Accueil des mineurs isolés étrangers et répartition des missions afférentes entre départements et Etat
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteur de la question n° 931, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Corinne Imbert. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention et celle de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers et sur la prise en charge de ce public par les départements.
À ce jour, les services de la protection de l’enfance connaissent de grandes difficultés dans la gestion de ce public, en termes tant d’accueil que de détermination de l’âge de ces jeunes. Leur accueil semble, aujourd’hui, relever davantage de la politique migratoire de notre pays et ne se situe absolument pas au niveau de la protection de l’enfance, gérée par les départements.
Ainsi, il reviendrait plus naturellement à l’État d’assumer cette politique, notamment à travers les centres d’accueil des demandeurs d’asile, tout en tenant compte, bien sûr, de l’âge de ces jeunes. Il est donc regrettable que la proposition de loi portée au Sénat en mai 2014 par M. Jean Arthuis n’ait pas été adoptée ; elle prévoyait pourtant d’organiser au niveau régional ou interrégional l’accueil et l’évaluation de tous les mineurs isolés étrangers. Le rapport, rédigé en 2010, de notre collègue Isabelle Debré, parlementaire en mission, pointait déjà le fait qu’il était plus convenable que l’État organise cette prise en charge et non les conseils généraux, et ce au titre de la maîtrise des flux migratoires.
À partir du dispositif de prise en charge actuel, il est constaté, de surcroît, que, dès lors que le nombre de ces jeunes était relativement modeste, il était encore envisageable de construire, pour eux et avec eux, des parcours en coordination avec l’éducation nationale. Mais ce phénomène, identifié depuis les années 1980, s’est amplifié et s’est organisé en véritables filières depuis le début des années 2000. À ce jour, il n’est, malheureusement, plus possible d’accompagner ces jeunes de la même façon : l’éducation nationale n’est plus capable d’offrir une scolarité de qualité pour ce public.
Nous constatons également l’impossibilité d’offrir une formation professionnelle de qualité à ces jeunes, afin qu’ils puissent s’insérer, à leur majorité, sur le marché de l’emploi. Sans caricature, bien sûr, ni même remise en question du principe de l’accueil et de la solidarité dont fait preuve la France, et à laquelle nous sommes tous attachés, l’interrogation porte sur le gestionnaire de ce public et les moyens afférents. La circulaire du 31 mai 2013, relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers avait instauré une contribution financière forfaitaire de l’État. Mais cela ne suffit pas devant l’augmentation exponentielle et conjoncturelle d’accueil dudit public.
Pour le seul département de la Charente-Maritime, quinze mineurs isolés étrangers étaient accueillis en 2011. Plus de quatre-vingt-dix ont été accueillis en 2014, soit six fois plus, engendrant un coût avoisinant les 4 millions d’euros, répartis entre la prise en charge de ces jeunes par le foyer départemental de l’enfance et les familles d’accueil.
Madame la secrétaire d’État, je tenais à vous alerter sur la réalité des difficultés des départements dans ce domaine, et je souhaite également vous demander ce que vous comptez faire, afin de permettre une véritable réflexion sur ce sujet sensible, qui doit être de la compétence de l’État, sans se réfugier derrière la plateforme nationale, et en donnant les moyens aux institutions adaptées d’assurer cet accueil spécifique.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Madame la sénatrice, la France, de même que d’autres états membres de l’Union européenne, accueille sur son sol des jeunes mineurs isolés étrangers. Cette réalité interpelle tant les politiques publiques de l’État que les collectivités territoriales.
Ces enfants ou adolescents qui arrivent sur notre territoire sont le plus souvent dans une situation de grande précarité. À ce jour, 7 500 mineurs isolés étrangers ont bénéficié du dispositif de mise à l’abri et ce en dix-neuf mois, soit environ 4 % des mineurs protégés par des mesures d’assistances éducatives.
Le Gouvernement pérennise son financement de l’évaluation des situations réalisées par les conseils généraux, à hauteur de 9,5 millions d’euros pour cette année.
Trente-six recommandations ont été travaillées par les trois ministères et l’Assemblée des départements de France, signataires du protocole du 31 mai 2013, à la suite du comité national de suivi qui s’est tenu le 18 septembre dernier.
