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Cour européenne des droits de l’homme, 5e section, 31 mars 2020, requête 15457/20, mesure provisoire ordonnée pour la prise en charge d’un mineur isolé se retrouvant à la rue, en pleine épidémie de COVID-19, ayant fait l’objet d’un refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance et ayant saisi le juge des enfants

Publié le : jeudi 2 avril 2020

Source : Cour européenne des droits de l’homme, 5e section

Date : 31 mars 2020

Décision à retrouver ci-dessous :

  • Rappel des faits :
    Le requérant, mineur isolé guinéen, est orienté vers le conseil départemental compétent pour mise en place de l’accueil provisoire d’urgence et évaluation de minorité et d’isolement. Il est mis à l’abri dans un hôtel. Le 09 mars 2020, en pleine épidémie de COVID 19, à la veille des mesures de confinement, une décision administrative provisoire de refus de prise en charge lui est notifiée, puis il est remis à la rue.
    Le juge des enfants est saisi sur le fond et sur une demande de placement provisoire (art 375-5 et 375-3 et 4 du code civil). Sans réponse à ce jour.
    Un référé liberté est déposé devant le TA de Limoges qui, par décision du 27 mars 2020, estime que "le refus de poursuivre la prise en charge de M. ne révèle de la part du président du conseil départemental (...)aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit l’hébergement ou la protection de l’intéressé , ni à son droit à la vie, à la dignité , l’intégrité physique et la santé ou encore son droit au respect de sa vie privée et familiale ou son droit l’accès au juge et un recours effectif".
    Face à l’urgence de la situation de ce mineur en danger, au risque lié au COVID-19, à l’absence de recours suspensif, la Cour européenne des droits de l’homme est saisie d’une demande de mesures provisoires d’urgence, dans le cadre de l’article 39 du règlement de la Cour, en parallèle de l’appel devant le Conseil d’Etat.
  • Analyse d’InfoMIE - éléments de contexte :

L’épidémie de COVID-19 met en exergue une incongruité de notre système de prise en charge des mineur.e.s isolé.e.s à savoir l’absence de recours effectif, c’est à dire suspensif, des mineur.e.s isolé.e.s, pourtant parmi les justiciables les plus vulnérables, suite à la décision administrative provisoire de refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance.

En effet, aujourd’hui, dans le système français, si à la suite d’une évaluation sociale de minorité et d’isolement diligentée par un Conseil départemental un.e mineur.e isolé.e fait l’objet d’un refus d’admission à l’aide sociale à l’enfance, ce dernier doit saisir le juge des enfants pour contester cette décision et demander la mise en oeuvre des mesures provisoires prévues aux articles 375-5 du code civil et 375-3 et 4. Le juge des enfants n’est tenu par aucun délai pour audiencer, la mise en place des mesures provisoires précitées est facultative et force est de constater en pratique que peu de magistrats dans l’attente mettent en place ces mesures de protection.
Les mineur.e.s isolé.e.s se retrouvent ainsi non pris en charge, durant le temps du recours devant le juge des enfants, voire devant la Cour d’appel.

Il est utile de rappeler que cette situation portée à la connaissance de la Cour en pleine épidémie de COVID 19 fait écho à une autre situation dont la Cour européenne a été également saisie, l’affaire S.M.K. contre France, mettant également en exergue l’absence de recours effectif des mineur.e.s isolé.e.s en France. C’est d’ailleurs l’interprétation retenue par la Cour européenne des droits de l’homme puisque cette dernière, dans l’affaire SMK C. France du 15 mars 2019, Requête n°14356/19, a ordonné des mesures provisoires afin qu’une mineure isolée puisse bénéficier d’une prise en charge dans l’attente de l’examen de son recours devant le juge des enfants et la Cour d’appel.

Ces affaires renvoient donc à la question du droit au recours effectif des mineur.e.s isolé.e.s et donc plus largement à la question de la présomption de minorité.

En effet, en application des articles 375 et suivants du code civil, seules les juridictions des mineur.e.s, le juge des enfants et la cour d’appel, sont compétentes pour confier durablement un enfant à un service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) lorsque celui-ci est en danger ou en risque de danger. Il appartient donc à l’autorité judiciaire de déterminer, en même temps que l’existence d’un danger ou d’un risque de danger, si la personne est mineure ou non.

A ce titre, le Conseil d’Etat considère, depuis sa décision du 1er juillet 2015, "que la seule faculté dont dispose le conseil départemental s’agissant de la protection d’un mineur est de choisir de saisir ou non, l’autorité judiciaire en vue d’un placement, et ce dans le délai de 5 jours, fixé par le code de l’action sociale et des familles (...)".

Cette jurisprudence constante établit une présomption de minorité qui s’attache à la personne se déclarant mineure isolée dans la mesure où, selon le Conseil d’Etat, seul le juge des enfants peut se prononcer sur l’admission d’un mineur à l’aide sociale à l’enfance. La haute juridiction a tiré de cette présomption la conclusion selon laquelle tout recours contre une décision administrative de refus d’admission à l’ASE présenté par un mineur était irrecevable devant le juge administratif, « du fait de son incapacité à agir en justice »

Cette présomption est entérinée par le Comité des droits de l’enfant et réaffirmée de manière singulière dans ces dernières décisions contre l’Espagne.

En effet, en sa qualité d’interprète authentique de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant souligne dès 2005 que le processus d’évaluation initiale des mineurs non accompagnés, « doit […] se faire avec tout le respect dû à la dignité humaine et, en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé − qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur » (CDE, 1er septembre 2005, Observation générale n° 6, Traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, § 20).

Dernièrement, le Comité des droits de l’enfant est venu fermement rappeler l’importance de respecter cette présomption de minorité. A ce titre, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies consacre de manière très claire cette présomption de minorité dans ses décisions du 31 mai 2019 contre l’Espagne, aff. CRC/C/81/D/22/2017 et CRC/C/81/D/16/2017 dans lesquelles il précise :
« la détermination de l’âge d’une jeune personne qui déclare être mineure revêt une importance fondamentale, dans la mesure où son issue détermine si cette personne bénéficiera ou non de la protection nationale en tant qu’enfant. De la même façon, et ce point est d’une importance vitale pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention découle de cette détermination. Par conséquent, il est donc impératif qu’il y ait une procédure équitable pour déterminer l’âge d’une personne, et qu’il y ait la possibilité de contester le résultat obtenu par le biais d’une procédure d’appel. Pendant que ce processus est en cours, la personne doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traitée comme un enfant » (référence : CRC/C/81/D/16/2017, §12.3)