Nous en sommes là.

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur : Collectif Parisien pour la protection des jeunes et mineurs isolés étrangers

« Initialement la loi relative à la protection de l’enfance de 2007 prévoyait la protection de tous les jeunes en situation de vulnérabilité, jusqu’à l’âge de 21 ans. En ce sens, c’était une loi positive et ouverte, conforme à une conception démocratique de « l’Etat pour tous ». Celle-ci n’établissait aucune distinction de nationalité et faisait obligation aux autorités publiques d’assurer la protection de tout jeune privé du soutien d’une autorité parentale. A rebours de l’esprit de cette loi, le gouvernement a modifié cet été la législation : celle-ci autorise désormais la rétention de mineurs, mais également l’usage des tests osseux, unanimement condamnés par la communauté scientifique et médicale. Cependant, l’altération de la protection des jeunes gens dits « isolés », excède ces seules modifications législatives récentes. Par toutes sortes de pratiques arbitraires et dispositifs discriminants, la protection des jeunes étrangers est littéralement déniée.

La protection, portée à 21 ans, repose sur un principe positif pourtant simple : un adolescent sans moyen de subsistance propre doit être protégé, jusqu’au terme de ses études, en vue d’une autonomie sociale et professionnelle. Ainsi, un jeune scolarisé et pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance peut demander un contrat jeune majeur, afin de poursuivre ses études au delà de ses dix huit ans, dans le cadre d’un apprentissage professionnel. C’est également le sens du Code de l’Action Sociale et des Familles, puisqu’il fait obligation aux autorités publiques d’héberger tout jeune en situation de vulnérabilité, quelque soit sa nationalité et sa situation administrative. C’est précisément ce socle de droits fondamentaux que le gouvernement entreprend de défaire. Le gouvernement modifie la loi et contourne l’obligation de protection, par toutes sortes de pratiques et dispositifs arbitraires.

Ainsi :

1. La circulaire Taubira de mars 2013 a instauré la notion de « minorité » comme critère et condition d’accès aux bénéfices de la loi relative à la protection de l’enfance. Cette disposition écarte immédiatement les jeunes âgés de dix huit à vingt et un an, de toute protection minimale : hébergement, scolarisation, prise en charge par les services sociaux du département.

Borner la protection au seuil de la majorité légale, pose inévitablement la majorité comme un critère négatif : c’est considérer que l’Etat n’a plus pour mission fondamentale de protéger un adolescent jusqu’au moment où celui-ci est en mesure de subvenir à ses propres besoins.

Dès lors, le critère de « minorité » devient le moyen par lequel des adolescents évalués « majeurs », sont légalement renvoyés à la rue, qu’ils soient réellement mineurs ou majeurs. Si le juge des enfants reconnaît la minorité de certains jeunes, cette décision intervient après une longue période d’attente, pendant laquelle ces jeunes demeurent à la rue. Contre tout principe de « présomption », le recours juridique d’un jeune contre l’évaluation concluant provisoirement à sa majorité n’est pas suspensif d’une remise à la rue. Ainsi, des mineurs reconnus comme tels à posteriori par le juge des enfants, sont néanmoins maintenus à la rue pendant plusieurs mois ! L’hypothétique reconnaissance de leur minorité est d’autant plus incertaine, que le juge fonde en partie sa décision sur les entretiens d’évaluations pratiqués par les services sociaux du département. Rappelons à ce titre que l’arbitraire de la PAOMIE fut l’objet d’un rapport accablant du défenseur des droits. Certes, en cas de doute, le juge peut demander une expertise osseuse, mais la fiabilité de ces pratiques, au delà de leur caractère choquant, sont pour le moins hasardeuses et réalisées après plusieurs mois d’attente.

Dans ce contexte, la notion de protection n’est plus un principe intangible pour les autorités publiques. On le voit, toutes ces dispositions visent à écarter légalement les jeunes étrangers du champs de la protection de l’Etat, selon une logique de tri. Tri organisé à l’entrée du dispositif national de protection, par le biais de centres dits « d’accueil et d’orientation ». A Paris, c’est la PAOMIE (Permanence d’Accueil et d’Orientation des Mineurs Isolés Etrangers) qui est chargée d’évaluer qui est « mineur » ou « majeur ». Passée une période de cinq jours de mise à l’abri, les jeunes évalués « majeurs » sont privés d’hébergement la nuit, de lieu d’accueil le jour, de tout moyen de subsistance, comme de tout accompagnemment social, éducatif, scolaire et psychologique. Ces adolescents vivent alors dans une véritable zone de non droit. Invisibles, pour l’Etat et les services sociaux, ils ne comptent pour rien. L’accès aux Centres d’hébergement d’Urgence leur sont refusés par la Mairie de Paris et la Préfecture, sous prétexte qu’ils sont « mineurs » selon leur acte civile (ce que précisément la PAOMIE et la DASES refusent de reconnaître) ; des hôpitaux refusent de les soigner, s’ils ne sont pas accompagnés par des adultes, malgré l’obligation de soin. Leur scolarisation, pourtant obligatoire, est suspendue au bon vouloir du rectorat. Bref, toute vie sociale et éducative est délibérément rendue impossible. La Mairie de Paris renvoie la responsabilité de ces jeunes à la charge de l’Etat et du Samu social, qui ne s’en occupent pas. Contrairement aux affirmations de la Mairie de Paris, des jeunes et mineurs sont réellement en errance dans les rues de Paris, sans aucune protection !

