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Les mineurs étrangers, avant tout étrangers

A propos de quelques points de droit

Publié le jeudi 7 janvier 2016 , mis à jour le jeudi 7 janvier 2016

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur  : Lingua

« Le gouvernement a décidé de prendre un certain nombre de mesures réglementaires et légales à l’encontre des mineurs étrangers isolés. Il dispose désormais d’un arsenal administratif et juridique complet pour appliquer sa politique. Il lui a fallu en tout premier lieu changer la nature du régime de protection de l’enfant. L’universalité en était le principe, la discrimination nationale s’y substitue.

Nous considérerons dans ce qui suit non la politique de police pratiquée au jour le jour (refus d’hébergement et de prise en charge, abandon, refoulement, expulsion, relégation dans des camps de fortune) mais la matière de la norme et la production la plus récente du droit.

Jusqu’à l’examen du projet de loi de protection de l’enfant et le vote de la loi portant réforme du droit d’asile, l’abandon était proscrit et l’aide à l’enfance reconnue comme principe intangible. L’Etat se substituait aux parents pour accueillir l’enfant délaissé. La protection s’appliquait à tous les enfants sans distinction d’aucune sorte.Désormais, le traitement des mineurs étrangers se rapproche de celui des majeurs étrangers. Le droit vient entériner ce fait. Les règles administratives qui conditionnent le séjour des mineurs comme des majeurs se rapportent à l’examen unique de leur situation d’étrangers. L’âge, le travail, les liens familiaux, la provenance de pays en guerre ne comptent plus.

Les tests osseux, dans la loi à venir, désignent les mineurs un peu plus comme étrangers puisque soupçonnés, eux seuls, d’être en possession de documents d’identité contestables. « Etranger d’abord, mineur ensuite » tel est le renversement des déterminants opéré.

Or l’article 388 du Code civil est net :

« Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix huit ans accomplis. »

L’appartenance nationale est absente.

Le gouvernement, dans l’article 21 ter du projet de la loi de protection de l’enfance (modifié par l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, relatif à la protection de l’enfant, n° 175, déposé le 19 novembre 2015), entreprend d’en dénaturer le sens en le complétant de la manière suivante :

« L’article 388 du code civil est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

• Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé.

• Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé.

• En cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires. »

La visée est claire :

1 - introduire un principe de renversement de l’universalité, procédé contradictoire en droit. L’appréciation de la minorité est une question strictement administrative qui ne doit rien retirer à l’état de minorité effective de l’enfant, lequel est insusceptible d’être contesté par des procédures n’appartenant pas au domaine administratif. Les tests osseux, scientifiquement invalidés, concernent les champs de la médecine et de la santé et ne peuvent être détournés de leur utilisation clinique, notamment lorsqu’ils ont pour conséquence de priver l’enfant de son droit à la protection.

2 - désigner les enfants étrangers, sans les nommer explicitement. On jugera ailleurs du caractère abject de la méthode. Nous savons tous que seuls les enfants étrangers sont et seront soumis à ce tri. Les députés, et la ministre, qui ont débattu de cet article, en Commission des affaires sociales comme en séance publique ont, à voix haute, approuvé ou critiqué tel ou tel terme de cet article en jugeant explicitement de ses conséquences pour les mineurs étrangers et eux seuls. A l’évidence, pour les parlementaires, les français ne sont pas concernés par toutes ces dispositions.

3 - La crispation sur le seuil de l’âge, via l’introduction des tests osseux, constitue plus un artifice administratif à des fins autres qu’il ne résulte d’un impératif lié à l’âge réel des jeunes concernés puisque, d’une part, le législateur a considéré, dans le Code de l’Action Sociale et des Familles ( article L. 222-5), que la minorité pouvait s’étendre de manière dérogatoire jusqu’à 21 ans : « Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants ».

d’autre part, que l’appréciation de la minorité est historiquement variable. La loi fixant à dix-huit ans l’âge de la majorité est relativement récente (5 juillet 1974). Elle était établie à 21 ans par la Révolution et antérieurement, depuis le droit romain, à 25 ans.

Le principe retenu a son importance : au fond est considéré non l’âge au sens strict mais l’incapacité qui en résulte. Seul compte dans l’appréciation de l’âge d’un mineur la faculté d’être l’arbitre de sa propre vie. L’ajout de ces trois alinéas dévoie le sens de l’article 388 du Code civil et installe, dans les faits, un doute préjudiciable à l’intérêt l’enfant. La légalisation des tests osseux permet, en droit, de rompre avec le caractère universel de la protection puisqu’elle instaure de facto un traitement spécial réservé aux mineurs étrangers. Etre étranger pour un mineur a pour conséquence de ne plus être sujet de droit.

