de l’intérieur). Or, « la mobilisation, enracinée dans l’histoire de l’individu, a toutes les chances d’être plus durable qu’une motivation provoquée de l’extérieur ». De fait, on constate que les abondons scolaires de la part des jeunes migrants correspondent le plus souvent à un refus de titre de séjour ou au contraire à l’octroi dudit titre. La scolarisation ayant principalement pour but d’obtenir des papiers, dans la représentation de certains jeunes migrants, celle-ci est abandonnée dès lors que l’échéance devient caduque. Et si la perspective d’être formés à un emploi se révèle attrayante, elle n’est pas suffisante aux yeux de jeunes qui estiment pouvoir trouver un travail déclaré ou clandestin par le biais des réseaux communautaires.

Si le « désir d’école » peut ainsi s’exprimer fortement, le « désir de savoir » reste beaucoup moins évident, sauf, selon les enseignants interrogés, chez les illettrés pour qui l’accès à la lecture et l’écriture reste ressenti comme un savoir fondamental, à acquérir en soi.

En quoi cela serait-il étonnant par ailleurs que nombre de mineurs étrangers isolés instrumentalisent le savoir, ne se l’approprient pas réellement alors que leur avenir ne se dessine qu’en filigrane ? A. De la Garanderie évoque ce nécessaire « imaginaire d’avenir »15 pour que les apprenants puissent investir le savoir. Or, les mineurs isolés demeurent dans un entre-deux, entre pays d’accueil et pays d’origine. L’État leur demande de prouver leur intégration sans leur en donner tous les moyens et en brandissant toujours la menace d’un arrêté de reconduite à la frontière. Ces jeunes migrants, accueillis mineurs, tendent à être rejetés une fois devenus majeurs. Dès lors, l’apprentissage du français et la réussite scolaire, comme symboles d’intégration, ne peuvent que pâtir de l’ambivalence de l’accueil que leur réserve la France.

L’impératif de réussite : une certaine violence

Dans cette « course effrénée » à l’intégration linguistique et scolaire, les langues et cultures d’origine, dans les classes des centres d’accueil spécialisés, tendent incidemment à être évincées au profit de la langue et de la culture cibles, que les élèves doivent rapidement s’approprier.

Même si certains des enseignants qui exercent dans ces structures tentent de prendre en compte les langues et cultures des apprenants et mettent en place des activités ponctuelles sur ce thème, l’attention reste quasi exclusivement focalisée sur la langue française. La situation est globalement celle d’un bilinguisme soustractif : la langue seconde est acquise au détriment du maintien des langues d’origine. Dans un contexte où il est demandé aux migrants de faire rapidement la preuve de leur intégration, l’éviction des langues maternelles ne peut qu’alimenter un certain « stress acculturatif16 », c’est-à-dire la crainte de perdre avec la rencontre de la culture d’accueil sa culture et son identité propres.

En outre, le désir d’amener rapidement les apprenants à un niveau tel qu’ils puissent s’inscrire avec succès dans une scolarisation en France concourt à ce que soit parfois occultée la dimension affective et identitaire des apprentissages. Les enjeux de l’apprentissage et l’urgence de la situation amènent ainsi ponctuellement les enseignants à exercer une véritable violence à l’égard des jeunes migrants pour qu’ils apprennent toujours davantage. Les observations directes de classes menées dans les centres d’accueil en témoignent. Citons par exemple cette injonction d’un professeur de français langue étrangère, qui réagit aux propos tenus par un élève dans sa langue maternelle : « Il faut parler français ! Mais oui ! On s’en fout de votre langue ! »17 Si l’enseignant est désireux de favoriser les échanges en langue cible et refuse que les élèves aient recours à leur langue en classe, cette éviction, maladroite, qui ne respecte pas l’identité des individus, ne peut que susciter le rejet, en retour. L’élève à qui s’adresse l’enseignant rétorquera d’ailleurs un glacial : « Eh bien nous aussi, on s’en fout de votre langue ! »

Il est certes nécessaire que les enseignants encouragent et favorisent les acquisitions des mineurs isolés, mais la pression exercée pour qu’ils s’investissent sans cesse davantage dans l’apprentissage et mettent en œuvre tous les moyens pour réussir à l’école peut aussi créer un climat de stress, potentiellement défavorable aux apprentissages. L’observation d’une centaine d’heures de cours, dispensés dans quatre centres d’accueil pour mineurs isolés, a permis de mettre en évidence l’existence de situation où s’exerce une réelle pression sur les élèves, pression qui peut être ressentie comme violente. Ces situations, il faut le souligner, demeurent marginales mais les deux séquences de cours qui suivent en sont un exemple.