Des actions sont déjà entreprises concernant la formation des évaluateurs, conjointement entre l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse et le Centre national de formation des personnels territoriaux, l’amélioration de la lutte contre la fraude documentaire, les liens avec l’éducation nationale quant à la scolarisation de ces mineurs, qui va désigner un chargé de mission national en lien avec le chargé de mission de la protection judiciaire de la jeunesse. D’autres axes d’amélioration, y compris du protocole lui-même, sont en réflexion concertée.
En ce qui concerne la compétence de l’État, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a créé l’article L. 112–3 du code de l’action sociale et des familles, aux termes duquel « la protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ». Cette disposition n’opère aucune distinction de public entre l’enfant ressortissant local et le mineur isolé étranger, conformément à nos valeurs de solidarité et de fraternité, ainsi qu’aux exigences internationales, résultant notamment de la Convention internationale des droits de l’enfant.
La circulaire du 31 mai 2013 relative au dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers et le protocole entre l’État et les départements relatif à ce dispositif précisent les étapes et les modalités d’évaluation de la minorité et de l’isolement de ces publics.
S’agissant de leur prise en charge éducative et de son organisation, il appartient au service d’aide sociale à l’enfance auprès duquel le jeune est placé de construire avec ce dernier un projet de vie, dans la perspective de son intégration en France ou d’un retour aménagé dans son pays d’origine. Dans ce cadre, le service d’aide sociale à l’enfance s’attache à fournir au jeune toutes les informations nécessaires sur sa situation et sur l’ensemble des droits et garanties que lui confèrent à la fois son statut de mineur et sa situation de jeune étranger. Cette prise en charge est assurée en tenant compte de l’histoire des jeunes et de leur parcours d’exil.
La scolarité des jeunes ou leur formation professionnelle, qui prend la forme de l’apprentissage dans la majorité des cas, doit se dérouler dans le cadre du droit commun.
Nombreux sont les départements qui témoignent d’expériences locales pertinentes dans ce domaine.
En ce qui concerne le département de la Charente-Maritime, la clé de répartition s’établit à 0,88 %, et l’effectif cible pour l’année 2015 était, dans un premier temps, de trente-cinq jeunes reconnus mineurs isolés étrangers. Du 1er juin 2013 au 31 décembre 2014, la même clé de répartition a porté l’effectif à cinquante-quatre mineurs. Le département ayant en réalité accueilli cinquante-neuf jeunes durant cette période, l’effectif cible pour 2015 a été ramené à trente mineurs isolés étrangers.
En rejetant, en mai 2014, la proposition de loi présentée par M. Jean Arthuis relative à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés étrangers, le Sénat a refusé l’exclusion et la stigmatisation des mineurs isolés étrangers ; il a refusé de réduire cette problématique à une question de nationalité et réaffirmé notre volonté de maintenir pour tous les mineurs en difficulté un socle commun de droits et de devoirs.
Ce principe posé, nous avons conscience des difficultés que rencontrent les conseils généraux, mais l’ensemble de nos travaux démontrent que nous œuvrons ensemble pour améliorer le dispositif.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse, touchant à un problème qui préoccupe tous les départements, et je me félicite du maintien du fonds national de financement de la protection de l’enfance.
En ce qui concerne l’objectif cible dans le département de la Charente-Maritime, nos chiffres ne coïncident pas tout à fait : ceux dont je dispose font état d’un nombre beaucoup plus élevé de jeunes accueillis.
Ce qui est sûr, c’est que le foyer départemental de l’enfance rencontre parfois des difficultés ; il est arrivé qu’il accueille plus de vingt mineurs isolés étrangers, ce qui le pénalise dans l’accomplissement de sa mission première, consistant à offrir un accueil d’urgence. Certains assistants familiaux, qui accueillent des jeunes à leur domicile, sont aussi parfois en difficulté.
Il ne s’agit pas du tout de stigmatiser – vous le savez bien –, mais de se demander quel avenir nous sommes en mesure de proposer à ces jeunes. Or il est évidemment plus facile pour un département de construire un parcours pour chaque jeune lorsqu’il en accueille quinze que lorsqu’il en accueille entre quatre-vingt-dix et cent, ce qui est aujourd’hui le cas de la Charente-Maritime. D’où la préoccupation que j’éprouve en tant que vice-présidente du conseil général chargée des affaires sociales.
Retour en images sur la question orale de Corinne IMBERT au lien suivant : http://www.dailymotion.com/video/x2fa8p3