La circonstance « être étranger » vient à l’appui d’une distinction nationale du mineur. Lui est alors appliqué un régime d’exception à la règle commune. Toujours dans la dernière rédaction du projet de loi de protection de l’enfant (article 22 quater), les mineurs étrangers, encore une fois non nommés dans le texte, sont triés puis répartis sur l’ensemble du territoire national :

« Après l’article L. 221-2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221-2-2 ainsi rédigé :

Art. L. 221-2-2. - Pour permettre l’application du troisième alinéa de l’article 375-5 du code civil, le président du conseil départemental transmet au ministre de la justice les informations dont il dispose sur le nombre de mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille dans son département. Le ministre de la justice fixe les objectifs de répartition proportionnée des accueils de ces mineurs entre les départements en fonction de critères démographiques. Les modalités d’application du présent article, ainsi que les conditions d’évaluation de la situation de ces mineurs, sont définies par décret en Conseil d’État. »

Un processus légal de tri national des mineurs est instauré doublé d’un protocole administratif de leur répartition sur le territoire. En effet, sur ce dernier point, les critères « démographiques » ne sont nullement d’appréciation judiciaire mais à l’évidence d’ordre administratif puisque de compétence départementale. S’édifie un droit à vocation nationale et administrative. La primauté de la qualification nationale accompagne des mesures de police administrative hors contrôle judiciaire. Ainsi, ce que nous devons appeler « l’exception nationale » trouve-t-elle une traduction juridique que la politique d’incrimination pratiquée à l’égard des étrangers autorise.

Le ressort est identique pour ce qui est du projet de loi relatif à la réforme de l’asile adopté le 15 juillet 2015. La circonstance de minorité n’est plus considérée comme telle, c’est à dire comme la manifestation du caractère dépendant de l’homme encore enfant, mais uniquement apparentée aux « vulnérabilités » susceptibles de frapper les personnes étrangères, ici demandeurs d’asile.

Article 23

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« L’évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines.

L’évaluation de la vulnérabilité du demandeur est effectuée par des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ayant reçu une formation spécifique à cette fin.

Lors de l’entretien, le demandeur est informé de sa possibilité de bénéficier de l’examen de santé gratuit prévu à l’article L. 321-3 du code de la sécurité sociale. Les informations attestant d’une situation particulière de vulnérabilité sont transmises, après accord du demandeur d’asile, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. L’évaluation de la vulnérabilité par l’Office français de l’immigration et de l’intégration ne préjuge pas de l’appréciation par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides de la vulnérabilité du demandeur en application de l’article L. 723-3 ou du bien-fondé de sa demande. »

Ramener à sa nature d’étranger le mineur est versé dans la catégorie des personnes étrangères dites « vulnérables », toutes vulnérabilités confondues. Son dossier de « vulnérabilité » est traité par les administrations ad hoc, en l’occurrence l’OFII puis l’OFPRA.

Le mineur étranger, demandeur d’asile, est donc un « vulnérable étranger » parmi d’autres.

1 la catégorie de vulnérabilité vient brouiller celle de protection afférente à l’état de minorité

2 l’asile vaut pour les étrangers uniquement.

En droit, les mineurs étrangers isolés doivent être accueillis parce que mineurs et non parce qu’étrangers. Leur vulnérabilité est expression de leur minorité et non de leur appartenance à une catégorie ou sous catégorie d’étrangers, nonobstant l’obligation qui est faite à l’Etat de devoir accueillir les personnes en question. Nous voyons bien que le législateur a voulu rabattre la catégorie de mineur à celle d’étranger puisque la loi permet désormais le « maintien en zone d’attente d’un mineur non accompagné » (art 13).

Il faut signaler que le droit des mineurs étrangers peut parfois être pris en compte. Dans son ordonnance du 23 novembre 2015, « ministre de l’intérieur commune de Calais », suite au recours du ministre de l’intérieur et à la requête de la commune de Calais dirigés contre l’ordonnance n° 1508747 du 2 novembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Lille faisant obligation au préfet du Pas-de-Calais de prendre un certains nombre de mesures minimales en faveur des réfugiés regroupés à Calais, Le Conseil d’Etat considère (8ème considérant) :

« qu’il y avait seulement lieu d’enjoindre au préfet du Pas-de-Calais de procéder, dans un délai de quarante huit heures, au recensement des mineurs isolés en situation de détresse et de se rapprocher du département du Pas-de-Calais en vue de leur placement ; »

Par ces quelques mots : « mineurs isolés en situation de détresse » et « placement », les mineurs sont considérés pour ce qu’ils sont réellement ; c’est la fonction du droit. Leur situation et seulement leur situation est appréciée. Le placement indique le sens tutélaire de la prise en charge, dans tous les domaines : en terme d’hébergement, d’éducation, de scolarisation, de santé. Aucune exception nationale à la règle commune n’est mentionnée.

Antérieurement aux lois nouvelles, le mineur étranger est avant tout mineur, après il est étranger. »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/lingua/b...


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