Tribunal administratif de Lille, Ordonnance du 26 juin 2017 n°1705379, Calais, MIE

Source : http://lille.tribunal-administratif.fr

Extraits :

« En ce qui concerne les personnes mineures :

6. Aux termes de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles : « Sont pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur décision du président du conseil départemental : (…) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l’article 375-3 du code civil (…) ». Aux termes de l’article 375 du code civil : « Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (…) ». Selon l’article 375-3 du même code : « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut décider de le confier : (…) 3° A un service départemental de l’aide sociale à l’enfance (…) ». Les mineurs étrangers non accompagnés présents sur le territoire français peuvent bénéficier de cette prise en charge. A ce titre, un dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation a été mis en place, par une circulaire du ministre de la justice du 31 mai 2013, complétée par une circulaire du 25 janvier 2016. L’entrée d’une personne se déclarant mineure se fait à l’issue d’une phase dite d’évaluation, au cours de laquelle la minorité et la situation d’isolement et de vulnérabilité de cette personne sont vérifiées. Pendant cette phase, qui dure en principe cinq jours, un accueil provisoire d’urgence est organisé. Dans le département du Pas-de-Calais, la mise en œuvre de cet accueil d’urgence a été déléguée à l’association France terre d’asile. Il a lieu dans un établissement situé à Saint-Omer, qui possède une capacité de 80 places, qui peut être accrue en cas de besoin. Lors de son séjour, le mineur se voit proposer un accès à l’hygiène, à trois repas par jour, aux services hospitaliers de Saint-Omer, à une information collective puis individuelle sur ses droits en France, un accès à internet ou un téléphone pour prendre contact avec sa famille ainsi que des activités ludiques et sportives. Ce dispositif, qui n’est pas coercitif, laisse le choix au mineur de reprendre son parcours migratoire après plusieurs jours de repos ou de se stabiliser sur le territoire français.

7. Selon les requérants, qui s’appuient notamment sur le rapport Refugee Data Project publié au mois d’avril 2017, environ 200 mineurs non accompagnés sans abri seraient présents à Calais. Ils soutiennent qu’une mise à l’abri au centre dédié de Saint-Omer est souvent difficile, compte tenu de l’absence de maraudes permettant de recenser et d’approcher les mineurs présents sur le territoire de la commune de Calais, de la saturation du dispositif d’accueil de Saint-Omer et de son éloignement géographique.

8. Le département du Pas-de-Calais, en se basant sur les informations communiquées par France terre d’asile, indique qu’une maraude est régulièrement effectuée par deux agents de l’association, notamment lors des distributions alimentaires à destination des migrants, pour prendre contact avec les mineurs, les informer sur leurs droits et les convaincre d’intégrer le dispositif. En 2016, 614 personnes, sur les 1 422 personnes se déclarant mineures accueillies à Saint-Omer, seraient ainsi arrivées grâce à cette maraude. Il est précisé que 5 des salariés de France Terre d’Asile parlent anglais, arabe, pachto, dari, farsi et tigrinya. Sur les cinq premiers mois de l’année, 38 personnes se déclarant mineures auraient ainsi été mises à l’abri par cette maraude. Au total, depuis le début de l’année 2017, 1 270 personnes se déclarant mineures ont été prises en charge au centre de Saint-Omer, pour un total de 6 748 nuitées, contre 1 491 en 2014, 1 524 en 2015 et, ainsi qu’il vient d’être dit, 1 422 en 2016. Toujours selon France terre d’asile, 756 de ces personnes sont arrivées par l’intermédiaire des forces de police, soit près de 70 %. Par ailleurs, 335 personnes, soit 31 %, se sont spontanément présentées au centre, ce qui semble attester d’une connaissance du dispositif par les intéressés et de leur capacité à s’y rendre depuis Calais. Le département du Pas-de-Calais précise enfin que le choix de l’éloignement géographique relativement important avec Calais résulte d’un choix volontaire, afin d’éloigner les mineurs des réseaux de passeurs et des personnes qui tentent de les dissuader d’accepter une prise en charge par le département. Il indique que l’accueil au centre est possible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 grâce à la mise en place d’une astreinte téléphonique et d’un service de convoyeurs, un système de traduction par téléphone étant mis à disposition des mineurs ainsi que de la police et des chauffeurs de taxis chargés de conduire les mineurs à Saint-Omer. Il précise enfin que 85 % des jeunes mis à l’abri font le choix de reprendre leur parcours migratoire et de tenter le passage clandestin vers le Royaume-Uni.

