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Être accueilli chez l’habitant : de l’hébergement-épreuve à la cohabitation-tremplin pour les migrants

Publié le mardi 18 juin 2019 , mis à jour le mardi 18 juin 2019

Source : Les Cahiers de Rhizome, Santé mentale et précarité #71 p. 51 à 60

Edition : Orspere Samdara

Date : avril 2019

Auteurs : Marjorie Gerbier-Aublanc et Évangeline Masson Diez

Extraits :

«  Mamadou* avait 16 ans lorsque, après avoir dormi deux semaines sous un pont près de Paris, une personne lui a proposé de dormir chez l’habitant : « Au début, j’avais peur, vu que je connais pas la personne, j’avais peur qu’elle m’accuse de vol et que je la gêne. J’avais peur aussi qu’elle me fasse du mal. Le premier soir, Thérèse m’a présenté son fils, elle m’a parlé un peu d’elle. Elle m’a tout montré, elle m’a dit : “tu dors là.” C’était dans le salon avec un autre. On était serrés, mais c’était bien et c’était mieux que dehors. Et elle m’a bien traité. Parfois on gêne, elle me disait tu ne me gênes pas, mais moi je crois pas, on gêne forcément un peu. Le matin, elle me demandait si j’avais bien dormi. Je disais “oui, oui”, mais je ne dormais pas, pas à cause de chez elle, mais à cause d’avant, de sur la route et du reste, je dormais pas, mais je disais rien pour pas l’inquiéter. Aujourd’hui, c’est comme une maman pour moi, j’ai plus ma mère et Thérèse est un peu comme une maman. Je ne sais pas ce que je suis pour elle. »

L’expérience de Mamadou est loin d’être isolée. Depuis 2015, le retour en visibilité des campements de migrants associé à la médiatisation des morts en Méditerranée ont renouvelé les mobilisations citoyennes de soutien aux migrants (Agier et al., 2018 ; Gerbier-Aublanc, 2018a). Moins visible que les actions de distributions, l’hébergement citoyen a pris de l’ampleur en France.

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L’accueil chez l’habitant : perceptions floues et choix stratégique

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En plus de manquer d’informations sur leurs hôtes, les accueillis ont du mal à comprendre le sens de leurs démarches et craignent, à l’instar de Mamadou cité en introduction, de déranger ou qu’une contrepartie soit attendue. Au-delà de l’incompréhension, certains appréhendent, en entrant chez l’habitant, de se trouver à la merci de leurs hôtes, même lorsqu’une relation de confiance s’est instaurée avec les coordinateurs des programmes qui les y orientent. (...)

Les représentations de l’accueil chez l’habitant demandent néanmoins à être mises en perspective avec le statut administratif des migrants. Certaines personnes ayant obtenu l’asile perçoivent cette forme d’accueil comme un moyen d’« intégration par l’immersion ». Ainsi, Alam, qui avait une vision très claire de ce que cette cohabitation pouvait lui apporter, a choisi de vivre avec une famille française afin d’« apprendre la culture, la langue, comment les gens vivent ». De la même manière, l’accueil chez l’habitant apparaît pour certains comme un moyen de se soustraire aux règles de l’hébergement institutionnel. D’autres encore se dirigent vers ce type de programme pour quitter la zone géographique dans laquelle ils ont été affectés et trouver plus facilement du travail. Ces cohabitations sont donc mobilisées par les réfugiés statutaires comme une stratégie de réappropriation de leur existence et de leur parcours d’insertion. Néanmoins, seuls les réfugiés disposent de ce type de libertés.

Les demandeurs d’asile et les jeunes reconnus mineurs sont contraints d’accepter la prise en charge institutionnelle qu’ils se voient proposer sous peine de perdre leur allocation de demandeur d’asile (ADA) et de ne plus être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE). À ce propos, lorsque les personnes obtiennent une place en hébergement institutionnel, les coordinateurs des programmes mettent fin à l’accueil chez l’habitant.

La cohabitation au quotidien : une épreuve pour les hébergés

Cependant, l’accueil chez l’habitant peut être vécu comme une épreuve par les migrants, et ce pour trois raisons principales : l’impossibilité de s’y fixer, les attentes de leurs hôtes et l’impossibilité d’en parler.

L’impossible chez-soi

Si dormir chez un particulier permet d’échapper à la rue ou aux règles de l’hébergement institutionnel, construire un « chez-soi » nécessite de pouvoir habiter un espace, d’y fixer son empreinte (Bernard, 2005 ; Segaud, 2010). Or, le processus d’appropriation des lieux chez l’habitant est limité de manière pratique et symbolique, dans l’espace et dans le temps et repose sur une relation fragile (Pitt-Rivers, 2012) et dissymétrique (Gotman, 2001).

Pour commencer, les accueillis sont souvent contraints dans leurs allées et venues par les craintes et les impératifs de l’accueillant. Les clés du logement ne leur sont pas systématiquement confiées et, dans certains cas, ils ne sont pas autorisés à rester seuls dans l’appartement.

