Faits et procédure :
Les requérants, des mineurs non accompagnés de nationalité afghane, invoquent la violation de l’article 3 en raison de leurs conditions de séjour en Grèce. Plus particulièrement, certains requérants se plaignent de leurs conditions de détention dans des postes de police grecs où ils ont été placés en « garde protectrice », et d’autres se plaignent de leurs conditions de séjour dans un camp en Grèce.
La Cour déclare les griefs dirigés contre l’Autriche, la Croatie, la Hongrie, la Macédoine du Nord, la Serbie et la Slovénie irrecevables pour défaut manifeste de fondement. Toutefois, elle déclare les griefs dirigés contre la Grèce et tirés des articles 3 et 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme recevables.
Décision :
La Cour conclut à la violation des articles 3 et 5§1 de la CESDH.
D’une part, sur les conditions de détention imposées à trois requérants dans divers postes de police, lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée, la Cour juge qu’elles constituent un traitement dégradant au sens de l’article 3. La Cour souligne que la détention dans ces établissements peut engendrer chez les individus un sentiment d’isolement vis-à-vis du monde extérieur, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur leur bien-être physique et moral.
D’autre part, sur les conditions de séjour dans le camp, la Cour considère que les autorités n’ont pas accompli tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu d’elles pour garantir la prise en charge et la protection des mineurs isolés, qui ont passé un mois dans le camp. La Cour rappelle l’obligation particulière pesant sur l’État grec s’agissant des personnes particulièrement vulnérables en raison de leur âge. Ainsi, l’article 3 de la Convention a été violé en raison des conditions de vie des requérants.
Au regard de l’article 5 de la Convention, la Cour juge que le placement de trois des requérants dans les postes de police s’analyse en une privation de liberté. Les autorités grecques ne sachant expliquer pour quelle raison elles ont d’abord placé les requérants dans des postes de police et dans des conditions de détention dégradantes, et non dans d’autres lieux d’hébergement provisoire adaptés à leur situation, ont violé leur droit à la liberté et à la sûreté protégé par l’article 5 de la Convention.
Voir aussi : CEDH, 28 février 2019, Affaire H.A et autres c. Grèce, Requête n°19951/16
Extraits de l’arrêt :
« […].
50. La Cour souligne que les postes de police présentent des caractéristiques pouvant faire naître chez le détenu un sentiment de solitude (absence d’enceinte extérieure pour se promener ou faire de l’exercice physique, de structures de restauration interne, de postes de radio ou de télévision permettant d’avoir un contact avec le monde extérieur) et ne sont
pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée. Ainsi, la détention dans ces lieux pourrait faire naître chez les intéressés des sentiments d’isolement du monde extérieur, avec des conséquences potentiellement négatives sur leur bien-être physique et moral. La Cour note aussi que, dans son rapport du 26 septembre 2017, établi à la suite de ses précédentes visites en Grèce, le CPT a indiqué que la pratique qui consistait à placer en détention dans des postes de police, dans un but « protecteur », pendant plusieurs jours, voire des semaines, les mineurs non accompagnés ou séparés sans aucune assistance ou soutien psychologique et social était inacceptable (paragraphe 28 ci-dessus). Le CPT a réitéré ce constat dans son rapport du 19 février 2019, dans lequel il a de nouveau recommandé aux autorités grecques de cesser de retenir des enfants non accompagnés, entre autres, dans les commissariats de police et dans les postes des gardes frontières (paragraphes 29-30 ci-dessus).
[…]
55. La Cour relève que les États qui, tel l’État défendeur, sont parties à la Convention relative aux droits de l’enfant, sont tenus en vertu de l’article 20 de celle-ci de garantir à tout enfant « temporairement ou définitivement privé de son milieu familial » relevant de leur juridiction « une protection de remplacement conforme à sa législation nationale » ;
l’article 20 précise que cette obligation s’impose quelle que soit l’origine nationale de l’enfant. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour qu’au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention, les États parties sont tenus de protéger et de prendre en charge les mineurs étrangers non accompagnés (Khan c. France, n° 12267/16, § 44, 28 février 2019).
56. Plus précisément, dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir, par exemple, N.T.P. et autres c. France, n° 68862/13, § 44, 24 mai 2018, ainsi que les arrêts auxquels il renvoie, et Rahimi, précité, § 87). La Cour a ainsi souligné dans l’arrêt Rahimi précité (ibidem) qu’en tant que mineur étranger non accompagné en situation irrégulière, le requérant relevait de la « catégorie des personnes les plus vulnérables de la société », et qu’il appartenait à l’État grec de le protéger et de le prendre en charge par l’adoption de mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 (ibid. § 74).
