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La constitutionnalisation de l’intérêt supérieur de l’enfant

Publié le lundi 15 avril 2019 , mis à jour le jeudi 18 avril 2019

Source : Recueil Dalloz 2019, p. 709

Date : 11 avril 2019

Auteur : Hugues Fulchiron, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, Directeur du Centre de droit de la famille, Institut universitaire de France

Extraits :

« « Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 : La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Il en résulte une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ». Par cette formule, le Conseil constitutionnel (Cons. const., 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC, D. 2019. 584, et 742, note P. Parinet ; AJDA 2019. 662) constitutionnalise l’intérêt supérieur de l’enfant.

(...)

Reste que dans cette décision le Conseil réalise une avancée considérable en déduisant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant dont il entend désormais contrôler le respect.

(...)

1. La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, pierre d’angle du droit de l’enfance. On sait que l’intérêt supérieur de l’enfant est devenu la pierre d’angle du droit de l’enfance et, plus généralement, du droit contemporain de la famille (2). Selon l’article 3, alinéa 1er, de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Le texte joue un rôle fondamental dans la jurisprudence du Conseil d’État (3) et de la Cour de cassation (4), comme dans celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (5) et de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) (6).

Le Conseil constitutionnel ne peut se référer à la CIDE puisqu’il se refuse (pour l’instant ?) à exercer un contrôle au regard des engagements internationaux de la France. La Convention en général, et son article 3, en particulier restent donc hors du bloc de constitutionnalité (7).

2. La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, obligation de nature constitutionnelle. Dans sa décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel se fonde sur les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946 pour poser une obligation constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant.

(...)

Le Conseil constitutionnel puise donc dans les ressources quasi inépuisables que procure une interprétation « dynamique », si l’on ose dire, du Préambule de la Constitution de 1946. À l’évidence, il y a loin entre la logique protectrice du faible (l’enfant, la mère, le vieux travailleur), qui anime celui-ci, et celle de l’affirmation des droits de l’enfant que porte la CIDE. Le terme de « protection » de l’intérêt supérieur de l’enfant permet de faire le lien. Et l’essentiel n’était-il pas de trouver un texte support ?

L’intérêt de l’enfant, rattaché au Préambule de la Constitution de 1946, était présent dans la jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel. Ainsi, dans sa décision 2013-699 DC du 17 mai 2013 relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe, le Conseil avait examiné l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes de même sexe au regard du respect de l’intérêt de l’enfant « qu’implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (§ 53 et 54). Dans la décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 (loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie), il était, pour la première fois, fait référence à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Avec la décision du 21 mars 2019, il est non seulement question d’intérêt supérieur de l’enfant, mais encore l’exigence de sa protection est énoncée de façon à la fois générale et autonome (...) L’intérêt supérieur de l’enfant devient ainsi une des clefs du contrôle de constitutionnalité (comp. la décision du 6 sept. 2018, préc., dans laquelle le Conseil se contente d’affirmer que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit, notamment au regard des conditions de la rétention, faire l’objet d’une attention particulière dans la mise en oeuvre de ces mesures »). Le Conseil en donne immédiatement la preuve en examinant le texte qui lui est soumis au regard du principe dégagé (§ 5 à 13).

3. La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, exigence universelle. Le Conseil constitutionnel se met ainsi au niveau des deux autres « plus hautes juridictions françaises » (pour reprendre la formule du Protocole n° 16 de la CEDH ouvrant la voie à la procédure de demande d’avis) et, surtout, de la CEDH et de la CJUE. Le pas franchi est capital pour la protection des droits de l’enfant mais aussi pour la crédibilité internationale du Conseil constitutionnel français. Comment expliquer, en effet, aux juridictions européennes ou internationales, ou encore aux grandes organisations européennes et internationales... sans parler des autres juridictions constitutionnelles, que le Conseil constitutionnel français n’exerce pas son contrôle au regard de ce qui constitue pour tous « une considération primordiale » ? Désormais, le « dialogue des juges » pourra se développer sur un pied d’égalité. (...) »

Voir en ligne : https://www.dalloz.fr/documentation...


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