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Le recours aux tests osseux, une légalisation toujours décriée

Publié le vendredi 18 décembre 2015 , mis à jour le vendredi 18 décembre 2015

Source : http://www.dalloz-actualite.fr

Auteur : Anaïs Coignac

Date : édition du 18 décembre 2015

« Les juges les utilisent en cas de doute sur la minorité des migrants. Les tests d’âge osseux pris en compte dans les tribunaux, puis par les services de protection de l’enfance jusqu’aux conseils généraux sont désormais inscrits dans la loi sur la protection de l’enfance. Ils sont pourtant dénoncés par quantité d’administrations, du Défenseur des droits à la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Que cela révèle-t-il ? Retour sur une méthode largement décriée.

Le constat : l’absence de fiabilité médicale des tests d’âge osseux

En France, comme ailleurs en Europe et dans le monde, les tests d’âge osseux sont pratiqués depuis plusieurs décennies sur les jeunes étrangers dont la minorité est mise en doute, cette minorité étant un des critères principaux déclenchant leur protection par l’État au titre de l’enfance en danger (hébergement, éducation et assistance, etc.). De quoi s’agit-il ? On parle d’examen osseux dans la mesure où la radiographie du poignet et de la main gauche de l’intéressé est, comme le souligne Patrick Chariot, médecin-chef de l’unité médico-judiciaire de Bondy, dans un article médical du 28 mars 2011, « la méthode la plus utilisée » pour déterminer son âge. L’idée demeure de comparer ce document à un atlas de référence, dit de Greulich et Pyle, du nom de deux médecins américains, élaboré dans les années 1930 à partir de radiographies d’enfants et adolescents américains blancs issus de classes moyennes. « Cet atlas a été conçu pour détecter, chez des enfants d’âge connu, un trouble de croissance ou de maturation osseuse », rappelle le chef de service dans son article. On transpose donc un test à vocation médicale en un support judiciaire pour déterminer l’âge d’un individu.

Le professeur Chariot poursuit : « les demandes de la justice en 2010 concernent le plus souvent des adolescents d’Afrique noire, d’Asie ou d’Europe de l’Est ayant fui leur pays, dans des conditions socioéconomiques variables, mais souvent précaires ». Soit 3 000 à 4 000 demandes par an selon l’auteur qui dénonce la pertinence de ces tests, leur usage étant permis « en dernier recours » et sur réquisition du parquet grâce à une circulaire du 31 mai 2013 dite Taubira. En partie invalidé par le Conseil d’État, le contenu de cette circulaire a donc été débattu cette année dans le cadre de la loi sur la protection de l’enfance afin d’y être intégré de manière plus encadrée selon le souhait du gouvernement. D’autres méthodes toutefois précédaient, dans la même circulaire, l’usage de ces tests : l’entretien avec le jeune par un personnel qualifié dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire puis la vérification de l’authenticité de ses éventuels documents d’état civil étant précisé que, selon l’article 47 du code civil, ces derniers font « foi » sauf éléments établissant le contraire. Enfin, en dernier recours donc, intervient une expertise médico-légale qui comprend les tests d’âge osseux, un entretien psychologique avec un médecin, un examen morphologique de l’état pubertaire de la personne et une radiographie de la mâchoire et de la troisième molaire. « Combiner trois mauvaises méthodes n’en fabrique pas une bonne », conclut Patrick Chariot dans son article. Autant de procédés dénoncés comme humiliants, en particulier l’examen génital, non fiables concernant les radiographies et même dangereuses du fait de l’exposition à des rayons X pour des individus susceptibles d’être mineurs. En effet, selon la directive européenne Euratom du 30 juin 1997, toute exposition à des rayons X doit être médicalement justifiée ce qui pose donc dans ces cas de figure un vrai problème éthique.

La liste est longue des institutions, des administrations et des juridictions qui ont dénoncé la crédibilité de ces tests d’âge osseux, dont il est avéré qu’ils intègrent une marge d’erreur de plus ou moins 18 mois. D’ailleurs, les conclusions des rapports médicaux s’expriment toujours sous la forme d’une fourchette d’âge approximative, par exemple « entre 17 et 22 ans ». Parmi les institutions dénonciatrices de cette méthode, il y a l’Académie nationale de médecine qui, en 2007, déclarait : « la lecture de l’âge osseux par la méthode de Greulich et Pyle universellement utilisée permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en dessous de 16 ans. Cette méthode ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans ». Le 23 janvier 2014, le Haut Conseil de la santé publique rendait un avis selon lequel « la détermination d’un âge physiologique sur le seul cliché radiologique est à proscrire ». Même recommandation deux ans plus tôt par le Défenseur des droits. En juin 2014, c’est la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui, dans un avis, « recommand[ait] fermement l’interdiction des tests osseux ».