57. L’obligation de protection et de prise en charge des requérants était donc susceptible de s’imposer d’office aux autorités internes (ibid. § 45).
58. La Cour est consciente du fait que le camp d’Idomeni, étant un camp de fortune établi par les réfugiés eux-mêmes, échappait à tout contrôle des autorités étatiques. Les occupants du camp vivaient en situation de grande précarité, évoluaient dans des conditions matérielles déplorables et leur survie dépendait de l’aide apportée par les quelques organisations nongouvernementales présentes sur le site. L’expansion du camp et
l’aggravation des conditions de vie en son sein sont, dans une certaine mesure, imputables à la lenteur avec laquelle l’État a procédé au démantèlement de ce camp et surtout à l’omission de mettre lui-même en place des moyens pour pallier la crise humanitaire qui a caractérisé ce camp tout au long de son existence, le seul engagement de quelques organisations non gouvernementales ne suffisant pas à faire face à l’ampleur des problèmes.
59. En outre, en son article 19, relatif aux mineurs non accompagnés, le
décret n° 220/2007 fait obligation aux autorités compétentes de prendre immédiatement les mesures appropriées, afin d’assurer la protection nécessaire de ceux-ci. Parmi ces mesures figure l’obligation d’informer le procureur compétent en matière de mineurs et, à défaut d’existence d’un tel procureur, le procureur près le tribunal de première instance territorialement compétent, qui agit comme un tuteur provisoire et entreprend les démarches nécessaires pour la désignation d’un tuteur. À cet égard, la Cour note que les autorités ayant procédé à l’arrestation initiale, sur l’île de Chios, des requérants susmentionnés ont remis ceux-ci en liberté afin de les inciter à quitter le territoire grec dans un délai d’un mois (paragraphe 9 ci-dessus). Or il ne ressort pas du dossier qu’un procureur ait été informé de la présence de ces mineurs non accompagnés sur le territoire national. S’il l’avait été, il aurait dû prendre des mesures appropriées pour les faire transférer dans une structure d’accueil appropriée et leur éviter de vivre plusieurs jours durant dans un environnement manifestement inadapté à leur condition de mineurs non accompagnés.
60. Or, ces circonstances conduisent en elles-mêmes à s’interroger sur le respect à leur égard, par l’État défendeur, de l’obligation de protection et de prise en charge des mineurs isolés étrangers qui résulte de l’article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Khan, précité, § 88).
61. Les requérants ont ainsi vécu durant un mois dans le camp d’Idomeni, dans un environnement inadapté à leur condition d’adolescents, que ce soit en termes de sécurité, de logement, d’hygiène ou d’accès à la nourriture et aux soins, et dans une précarité incompatible avec leur jeune âge. Eu égard à ce constat, la Cour n’est pas convaincue que les autorités ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection des requérants susmentionnés, qui pesait sur l’État défendeur s’agissant des personnes particulièrement vulnérables en raison de leur âge.
[…]
69. La Cour est d’avis que le placement des requérants figurant sous les numéros 1, 2 et 4 dans les postes de police s’analyse en une privation de liberté. À cet égard, elle relève que les autorités ont appliqué de manière automatique l’article 118 du décret n° 141/1991 prévoyant la « garde protectrice » (paragraphe 24 ci-dessus). Or ce texte n’a pas été conçu pour les migrants mineurs non accompagnés, et il ne fixe pas de limite temporelle, ce qui peut conduire à des situations où la privation de liberté de mineurs non accompagnés peut se prolonger pendant des périodes assez longues. Cela est d’autant plus problématique lorsque cette privation de liberté a lieu dans des postes de police, où les conditions de détention sont incompatibles avec de longues détentions. De plus, la Cour rappelle que
l’article 13 § 6 b) du décret n° 114/2010 (paragraphe 25 ci-dessus), qui transpose en droit grec la directive 2005/85/CE du Conseil de l’Union européenne, prévoit que les autorités doivent éviter la détention des mineurs. En outre, l’article 32 de la loi n° 3907/2011 prévoit que les mineurs non accompagnés ne doivent être placés en rétention qu’en dernier
ressort, pour la période la plus brève possible. Enfin, l’article 3 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant de 1989 oblige les États à prendre impérativement en considération l’intérêt supérieur de l’enfant dans la prise des décisions le concernant. Par conséquent, la Cour estime que le Gouvernement n’explique pas pour quelle raison les autorités ont d’abord placé les requérants susmentionnés dans des postes de police et dans des conditions de détention dégradantes, et non dans d’autres lieux d’hébergement provisoire. Elle conclut donc que la détention desdits requérants n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition (voir, aussi dans ce sens, H.A. et autres, précité, §§ 198-208).
[…]. »
Voir l’arrêt :
Voir le communiqué de presse :