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Convention des délégués du Défenseur des droits - Discours de Jean-Jacques URVOAS, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Publié le mardi 29 novembre 2016 , mis à jour le vendredi 2 décembre 2016

Source : www.presse.justice.gouv.fr

Auteur : Jean-Jacques URVOAS, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Date : Mardi 29 novembre 2016

Lieu : Ecole Militaire

« Je suis heureux de pouvoir m’exprimer ce matin devant vous, en tant que membre de l’exécutif et garde des Sceaux.

Mais aussi, en tant qu’ancien député.

J’étais en effet, en 2010 et 2011, le responsable pour mon groupe des deux projets de loi organique et ordinaire qui avaient donné naissance à cette nouvelle autorité constitutionnelle.

La 1ère lecture avait eu lieu au Sénat en juin 2010, nous l’avions étudié à l’Assemblée en janvier 2011, puis une 2nd lecture en février avant une commission mixte paritaire (CMP) conclusive le 9 mars 2011 et une lecture définitive le 15 mars.

Ce fut donc un long parcours parlementaire conduit sous la responsabilité éclairée de Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, qui est présent aujourd’hui, et qui fut le rapporteur de cette loi.

Comme j’avais – déjà à l’époque – souligné son ouverture et la sincérité de la démarche, je n’ai évidemment nulle hésitation, aujourd’hui, à réitérer mes compliments sur la manière, dont il avait conduit le travail de l’Assemblée.

Reste que mon groupe n’avait pu voter le texte issu de la CMP.

Alors même que lors de la révision constitutionnelle de 2008 nous avions approuvé l’art. 71-1 qui donnait, pour la 1ère fois depuis 1958 naissance à une nouvelle autorité constitutionnelle : le Défenseur des droits.

Nous étions en effet déçus de quelques dispositions et avions alors considéré que la naissance de ce Défenseur des droits (DDD) en 2008 ne tenait pas, sur le papier, toutes ses promesses.

C’est pour l’essentiel, le mode de nomination qui nous avait heurté.

Le comité BALLADUR avait suggéré une élection au 3/5 par l’Assemblée nationale sur le modèle du Défenseur du Peuple espagnol.

Le Gouvernement de François FILLON avait retenu une nomination par le Président de la République avec une capacité – très relative – d’opposition du Parlement.

Cela nous était apparu comme un manque d’audace et nous avions alors indiqué notre crainte de voir le DDD se considéré comme un « obligé du pouvoir ».

L’expérience a dissipé nos inquiétudes.

Les deux titulaires de la fonction, par leurs personnalités, ont déterminé une trajectoire positive de l’institution.

Par les choix faits, par les pratiques engagées, Dominique Baudis puis Jacques Toubon (depuis juillet 2014) ont su installer cette nouvelle institution et lui donner une autorité dont chacun peut se féliciter.

De même, nous avions regretté :

- Que les adjoints soient totalement tributaires du Défenseur, qui est libre de leur déléguer ou pas ses dossiers.

Nous pensions alors, comme l’avait dit l’UNICEF, qu’il était dommageable que ces adjoints soient privés de toute indépendance et de toute marge de manœuvre.

- De plus, nous nous étions opposés au fait que les collèges ne pouvaient se réunir que lorsque le Défenseur le décidait et que leurs avis n’étaient que consultatifs.

- Enfin, nous avions regretté que le législateur laisse au Défenseur la possibilité de trier dans les saisines, dont il allait faire l’objet – et de le faire seul –, sans même avoir l’obligation de justifier ses choix.

A l’inverse, dès l’origine, plusieurs caractéristiques du Défenseur nous étaient apparues comme garantes d’une efficacité probable.

- Par exemple, son maillage territorial.

C’est pourquoi nous nous étions montrés particulièrement vigilants à ce que, ce qui avait fait le succès de la HALDE, de la Défenseure des enfants, du Médiateur de la République, soit préservé et garanti :

- C’est-à-dire un réseau dense de délégués dans les départements et les communes.

C’est ce qui m’avait conduit, en lien avec le rapporteur du texte, à introduire un amendement, pour renforcer les prérogatives de ces délégués.

Nous étions en effet convaincus que la crédibilité de l’action, l’efficacité de l’institution reposeraient à la fois dans ses missions de médiation et de contrôle et dans la facilité d’accès à son intervention.