9. Il résulte de ces éléments qu’un dispositif de mise à l’abri des mineurs non accompagnés existe, qu’il n’est pas saturé, et qu’il est accessible aux mineurs présents sur le territoire de la commune de Calais, comme à tous ceux qui sont présents dans le département du Pas-de-Calais. Il n’est d’ailleurs pas contesté que plusieurs des requérants ont eu accès à ce dispositif : M. H. A., qui s’est spontanément présenté au centre, a été hébergé du 27 au 29 avril 2017 ; M. S. A., qui a été orienté par le commissariat de Calais, a été pris en charge du 31 mars au 2 avril 2017 ; M. T. B., qui a été orienté par la maraude, a été mis à l’abri du 2 au 3 juin 2017 ; M. J. S. a été pris en charge du 21 au 25 avril, puis du 26 au 29 avril, du 6 au 8 mai et enfin du 5 au 6 juin 2017 après s’être présenté spontanément ou avoir été orienté par la commissariat de police de Calais ; M. A. S., qui a été orienté par le commissariat de police de Calais, a été pris en charge du 8 au 12 avril 2017. Il n’est pas non plus contesté qu’ils ont tous quitté le centre de Saint-Omer de leur propre initiative, avant qu’il ait pu être procédé à l’évaluation de leur minorité et de leur isolement.

10. Certes, cela ne préjuge pas du fait que des mineurs ne seraient pas informés de l’existence de ce dispositif, qu’ils refuseraient de s’y rendre par méfiance envers les autorités de police et administratives ou même envers les éducateurs, ou encore parce qu’ils souhaitent à tout prix tenter de passer en Grande-Bretagne. Le département reconnaît lui-même que beaucoup des personnes mineures qui ont été prises en charge quelques jours à Saint-Omer sont en réalité des majeurs, qui s’y rendent pour se reposer.

11. Toutefois, cette circonstance ne saurait faire regarder l’absence de structure dédiée aux mineurs non accompagnés sur le territoire de la commune de Calais comme constituant une carence caractérisée du département dans la prise en charge des mineurs non accompagnés.

12. En revanche, il apparaît indispensable, afin d’éviter que des mineurs non accompagnés, soit par défaut d’information, soit par peur, soit parce qu’ils ne renoncent pas à leur projet initial de se rendre en Grande-Bretagne, ne restent seuls, dans des conditions d’hygiène, d’isolement et d’insécurité extrêmes, sans protection aucune, à la merci des réseaux de passeurs ou de traite humaine, que les maraudes soient renforcées, intensifiées, et qu’un véritable recensement de ces mineurs soit effectué. Plusieurs des associations requérantes, présentes sur le terrain, affirment ainsi ne jamais avoir rencontré les maraudeurs de France terre d’asile à Calais. Cette dernière association, qui confirme l’organisation de ces maraudes, reconnait que le faible nombre de personnes qui y sont affectées et la forte dissémination des migrants sur le littoral nord et sur les « camps » de la région (Grande-Synthe, Norrent-Fontes, Tatinghem et Steenvoorde) rend le travail plus difficile. Les maraudes existent à Calais, mais ne sont pas quotidiennes. L’étude d’avril 2017 Refugee Rights Data Project, réalisée à partir d’entretiens menés avec 86 mineurs, selon une méthodologie qui n’a pas été critiquée par les défendeurs, conclut à un véritable déficit d’information de ces mineurs sur les droits qui sont les leurs, tant au regard du droit d’asile que de leur droit à être pris en charge dans des structures dédiées et, le cas échéant, à entrer dans le dispositif d’aide sociale à l’enfance. Ainsi qu’il a été dit, seuls 38 mineurs ont été orientés vers Saint-Omer par la maraude depuis janvier 2017, ce qui est très loin des résultats obtenus avant le démantèlement de la « jungle » sur laquelle ces maraudes étaient alors effectuées (80 % des entrées dans le dispositif de protection se faisaient par les maraudes). Il n’est d’ailleurs pas réellement contesté que, comme le soutiennent les requérants, seules des maraudes quotidiennes permettent de gagner petit à petit la confiance des mineurs et d’amener certains à renoncer à leur projet de passer en Grande-Bretagne.

13. Il résulte de ce qui précède qu’à défaut de maraudes quotidiennes, permettant de recenser les mineurs, de les informer de leurs droits et des possibilités qui s’offrent à eux, de tenter de contrer l’influence exercée sur eux par les passeurs et de les convaincre de renoncer à leur projet migratoire vers la Grande-Bretagne, les mineurs non accompagnés présents sur le territoire de la commune de Calais sont, pour beaucoup d’entre eux, soumis à des traitements inhumains et dégradants. Dès lors que l’organisation de maraudes n’entre pas dans le cadre des obligations légales qui sont celles du département du Pas-de-Calais, il appartient au préfet, dans le cadre de ses pouvoirs de police, en lien avec le département et France terre d’asile et, le cas échéant, avec les associations requérantes qui ont, de par leur travail quotidien, une bonne connaissance du « terrain », de renforcer le dispositif de maraude sur Calais, selon les modalités qu’il jugera les mieux adaptées. La mesure ainsi prescrite devra connaître un début de réalisation dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
 »

Décision disponible en intégralité sous format pdf ci-dessous :

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