Alors que le cours s’achève, une élève éthiopienne prend à partie son enseignante, lui faisant part de son inquiétude quant au fait de ne pas être encore scolarisée. Les propos tenus par la jeune Meseret, en France depuis quelques mois, émergent alors que la classe vient d’accueillir deux nouvelles venues. L’enseignante vient de préciser que ces dernières ne resteront pas longtemps au sein du groupe-classe dans la mesure où, âgées de moins de seize ans, elles seront sans aucun doute rapidement scolarisées par l’Éducation nationale. Meseret réagit, évoquant son propre cas :

Meseret : Je sais pas où je vais partir après un mois, après deux mois, trois mois, parce que je vais parler pour moi… […] parce que pour moi c’est difficile, parce que c’est moi, dixième en Ethiopie, je parlais, écrire, c’est pas grave, j’ai tout ! Mais le problème c’est que moi je connais pas assez français ! Parce que moi ici je vais trois mois, six mois, je vais parler comme ça ! Je parle pas, c’est ça ! Je vais pas à l’école ! […] Moi, j’ai pas famille ici, j’ai rien tu comprends ? Moi j’ai 18 ans18, c’est ça le problème ! Et là je pense moi j’ai 18 ans, voilà, y a pas papa, y a pas maman, papa, maman, y en a pas !

A travers ces propos que tient Meseret apparaît clairement l’angoisse de ne pas parler « assez français », de ne pouvoir suivre une scolarité en France et de se retrouver à dix-huit ans, avec « rien », « sans papa », « sans maman », « sans famille ». Suite à ces inquiétudes, exprimées par la jeune fille mais aussi par d’autres élèves, l’enseignante conclura le cours sur ces quelques mots :

Même si tu vas à l’école, ça changera rien au problème ! A 17 ans, on travaille essentiellement sur le projet professionnel ! […] Peu importe si tu vas à l’école ! Y aura pas une autre école derrière ! Y aura une formation ! C’est pour ça qu’on travaille sur le projet professionnel ! Sans ça, y a rien !

Puis :

C’est pour ça que je vous demande de travailler le week-end et le soir ! […] Il faut apprendre tous les jours ! Et pas seulement ce que tu fais avec moi ! Y a une bibliothèque ici, vous pouvez tous vous inscrire pour prendre des livres ! Lire ! Relire ! Les journaux ! Tout ce que vous pouvez pour apprendre ! … Donc y a la personne pour vous apprendre et y a vous ! Ce que vous allez faire pour vous ! Moi toute seule je peux pas ! ? ça sert à rien !… Tu comprends ce que je veux dire ? Vous avez peu de temps… C’est vrai que c’est très difficile pour vous ! C’est pour ça qu’on vous donne… Ici y a pas que du français ! Y a du projet professionnel, vie sociale19, c’est riche !… Tu comprends ? Pour avancer le plus vite possible dans la langue française ! Alors c’est ça qu’il faut faire !

Comment, dans ce contexte, les mineurs isolés peuvent-ils apprendre sereinement et parvenir à relever le défi d’une intégration linguistique et scolaire rapide ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la situation provoque incompréhension et colère chez des jeunes qui peinent à comprendre pourquoi il leur est demandé d’une part de faire rapidement la preuve de leur intégration linguistique et scolaire alors qu’ils tendent par ailleurs à être tenus en marge du système éducatif français.

Une « situation d’apprentissage-extrême » qui interroge au-delà de ses spécificités

Bien que marginale, cette situation d’apprentissage, parce qu’elle pointe de fortes incohérences, attire l’attention sur des réalités que l’on tend parfois à occulter.

Alors qu’en France, cela peut sembler a priori évident, le cas des mineurs étrangers isolés rappelle que l’école est un droit et que celle-ci porte une véritable responsabilité quant à l’intégration des enfants primo-arrivants, une intégration qui, dans tous les cas, ne saurait se concevoir dans l’urgence et sous la pression.

D’outils d’intégration progressive, la scolarisation et l’apprentissage du français deviennent ici des conditions sine qua non que les mineurs isolés doivent remplir s’ils désirent vivre en France. Ce renversement de situation, qui ne peut que bouleverser le rapport à l’apprentissage, ne saurait qu’interroger à l’heure où tout personne étrangère admise pour la première fois sur le territoire français doit désormais s’engager à signer avec l’État un contrat d’accueil et d’intégration dont le volet formation linguistique est « validé » par l’obtention d’un diplôme, le Diplôme initial de langue française.
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Sibony, D., 1991, L’entre-deux : l’origine en partage, Paris, Points, Essais.
Notes

1 La réflexion sur cette question a été prolongée dans : Lemaire, E., 2012, « Portraits de mineurs isolés étrangers en territoire français : apprendre en situation de vulnérabilité » dans la Revue Internationale de l’Education Familiale, 31, p. 31‑53.

