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Protéger la protection de l’enfance

Publié le : lundi 12 octobre 2015

Voir en ligne : http://www.liberation.fr/debats/201...

Source : http://www.liberation.fr

Auteur  : Lyes Louffok, Travailleur social

A l’occasion du vote en deuxième lecture de la proposition de loi sur la protection de l’enfance au sénat, lettre ouverte au Président de la République alors que le sujet reste l’angle mort des politiques publiques.

« Monsieur le Président,

Ailleurs et ici, les malheureux sont légion. Vous pourriez penser, à l’instar de ceux qui disent sans honte : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » ; « Je n’ai pas le pouvoir de soulager toutes les misères de France. » Et je pourrais vous pardonner.

Mais je pourrais aussi vous faire remarquer qu’il est des misères-mères, des misères qui en engendrent d’autres, qui méritent en conséquence d’attirer une attention particulière. Le malheur des enfants n’est pas pire en soi que celui des vieux ou celui des femmes. Il est pire en soi, parce qu’il compromet l’avenir de tous, prépare une société malade, infectée par mille maux. Dans mon livre que vous connaissez, Dans l’Enfer des Foyers, j’écris : « On dit qu’un pays qui maltraite ses vieux condamne son avenir mais qu’en est-il alors d’un pays qui maltraite ses enfants ? Ce n’est pas son passé, déjà mort, qu’il met en péril mais son âme ».

Hélas, monsieur le Président, les enfants placés, les rejetons de l’ancienne DASS, devenue l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), l’Etat n’en fait grand cas. « La protection de l’enfance est l’angle mort des politiques publiques alors qu’elle est une prérogative régalienne », consent Laurence Rossignol, la Secrétaire d’Etat à la famille et à l’enfance, que vous avez choisie. Or, vous ne pouvez ignorer que cet angle mort provoque des accidents en cascades. Les histoires d’enfants placés finissent mal en général. On l’a vu, hélas, certaines deviennent même tristement célèbres : les frères Kouachi, Mohammed Merah, Mehdi Nemmouche, tous enfants de l’ASE.

D’autres font moins de bruit, mais tout autant de mal aux autres et à eux-mêmes. Le pourcentage d’anciens enfants placés dans les prisons est impressionnant (il atteint même parfois 80%, comme à la maison d’arrêt de Toulon). Ces enfants-ci, en effet, ils grandissent délinquants, SDF, prostitués, criminels, terroristes… Ils ont tendance à rendre à la société ce qu’elle ne leur a pas donné. S’ils se retrouvent sur le trottoir (40% de jeunes SDF sortent de l’ASE), c’est qu’à leur majorité, ils n’ont rien pour commencer leur vie. Lors d’une conférence au Conseil Economique Social et Environnemental, Monsieur le Président, vous vous étiez engagé à mettre en place des « Contrats Jeune Majeur ».

Dans la proposition de projet de loi relative à la protection de l’enfance déposée par Michelle Meunier, sénatrice PS de Loire Atlantique, et soutenue par votre gouvernement en la personne de Laurence Rossignol, un article qui prévoyait qu’une ARS (allocation rentrée scolaire) soit chaque année mise de côté pour l’enfant placé jusqu’à sa majorité où il pourrait en disposer, vient d’être supprimé. Comme par magie, les dispositions les plus importantes, susceptibles de faire progresser la protection de l’enfance se sont ainsi volatilisées du texte qui passe en lecture ce soir au Sénat. La question du délaissement parental dont le projet de loi prévoyait qu’il soit constaté par l’État et suivi d’un retrait de l’autorité parentale au profit de familles d’accueil favorables à une adoption a, elle aussi, disparu.

Quant à l’article 21ter, concernant les Mineurs Étrangers Isolés que les pouvoirs publics cherchent à tout prix à déclarer majeurs pour échapper à la prise en charge, il valide les fameux test osseux dont la pratique est honteuse, onéreuse et surtout, non fiable. La marge d’erreur qui fait de mineurs dont nous avons la responsabilité des majeurs en situation irrégulière est dramatique. La mise en concurrence permanente de moyens entre les enfants placés « français » et les Mineurs Isolés Étrangers doit cesser car elle est indigne.

Monsieur le Président, que faire ? Simplement, agir. En ne laissant pas la proposition de loi sur la Protection de l’Enfance se vider de ses mesures essentielles, mais, à l’inverse, en saisissant l’occasion d’un beau combat pour la gauche et la défense de nos valeurs républicaines, la liberté, l’égalité, la fraternité.

Le temps nous est compté, Monsieur le Président. Ne le gâchons pas avec de fausses lois, effets d’annonce, inutiles, voire toxiques, sur le plan social, et non viables sur le plan économique. Les enfants placés coûtent cher à l’État, directement (9 milliards d’euros par an pour 300 000 enfants) et indirectement. Il est possible ici, en restituant les articles importants à cette proposition de loi, d’être intelligents en étant plus justes. Je vous en conjure, monsieur le Président, n’abandonnez pas les enfants. De France et d’ailleurs. »

Lyes Louffok Travailleur social