Source : www.la-croix.com
Auteur : Věra Jourová, Commissaire européenne
« La visite d’un centre d’hébergement pour enfants réfugiés à Bruxelles compte parmi les expériences les plus fortes qu’il m’a été donné de vivre depuis le début de mon mandat. J’ai rencontré un garçon de 11 ans qui avait voyagé seul pendant 15 mois. Fuyant l’Afghanistan déchiré par la guerre et laissant sa mère derrière lui, il a franchi plusieurs frontières attaché sous un camion et a parcouru des centaines de kilomètres à pied. Aujourd’hui, il apprend le français et le néerlandais, joue au football et fait des dessins.
Malgré le traumatisme psychologique inimaginable dont souffrent les enfants qui, comme lui, ont fui la guerre et la violence dans leur pays d’origine et ont traversé toute une série d’épreuves au cours de leur voyage vers l’Europe, ceux qui parviennent jusqu’aux centres d’hébergement sont les plus « chanceux » car ils sont désormais en sécurité.
Fuyant des zones de conflit, de nombreux enfants continuent d’arriver en Europe. En 2015, plus de 250 000 enfants de moins de 14 ans et plus de 125 000 entre 14 et 17 ans y ont demandé l’asile. Cette même année, les enfants ont représenté 25 % de l’ensemble des demandeurs d’asile et des statistiques récentes montrent une tendance à la hausse, le nombre d’enfants arrivant par voie maritime ayant augmenté de 16 % en janvier par rapport à six mois auparavant.
Des risques tout au long du chemin
Les risques pris par les réfugiés mineurs non accompagnés et les risques qui en découlent pour leurs droits fondamentaux sont considérables.
Europol a récemment présenté une estimation alarmante selon laquelle 10 000 migrants mineurs non accompagnés pourraient avoir disparu après leur arrivée en Europe. En partant seuls pour l’Europe, ceux-ci courent un risque élevé d’être exploités par des organisations criminelles à des fins de traite d’êtres humains, de prostitution et/ou d’esclavage.
Or ces formes d’exploitation constituent une violation flagrante des droits fondamentaux en Europe et des droits de l’enfant.
Ces enfants sont privés de leur enfance, de la chance d’aller à l’école, voire de la possibilité de contribuer à la société une fois devenus adultes.
Dans notre réponse aux flux migratoires qui convergent actuellement vers l’Europe, nous devons nous saisir du problème des enfants non accompagnés.
Propositions d’action
Il est indispensable d’agir aux frontières de l’Union européenne.
L’action des services répressifs doit être forte. La lutte contre la traite et le trafic d’enfants constituera une priorité pour les agences de l’Union telles qu’Europol et Eurojust. Les routes migratoires ne sauraient en aucun cas devenir un marché pour les criminels, où ceux-ci pourraient recruter les êtres les plus vulnérables et tirer profit de la misère humaine.
Il importe que la durée d’examen de la demande d’asile d’un enfant soit la plus courte possible parce qu’il s’agit pour lui d’une période de détresse où le risque de disparition est le plus élevé.
Les garde-frontières présents le long des routes migratoires et dans les centres de crise (hotspots) devraient empêcher que des familles aient à connaître le drame d’une séparation. À cet égard, il est impératif d’accélérer les transferts transfrontières et de relocaliser et réinstaller en priorité les enfants, qu’ils soient non accompagnés ou accompagnés de leur famille.
La législation de l’Union en matière d’asile, d’immigration et de lutte contre la traite des êtres humains comporte déjà un certain nombre de règles visant à protéger les mineurs. Par exemple, il est prévu que les mineurs non accompagnés soient suivis par un tuteur tout au long de la procédure d’asile. L’Union apporte déjà son concours financier à des acteurs de terrain afin d’améliorer la protection des enfants sur les routes migratoires. Or ces règles ne sont pas toujours appliquées.
Des mesures doivent également être prises une fois que ces enfants sont arrivés. Aussi les mesures d’intégration des enfants ayant droit à une protection internationale ne devraient-elles pas être retardées. Leur donner accès à l’éducation et les initier aux valeurs communes européennes constituent le meilleur moyen d’intégrer ces enfants dans les différents pays qui les accueillent. Leur exclusion sociale pourrait, en effet, conduire à de futurs défis de société.
Le petit garçon que j’ai rencontré souffre toujours de l’absence de sa mère, mais il est encore plus terrifié à l’idée qu’elle puisse tenter de le rejoindre, au péril de sa vie. Mais il pense aussi à son avenir, comme tous les enfants européens. Il voudrait devenir menuisier et fabriquait déjà une table pour le centre d’hébergement. Mais pour y parvenir, il a besoin de notre aide – maintenant. »
Věra Jourová, Commissaire européenne