Auteur : Collectif parisien pour la protection des mineurs et jeunes isolés étrangers
contact : cpmjie@gmail.com
Objet : demande urgente de protection
Madame Versini,
Dans votre intervention, lors de la séance du conseil de Paris de mars 2015, vous établissez une distinction entre les jeunes supposés mineurs - pour lesquels vous assurez qu’il n’y aura pas de rupture de prise en charge - et les jeunes majeurs, scolarisés et non scolarisés « qui ne relèvent pas de ce fait de la protection de l’enfance mais du droit commun, et donc de la compétence de l’État ».
L’exclusion de ces jeunes du champ de la loi relative à la protection de l’enfance est extrêmement grave. Comme vous le savez parfaitement, si ces jeunes ne relèvent plus de la protection de l’enfance, ils se verront basculer dans le statut de « sans papiers » et en conséquence soumis à une législation très restrictive du droit des étrangers vivant en France.
Nous ne pouvons accepter que des adolescents, des jeunes, des mineurs soient considérés pour autre chose que ce qu’ils sont : des jeunes en situation d’isolement et de danger qu’il convient de protéger. Votre politique a pour effet immédiat de les maintenir à l’écart d’une scolarisation pourtant indispensable et rend ainsi impossible leur vie dans notre pays.
La ville de Paris, ses élus, peuvent faire un choix contraire : appuyer, conforter les droits de ces jeunes et veiller à ce que la loi, qui les protège, s’applique.
Ce n’est pas le cas actuellement. En effet :
1) Ces jeunes, mineurs pour la plupart, sont rejetés par la Paomie (Permanence d’accueil et d’Orientation des mineurs isolés étrangers) et par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) qui repoussent les demandes de prise en charge, sans motif valable, faisant valoir des attendus mensongers. L’arbitraire flagrant de la Paomie est de notoriété publique. Depuis plusieurs années et à maintes reprises, la Paomie a été l’objet de vives critiques de la part de nombreuses associations comme du Défenseur des droits, lequel a établi un rapport accablant. Ces pratiques se sont aggravées, notamment ces dernières semaines, puisque les notifications de l’Aide Sociale à l’Enfance révèlent une augmentation très importante des refus de prise en charge. Tous les témoignages des bénévoles, lesquels suivent attentivement les dossiers de ces jeunes, attestent de ce que le nombre de jeunes évalués comme « majeurs » a fortement augmenté. Précédemment, un sur deux était admis comme mineur, aujourd’hui sept à huit sur dix sont considérés comme majeurs. A l’évidence, la loi n’est pas appliquée.
2) Le critère de « la minorité » n’est pas le seul élément d’appréciation pour évaluer la situation de ces jeunes. En effet, la loi relative à la protection de l’enfance insiste sur la notion de vulnérabilité du mineur face aux dangers auxquels il est exposé, et sur la nécessité de ne pas cantonner les interventions à la minorité : « Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. » (Article L 112-3 du code de l’action sociale et des familles).
3) Au-delà de la loi elle-même, nous considérons que la Mairie ne peut laisser ces jeunes sans protection. Le rôle d’une Mairie est de protéger les gens, particulièrement les plus précaires, les plus menacés car les plus faibles, et non de les jeter à la rue en les privant de tout moyen de subsistance. Les mineurs et les jeunes isolés étrangers sont avant tout des habitants de nos villes et de nos quartiers. Ils doivent être traités comme tels.
4) Lors de ce conseil municipal, vous évoquiez « un plan d’amélioration du dispositif de prise en charge des mineurs étrangers isolés à Paris, qui sera présenté à la fin du mois de mars ou au début de mois d’avril ». Les mineurs et jeunes isolés étrangers ne peuvent attendre des semaines avant d’être pris en charge convenablement et dans tous les cas, il incombe à la ville de ne pas laisser plus longtemps ces jeunes dans une situation d’isolement et de danger.
5) Actuellement, plusieurs jeunes campent sous des tentes, en pleine rue, à même le sol, simplement protégés du froid par quelques couvertures que leur apportent des bénévoles, des voisins et des passants. Ces jeunes sont littéralement épuisés par des conditions de vie qu’ils n’ont pas choisies. Ils dépérissent à vue d’oeil et ne pourraient survivre sans le secours des bénévoles et des associations. Certains n’ont de recours pour se laver que les piscines municipales ! La mairie a donné ordre que le dispositif « précarité » de la ville (accès aux restaurants du même nom, douches etc…) leur soit interdit au prétexte qu’ils sont mineurs, statut que la même mairie leur refuse ! Ainsi ces adolescents sont renvoyés au non-droit absolu et demeurent privés de ce qui est accordé aux autres personnes en situation de grande précarité.
6) Vous disposez à l’échelle de la ville, de tous les moyens nécessaires pour ne pas laisser ces jeunes à l’abandon et en situation de danger. Les gymnases parisiens sont nombreux et ne dépendent nullement d’un quelconque ministère ! Aussi n’est-il pas tolérable que vous fermiez vos portes aux jeunes qui demandent asile pour une nuit, réclament de quoi manger ou encore un simple lieu de repos plutôt qu’errer dans les rues de Paris.
7) Les gymnases doivent être ouverts à tous les jeunes, qu’ils soient mineurs, jeunes majeurs, scolarisés ou non, évalués ou en attente d’évaluation. L’accès immédiat aux ESI (Espaces Solidarité Insertion) doit être de droit, puisque ceux-ci sont censés accueillir, selon la mairie, « de manière inconditionnelle les personnes à la rue les plus vulnérables et favorisent la sortie de rue et l’insertion des personnes ». Au nombre de quinze sur Paris, deux sont gérés par le CASVP et sont donc directement sous votre responsabilité. En conséquence, nous attendons que des mesures d’urgence soient prises par vos services. Il y va de l’intérêt de ces jeunes, du respect de leurs droits et du respect des engagements pris par Madame Hidalgo, Maire de Paris, en début de mandature. Elle s’adresse à vous, Mme Versini, et écrit : « S’agissant de la solidarité et la lutte contre la précarité, nous devons, pour parvenir à une diminution drastique du nombre de personnes à la rue, agir pour aider les personnes à sortir de la rue mais aussi pour éviter que d’autres, vulnérables, basculent dans l’exclusion. La lutte contre la grande exclusion doit être votre priorité. Je me suis engagée, durant la campagne, à signer un Pacte pour sortir durablement les gens de la rue. »
« Etre à la rue ça suffit ! » ont crié ces jeunes dans les manifestations.
Leurs paroles doivent être entendues.
Dans l’attente d’une prise en charge pérenne de tous ces jeunes, nous vous demandons instamment de :
- cesser toute remise à la rue et maintenir les hébergements provisoires existants
- permettre l’accès aux gymnases à tous les jeunes isolés actuellement à la rue, sur simple demande
- permettre l’accès aux dispositifs précarité de la ville pour tous les jeunes isolés, quels que soient leur âge, leur situation au regard de l’ASE et leur nationalité.