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À cette impossibilité de recevoir, s’ajoute un ensemble de règles codifiant les cohabitations, établies par les coordinateurs des programmes et clairement explicitées aux hôtes en amont de l’accueil. Mis à part le cas des réfugiés statutaires dont l’accueil chez l’habitant est prévu pour une durée minimale de trois mois, tous les programmes fonctionnent à partir d’un système de rotation : un accueil en roulement de quelques jours à quelques semaines chez plusieurs particuliers. Si cette formule permet de rendre l’accueil léger pour les accueillants, il maintient les accueillis dans un état de mobilité particulièrement éprouvant. Ce déplacement répété est souvent associé à un sentiment de lassitude renforcé par ce qu’ils vivent avec l’Administration : une litanie de démarches, de rendez-vous, d’interlocuteurs.

Cette lassitude est associée à des appréhensions et à un perpétuel recommencement : recréer à chaque changement de foyer une relation, se réadapter à d’autres modes de vie, se raconter à chaque fois. « Tu t’adaptes. Tu t’adaptes à tout. Ce qui est dur c’est le rythme de vie et le manque de compréhension. Tu arrives et tu ne sais pas trop ce qu’il faut faire ou pas faire », se souvient Georges, 17 ans. Lorsqu’ils ont noué des liens d’affection avec leurs hôtes, ces déplacements leur font parfois revivre un déchirement déjà vécu avec l’émigration.

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Des attentes pesantes

À l’impossible installation des migrants chez l’habitant s’ajoute la difficulté ressentie de devoir satisfaire, ou du moins gérer, les attentes de leurs hôtes : raconter son parcours, participer à des moments de convivialité ou encore suivre leurs conseils. Alors que tous les coordinateurs de programmes demandent aux accueillants de ne poser aucune question relative au passé ou au futur des accueillis, ces derniers sont toujours tentés d’en savoir plus sur l’histoire de la personne qu’ils accueillent.

Parfois, les questions peuvent être intrusives, vécues par les migrants comme des injonctions à se raconter. La relation d’hospitalité suppose en effet toujours une certaine forme de réciprocité (Gotman, 2001) dont le récit de soi constitue la plus haute expression (Gerbier-Aublanc, 2018b). Si certains migrants excusent ce qu’ils appellent des « maladresses », pour d’autres ces moments de questions sont douloureux. Le récit comme acte de réciprocité s’avère particulièrement éprouvant pour les migrants, et c’est afin de s’y soustraire que certains prennent leurs distances vis-à-vis de leurs hôtes, refusant par exemple les moments de partage proposés.

Des cohabitations indicibles

Une dernière difficulté pour les migrants tient à l’indicibilité de ces cohabitations. Quand les cohabitations se passent mal, la peur de perdre sa place, de retourner à la rue ou de décevoir les coordinateurs des programmes est trop forte et freine la parole de l’accueilli. Lors des entretiens, ces derniers commencent systématiquement par dire que toutes les cohabitations s’étaient « bien » ou « un peu bien » passées. Jamais ils n’évoquent d’incidents ou des rapports d’exploitations. Lorsque l’un d’entre eux souhaite quitter un domicile dans lequel il ne se sent pas à l’aise, il utilise alors des excuses : le logement est trop loin, le lit est sale, il ne mange pas à sa faim. À l’inverse, quand tout se passe bien, certains migrants n’osent pas en parler à leurs pairs pour ne pas faire naître de jalousies ou pour ne pas paraître favorisés par rapport à ceux qui vivent toujours à la rue, dans des squats ou des campements.

Mais le plus compliqué à leurs yeux est de devoir dissimuler ces cohabitations à leurs proches restés au pays. Ce mensonge par omission peut alors être vécu avec souffrance par les accueillis qui perçoivent ces modes d’hébergement comme décalés des conditions de survie de leur famille ou défiant les valeurs socioculturelles qui leur ont été transmises. Pour certains jeunes, en particulier les mineurs, c’est le genre de l’hôte qui provoque ce malaise (...)

Pour les mineurs étrangers en situation de recours et d’appel, c’est enfin face à l’institution que ces formes d’hébergement sont indicibles et les coordinateurs de programme leur demandent tacitement de taire ces solutions. En effet, pour pouvoir accéder à une prise en charge en tant que mineur non accompagné, il faut non seulement être reconnu mineur et vulnérable, mais également isolé.

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Un soutien administratif facilitant l’insertion socioprofessionnelle

Au-delà d’ouvrir leur domicile, certains hôtes s’engagent dans une relation d’accompagnement aux démarches administratives des migrants accueillis chez eux. Bien que cette posture soit fortement déconseillée par la plupart des coordinateurs de programmes et ait peu de poids dans les décisions de régularisation, les accueillants tentent par là de raccourcir les temps administratifs et de fluidifier les parcours. L’accompagnement peut également viser l’accès aux prestations sociales et aux soins de santé, en particulier lorsque les accueillis tombent malades ou ont besoin d’un suivi médical régulier. D’autres, enfin, accompagnent physiquement les accueillis vers les organismes administratifs ou les structures de santé. Leur présence facilite leur prise en charge en permettant de fluidifier la communication et de contourner les éventuelles pratiques discriminatoires. Elle rassure également les migrants qui appréhendent, pour diverses raisons, les interactions avec l’institution médicale et les représentants des pouvoirs publics.

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Article disponible au format pdf ci-dessous :

Rhizome_n°71_avril_2019

Voir en ligne : http://www.ch-le-vinatier.fr/orsper...


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