Les faits : une pratique à géométrie variable

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Les conséquences : incarcération, amendes, exclusions

L’avocat lyonnais Julien Lambert a traité plus d’une dizaine de dossiers de migrants accusés d’avoir menti sur leur âge depuis 2013. Sur tout le territoire, ce sont des centaines de dossiers chaque année : 1 290 en 2012, 1 347 en 2013, selon le ministère de la justice. Le département du Rhône est connu pour être particulièrement répressif sur le sujet. « Les tests d’âge osseux sont faits souvent avant un placement en garde à vue, explique l’avocat. Ensuite, à la lecture du test, la PAF réalise un travail d’enquête qui passe notamment par une recherche dans le fichier VISABIO (une base nationale qui enregistre les demandes de visas, ndlr) pour demander aux autorités des pays dans lesquels les jeunes sont passés si celles-ci ont des éléments sur eux ». Avant de passer en comparution immédiate pour avoir potentiellement menti sur son âge, le jeune migrant fera l’objet d’un mandat de dépôt ou d’un sursis. « Plus souvent un mandat de dépôt », assure l’avocat évoquant la pratique des tribunaux lyonnais. « Cela permet à la préfecture de prendre des obligations de quitter le territoire et, une fois qu’ils sortent de prison, c’est direction le centre de rétention administratif immédiatement », continue-t-il, pour les cas où le jeune aura été considéré comme majeur par la justice.

Il existe toutefois des moyens de contrer ces démarches d’éloignement : en saisissant le tribunal administratif en dernier recours, en permettant au migrant de procéder à une saisine directe du juge des enfants pour obtenir une protection judiciaire au titre de l’enfance en danger mais encore faut-il que l’intéressé ait connaissance de ses droits. Surtout, l’avocat en charge de son dossier pourra toujours soulever l’incompétence du tribunal pénal lorsque sa conviction aura été emportée uniquement par les résultats des tests d’âge osseux. « Dans ce cas, je fais appel systématiquement », déclare Me Lambert, qui souligne qu’en première instance, il est souvent difficile de faire valoir cet argument à Lyon. « On a gagné dans 95 % des dossiers. La cour se déclare incompétente ». D’autres jurisprudences confirment que la cour d’appel est parfois plus regardante que les tribunaux de première instance. Celle de Versailles a ainsi considéré, le 7 mars 2014, que « l’expertise médicale réalisée ne présente pas d’élément suffisant de certitude pour se substituer aux documents d’état civil produits alors même que ceux-ci n’ont fait l’objet d’aucune vérification. […] La cour retiendra donc que [X] est mineur ». Dans ce cas, explique l’avocat, les jeunes migrants « continuent leur scolarité en France, font leurs études, travaillent, non sans mal parce que, dès qu’ils ont 18 ans, la préfecture leur refuse leur titre de séjour. Il faut alors y retourner pour demander au tribunal administratif de donner le titre mais on arrive à s’en sortir ».

À l’inverse, lorsque le prévenu est considéré comme majeur, les conséquences sont lourdes, car il peut être poursuivi pour fraude et/ou escroquerie avec usage de faux documents administratifs. L’intéressé ne pourra donc pas solliciter de protection de l’État. Et, s’il en bénéficiait jusqu’ici comme cela est parfois le cas depuis plusieurs mois, plusieurs années même, il sera expulsé du dispositif avec une remise à la rue alors qu’il était parfois intégré dans un foyer, un système scolaire ou éducatif. Il pourra être condamné à de la prison ferme et au remboursement de plusieurs centaines ou milliers d’euros au département qui les aura déployés à son égard au titre de l’enfance en danger. À la place de toute cette procédure « extrêmement violente », Julien Lambert propose une autre solution : « pourquoi ne pas ouvrir une information judiciaire pour ce genre d’infraction ? Cela nous permettrait de demander au juge d’instruction des contre-expertises et d’avoir le temps supplémentaire pour rechercher, avec les autorités étrangères, des éléments nécessaires pour asseoir la conviction de minorité ou de majorité ».

Le contexte : une bataille politique perdue

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L’avenir : vers un encadrement

[...] »

Voir en ligne : http://www.dalloz-actualite.fr/


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