- D’ailleurs, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en pratique, 80% des réclamations adressées au Défenseur sont traitées par les délégués.

Vous êtes près de 450 pour recevoir les citoyens dans plus de 600 points d’accueil.

Avant d’être une forme particulière de relation, la proximité est, pour moi, une valeur.

Eu égard à l’étendue du champ d’activité du Défenseur des droits, vous jouez donc un rôle essentiel au sein de nos territoires pour porter cette exigence.

Aujourd’hui, 5 ans après la promulgation de la loi organique, c’est une bonne initiative que de dresser le bilan et les perspectives de cette institution constitutionnelle.

Je salue donc avec plaisir l’initiative de cette convention et me permettrais de resserrer ma focale sur 4 points.

Le premier constat est l’évidente force de proposition qu’est devenue le DDD.

I. Le Défenseur des droits comme force de proposition

Il y a beaucoup d’exemples, qui témoignent de ce rôle très actif que vous menez dans le cadre de votre mission de contrôle,

A travers, notamment, les recommandations que vous formulez.

Mais là encore, plutôt que de me lancer dans un inventaire qui n’aurait guère d’intérêt, je vais l’illustrer dans deux domaines.

1) D’abord, votre forte implication dans la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA).

Ainsi dans votre recommandation du 19 décembre 2012, vous aviez pointé l’ensemble des points d’amélioration nécessaires à la prise en charge des MNA.

Vous aviez aussi proposé de créer un dispositif territorial efficace de coordination des actions de mise à l’abri, d’évaluation, d’orientation de ces enfants et de ces adolescents.

Vous aviez attiré l’attention, notamment :

  • sur le fait que ces mineurs devaient bénéficier des dispositifs de protection de l’enfance ;
  • que leur lieu d’accueil devait être déterminé en fonction de leur intérêt supérieur et leur offrir une prise en charge adaptée à leur problématique d’exil.

Vous suggériez aussi des évolutions, afin que leur situation soit examinée avec bienveillance pour leur permettre de s’inscrire dans un parcours d’insertion sur le territoire français, y compris au-delà de leur majorité.

C’est sur la base de vos réflexions, qu’est né le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation.

  • d’abord, par le protocole du 31 mai 2013, signé entre les ministères de la Justice, de l’Intérieur et des Affaires Sociales, et l’Assemblée des départements de France,
  • puis, après l’annulation partielle de celui-ci par le conseil d’Etat, les dispositions de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, qui donnent une base légale au dispositif.

Dans l’intérêt de tous, il est maintenant opérationnel depuis plus de deux ans.

- Et il assure une meilleure articulation avec les services départementaux de l’aide sociale à l’enfance.

2) Plus récemment, dans le cadre de la loi de modernisation de la Justice du 21e siècle.

Tout au long de son élaboration, jusqu’à la saisine du Conseil d’État le 30 juin 2015 et par la suite de sa discussion devant le Parlement à compter du 31 juillet 2015, vous nous avez proposé :

Ä d’allonger le délai de déclaration des naissances (suite de la décision du 21 mars 2016) ;

  • d’introduire un changement de sexe démédicalisé à l’état civil (décision du 24 juin 2016 relative à une procédure déclarative de changement de la mention du sexe à l’état civil) ;
  • d’instaurer une action de groupe, en matière de discriminations (rapport annuel de janvier 2015 et avis du 28 octobre 2015 sur le projet de loi) ;
  • d’introduire un nouveau critère de la discrimination à raison de la particulière vulnérabilité ;
  • d’élargir les dispositions relatives à la justice des mineurs.

Notamment, en supprimant la possibilité d’une exécution provisoire des peines prononcées.

Vous pouvez donc légitimement revendiquer une part du succès dans le fait que, nombre d’entre ces propositions figurent dans la loi, publiée il y a dix jours.

Pour ce qui est des autres, même si elles n’ont pu aboutir, - parfois pour des raisons de calendrier -, elles ont permis, à chaque fois, d’amorcer des discussions internes d’une grande richesse.

II. Le Défenseur des droits comme contrôleur des actions du Gouvernement

Pour ne parler que des mineurs, je me souviens que, lors des débats parlementaires, une crainte importante avait été évoquée.