2. L’abandon des jeunes et mineurs isolés par les départements préfigure leur persécution par l’Etat. Des militants en témoignent à Lyon : des jeunes dont la légalité des extraits d’acte de naissance est contestée, sont condamnés à de lourdes peines de prison, à des amendes invraisemblables et parfois à des expulsions. Cette politique inique. Elle est contraire à l’exigence démocratique de l’Etat pour tous, contraire à l’obligation de protection par l’Etat des plus fragiles et des plus vulnérables. C’est une politique d’ensemble. Elle touche les mineurs, comme les majeurs, sur l’ensemble du territoire. Ainsi, des jeunes reconnus « mineurs » et officiellement pris en charge par l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance ) ne bénéficient d’aucun suivi socio-éducatif ou médical sérieux ; les demandes de contrats jeune-majeurs sont très souvent refusés et des lycéens se retrouvent de nouveau à la rue à leur majorité, y compris en cours d’année scolaire. La police n’hésite pas à expulser ces jeunes gens de leur chambre d’hôtel, le jour de leur anniversaire !

Si le traitement de ces adolescents varie selon les directives de chaque département, des discriminations sont similaires à Paris, Nantes, Lyon, Lille, etc. Dans la plupart des « centres d’accueil », l’exactitude des documents d’identité est systématiquement contestée, hors de toute vérification légale. Les jeunes sont suspectés de mensonge et leurs propos mis en doute. Ces adolescents sont maltraités et humiliés, ce qui aggrave leurs troubles psychologiques liés à des conditions migratoires déjà extrêmement éprouvantes. Comment peut-on laisser vivre des adolescents dans de telles situations ?

L’évaluation de la minorité des jeunes étrangers instaure un véritable hors droit. Elle légalise leur abandon, autorise leur persécution. Cette situation est révélatrice d’une modification du rapport de l’Etat aux gens.Jadis, la protection des jeunes et mineurs s’inscrivait dans les fonctions régaliennes de l’Etat, au temps de « l’ intérêt général ». Aujourd’hui, le gouvernement cherche à proscrire ces jeunes et à délier l’Etat de toute obligation envers ces futurs jeunes prolétaires,considérés par lui comme « clandestins ». Car que visent ces adolescents, sinon travailler ici, après avoir quitté une situation économique désastreuse, une famine, ou une guerre ? Ces jeunes gens représentent une nouvelle figure de l’immigration, dont la venue n’est plus organisée comme autrefois par l’accueil d’un oncle, ou d’un cousin, dans l’un des foyers de la région Parisienne, aujourd’hui saturés. Ces jeunes partent de leur pays d’origine de plus en plus tôt, au péril de leur vie pour une migration de plusieurs mois. Ils sont ici pour s’en sortir. Ils n’ont qu’un désir : rejoindre les bancs de l’école et d’un apprentissage professionnel. Actuellement, la vie d’un grand nombre de ces jeunes dépend exclusivement de la mobilisation de bénévoles ou militants présents à leur côté. A la hauteur de leurs maigres moyens, chaque collectif ou association tente de parer aux besoins les plus urgents et interpelle régulièrement les autorités publiques.

3. Cette situation n’est pas tolérable et nous concerne tous. Que ce soit à propos des réfugiés, des familles Rroms, des jeunes des quartiers, ou des populations entières de régions sinistrées, livrées à l’abandon, l’Etat montre qu’il n’a plus aucun soucis réel pour les plus pauvres. Il n’est plus, même de manière minimale, l’Etat pour tous et ne garantit en rien la protection des gens qui en ont besoin, ni le respect de leurs droits. C’est seulement lorsque des gens s’organisent eux-mêmes en collectifs qu’une exigence démocratique à propos de l’Etat se fait entendre aujourd’hui. Si marginales soient ces mobilisations, elles existent et méritent d’être consolidées. Chacun peut en être.

Nous n’attendons rien des partis parlementaires. Nous l’avons vu notamment à propos des jeunes et mineurs isolés étrangers : le nouveau plan Versini, voté au mois d’avril 2015 par tous les élus de la majorité municipale ( une seule abstention, aucun vote contre) n’a rien changé de l’arbitraire de la PAOMIE. Au contraire, ce dispositif foncièrement discriminant pérennise l’abandon de ces jeunes et autorise leur persécution.

La situation des jeunes et mineurs isolés étrangers nous concerne tous. Non seulement pace que cette situation est en elle-même inacceptable, mais parce qu’elle engage aussi le devenir de l’Etat à l’égard des plus vulnérables et des plus fragiles. Cette question est particulièrement sailalnte à propos de ces adolescents éloignés de leur famille. Accepte-t-on comme inéluctable la destruction des lois, lorsque celles-ci préservent encore un minimum de droits aux étrangers ?

Nous récusons cette politique et nous affirmons :

• Le fondement démocratique d’un Etat, ce n’est pas « la sécurité des français », mais la protection de toutes les personnes qui en ont besoin, particulièrement les plus exposées, comme les adolescents privés d’une autorité parentale sur le territoire.

• Les jeunes isolés étrangers ne sont pas « clandestins », ils sont de nos quartiers et de nos villes ! Qu’ils soient majeurs, mineurs, étrangers ou nationaux, tous les adolescents en situation de vulnérabilité doivent être protégés par les autorités publiques, jusqu’à la fin de leurs études professionnelles. »

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