2 Convention internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée par la France en 1989. Citation extraite du préambule : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Conv_Droit_Enfant.pdf.

3 Circulaire n°2002-063 du 20 mars 2002 de l’Éducation nationale, relative aux modalités d’inscription et de scolarisation des élèves de nationalité étrangère des premier et second degrés, NOR : MENEO200681C, www.education.gouv.fr/botexte/sp10020425/MENE0200681C.htm

4 Cf. notamment la circulaire du 2 mai 2005, NOR : INT/D/05/00053/C, www.gisti.org/IMG/pdf/norintd0500050c.pdf

5 www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnArticleDeCode?code=CCIVILL0.rcv&art=375

6 www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006074069&idArticle=LEGIARTI000006796780&dateTexte=20081026

7 Données de 2007 issues du suivi d’une cohorte de 40 mineurs étrangers isolés sur une période de trois années au moins.

8 Circulaire du 2 mai 2005, NOR : INT/D/05/00053/C., consultable sur : www.gisti.org/IMG/pdf/norintd0500050c.pdf circulaire n°452 du 5 octobre 2005, relative à la délivrance d’autorisations de travail aux mineurs et jeunes majeurs isolés en vue de conclure un contrat d’apprentissage. Texte de la circulaire consultable à l’adresse suivante : http://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_2005-10-05_no_452_dpm-dmi2.pdf

9 Colloque organisé par la Défenseure des enfants le 20 juin 2008 à la Maison du Barreau de Paris : « Mineurs étrangers isolés, vers une harmonisation des pratiques dans l’intérêt supérieur de l’enfant ». Retranscription sur www.defenseurdesenfants.fr/pdf/Actes_MEI.pdf

10 Rolland J-M., 2004, Rapport parlementaire n° 1864, Paris, Assemblée nationale, en ligne, consulté le 5 mai 2007, www.assemblenationale.fr

11 Article 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant, consulté le 26 octobre 2008, http://www.droitsenfant.com/cide.htm

12 Intervention du 18 mai 2006 de Nicolas Sarkozy, Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire, sur le thème du partenariat entre l’Afrique et la France dans le domaine du développement, à Bamako, au Mali : http://www.interieur.gouv.fr/misill/sections/a_l_interieur/le_ministre/interventions/archives-sarkozy-2005-2007/18-05-2006-deplacement-mali/view

13 Circulaire du 2 mai 2005 (NOR : INT/D/05/00053/C), consultable : www.gisti.org/IMG/pdf/norintd0500050c.pdf

14 Les analyses et citations proposées ci-après sont issues des observations directes de classe et des entretiens semi-directifs menés auprès des enseignants dans le cadre de notre recherche de doctorat : Lemaire E., 2007, Enseignement du français en situation d’urgence et de traumatisme : le cas des mineurs étrangers isolés. Thèse en didactique des langues et des cultures, Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle.

15 La notion d’« imaginaire d’avenir » a été développée par Antoine De la Garanderie dans divers écrits, parmi lesquels : De la Garanderie A., 1987, Comprendre et imaginer, les gestes mentaux et leur mise en œuvre, Paris, Bayard, ou De la Garanderie A., 1980, Les profils pédagogiques, Paris, Bayard.

16 Le « stress acculturatif » a été décrit et expliqué par divers psychologues sociaux dont R. Berry et P. Dasen (cf. bibliographie).

17 Cette citation ainsi que les suivantes sont issues de l’observation directe des cours de français et de remise à niveau scolaire. Les professeurs de langue enseignent à des mineurs isolés aux langues maternelles diverses et aux compétences scolaires hétérogènes. Que les apprenants soient arrivés récemment dans le centre ou qu’ils y soient présents depuis plusieurs mois, tous sont en attente d’une scolarisation ou d’une formation professionnelle proposée par l’Éducation nationale.

18 « Moi, j’ai bientôt 18 ans », « Moi, j’imagine que j’ai 18 ans » est ce que veut dire Meseret, âgée de 17 ans ?

19 L’enseignante cite le nom d’autres cours dispensés au sein du centre d’accueil qui, rappelons-le, n’est pas une école mais une structure d’accueil socio-éducative.


(1) La réflexion sur cette question a été prolongée dans : Lemaire, E., 2012, « Portraits de mineurs isolés étrangers en territoire français : apprendre en situation de vulnérabilité » dans la Revue Internationale de l’Education Familiale, 31, p. 31‑53.
Voir au lien suivant : http://infomie.net/spip.php?article1213

Voir en ligne : http://www.cahiersdugepe.fr/index.p...