Elle concernait le devenir de la défense des droits de l’enfant et la capacité de votre institution à porter les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Les 5 années de recul dont nous disposons permettent d’être rassurés sur ce point.

Vous avez en effet poursuivi, avec votre adjointe Défenseure des enfants, Madame Geneviève AVENARD que je salue, cette noble mission à laquelle je suis particulièrement attaché.

La meilleure illustration en est la prise en compte des mineurs non accompagnés.

Mon ministère, - et plus particulièrement la direction de la protection judiciaire de la jeunesse -, s’y est particulièrement engagé.

Et évidemment l’exemple le plus sensible est celui des mineurs de Calais.

Vous avez de longue date dénoncé l’état de danger dans lequel se trouvaient ces mineurs et vous avez – régulièrement - alerté l’opinion publique.

En effet, ils étaient il y a quelques semaines, près de 2000, à attendre dans des conditions précaires aux portes du centre d’accueil provisoire et du centre Jules Ferry, sans compter ceux déjà partis en Angleterre.

Le gouvernement, en décidant de conduire une vaste opération humanitaire de démantèlement, a pris en compte, avec la plus grande attention, vos observations.

- C’est ainsi que les mineurs ont été orientés vers des centres dédiés (les CAOMI - centres d’accueil et d’orientation des mineurs non accompagnés), qui leur offraient une prise en charge transitoire, adaptée à leurs besoins.

Vos équipes ont d’ailleurs visité plusieurs de ces centres.

Le Gouvernement s’est montré particulièrement vigilant sur la qualité de cet accueil.

Et pour ceux qui vont rester sur notre territoire, à l’issue des échanges diplomatiques, nous allons organiser leur intégration dans les dispositifs de droit commun de l’aide sociale à l’enfance.

Cela se fera de manière progressive pour préserver les équilibres fragiles trouvés en protection de l’enfance.

Je ne doute pas que vous aurez à cœur de continuer – et vous aurez raison – à observer ce point avec attention.

Là encore, par votre veille constante sur des sujets de droit comme de société, vous favorisez le débat.

Et ce sont les réclamations individuelles, dont vous êtes saisis qui vous permettent, en grande partie, d’être au plus près des préoccupations et des difficultés de nos concitoyens.

Sur ce point, votre rôle de délégués est, pour les pouvoirs publics, particulièrement important.

- Vous soulevez ainsi des questions de société qui impliquent le plus souvent une mise en œuvre de réformes.

Il me semble, d’ailleurs, que nous disposons d’une marge de progression pour - ensemble - être plus efficaces.

III. Le Défenseur des droits comme contradicteur, au sens noble du terme

En effet, mon ministère a besoin de s’inscrire dans un échange dynamique avec votre institution, pour nous permettre d’améliorer les choses dans le sens le plus bénéfique pour tous.

Notamment, en développant, autour de vos avis, mais également de vos recommandations sur des situations individuelles, une procédure contradictoire.

Prenons l’exemple du nouveau divorce par consentement mutuel, sans juge, et la notion d’intérêt de l’enfant.

De manière réductrice, on a pu présenter cette possibilité que j’ai avancée lors de la lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de la Justice du 21ème siècle, comme s’agissant surtout d’un dispositif destiné à soulager les juridictions.

Je ne nie pas que ce fût l’un des atouts de cette mesure très novatrice.

Mais, ce n’était pas le plus important.

A mes yeux, il s’agissait avant tout d’un dispositif bien plus protecteur des époux en situation de faiblesse, que l’existant.

En effet, la présence d’un avocat par époux est une condition de l’équilibre dans le processus de divorce.

Et aussi bien plus protecteur des enfants, par le maintien d’une audition de l’enfant, lorsqu’elle était demandée.

Vous m’avez fait part de vos inquiétudes dans une lettre, datée du 11 mai dernier, et un communiqué, publié le 13 mai 2016 sur votre site internet.

Cette prise de position a légitimement alimenté les débats à l’Assemblée nationale.

J’ai regretté que vous n’ayez pas publié, par la même voie, ma réponse, que je vous ai adressée le 13 juin 2016.

Peut-être que sa diffusion aurait permis de mieux comprendre notre démarche et aurait ainsi déminé plusieurs critiques.

Reste que le Conseil Constitutionnel a validé notre écriture, considérant que le dispositif est de fait, protecteur des droits des enfants.

C’est la raison pour laquelle je me permets de plaider pour une publication des réponses aux avis et recommandations que vous formulez, comme vous l’y autorise l’article 36 de la loi organique du 29 mars 2011.

Cela me semble essentiel, au regard de la reprise de vos propos, comme argument d’autorité.

En contrepartie, nous devons améliorer les délais de traitement de vos requêtes, concernant les situations individuelles.

Et je vous confirme que nous allons y veiller.

Il est précieux pour le débat public que votre institution soit un contradicteur utile.

C’est l’une de vos raisons d’être.

Le contradicteur est celui qui défend et avec lequel on a un échange constructif.

Je le redis : mes services sont naturellement à votre disposition pour échanger avec vous, tant en amont, que pour apporter une réponse aux recommandations que vous formulez.

Je dis cela d’autant plus que, ce rôle de contradicteur du ministre de la Justice, votre institution l’a admirablement tenu au cours des dernières années.

Et les échanges entre nos services, lorsqu’ils se mettent en place, permettent une véritable avancée des sujets.

Je pense, par exemple, à l’élaboration de l’arrêté relatif à l’évaluation des mineurs privés temporairement ou définitivement de leur famille, pris le 17 novembre 2016 :

Vos observations ont permis de faire évoluer le texte vers une meilleure prise en compte de l’intérêt de l’enfant.

Ce texte a été publié le 19 novembre et permettra d’harmoniser les pratiques des départements en la matière.

IV. Un promoteur des droits

Enfin, et j’en finirai par-là, on parle moins souvent des missions qui vous sont confiées, en termes de promotion des droits.

Pourtant, je les considère comme essentielles.

Ä Et je sais l’attention que vous portez à la question de l’accès aux droits.

Ces missions contribuent à la prévention des difficultés ; un objectif qui présente un intérêt tout particulier dans les domaines du ministère de la Justice.

Je pense, par exemple :

Ä Aux relations entre le Défenseur et les parquets.

Elles se concrétisent notamment par les permanences des délégués au sein des maisons de justice et du droit, qui permettent ainsi de mieux accueillir et orienter les victimes de discrimination dans leurs démarches.

Elles se sont traduites également par la signature de conventions ou protocoles avec 24 parquets généraux, dont 2 cette année à Nouméa et à Cayenne, 5 sont en cours de signature.

Ces conventions permettent un suivi structuré et concret des interventions des délégués territoriaux et des magistrats référents en matière de discrimination.

Une dépêche du 25 novembre, pas plus tard que vendredi dernier donc, vient d’ailleurs d’être adressée, sur votre proposition, par le Directeur des affaires criminelles et des grâces, aux procureurs généraux pour renforcer les relations entre votre institution et les juridictions.

Ä Je pense aussi à la nomination d’un correspondant du Défenseur des droits, dans chaque direction interrégionale des services pénitentiaires.

Ce n’est pas tout !

Ä Il y encore la convention-cadre signée, l’année dernière, entre le Défenseur des droits et le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (SADJAV).

Cette convention-cadre va :

- Améliorer les échanges d’informations,

- Développer les interventions des délégués, au sein des Maisons de justice et du droit et des Points d’accès au droit,

- Et d’organiser des actions conjointes, visant notamment à mieux faire connaître l’action du Défenseur.

Enfin, il y a votre rôle de délégués territoriaux dans le futur dispositif expérimental de la médiation administrative.

Je sais que votre institution est encore jeune.

Même si elle est née du regroupement d’autorités, qui avaient leur identité propre.

Je sais combien la construction d’une identité commune et d’une expertise transversale, sur des sujets aussi techniques, a été un défi.

Et cela s’est fait dans un contexte difficile.

Le chemin ainsi parcouru est incontestablement une réussite.

Et j’en veux pour preuve la confiance que le législateur vous a témoignée, en vous confiant une nouvelle mission.

Elle concerne la protection et l’orientation des lanceurs d’alerte, dans le cadre des textes, portés par mon collègue Michel SAPIN, relatifs à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

L’avenir doit encore se construire,

La promotion des droits doit renforcer sa visibilité

Et vos actions de médiation doivent se poursuivre.

Je sais, Monsieur le Défenseur des droits, votre engagement en ce sens. »

Voir en ligne : http://www.presse.justice.gouv.fr/a...


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