Source : Tribunal administratif de Lyon, juge des référés
Date : Ordonnance du 17 avril 2020 n°2002719
Extraits :
« 4. Il résulte de ces dispositions qu’il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
5. L’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Il incombe, dès lors, au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 et qui, compte tenu de l’urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai.
6. En outre, il appartient, en tout état de cause, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à de tels traitements, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante‑huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence. Toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. Par suite, le juge des référés ne pourrait prononcer une injonction à leur égard que dans l’hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d’action du département.
7. Enfin, aux termes de l’article 47 du code civil : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Il résulte de ces dispositions que la force probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d’établir que l’acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l’administration de la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties.
8. Il résulte de l’instruction que M. se déclarant ressortissant guinéen né le
20 novembre 2003, s’est présenté le 22 novembre 2019 au centre de mise à l’abri et d’évaluation de Forum réfugiés et a fait l’objet le 25 novembre 2019 d’une évaluation au titre du dispositif d’évaluation des mineurs étrangers isolés. Par une décision du 25 novembre 2019, la métropole de Lyon a refusé sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, au motif que les éléments recueillis lors de l’évaluation ne permettaient pas de confirmer son identité et sa minorité. M. a saisi le 29 janvier 2020 le juge des enfants du tribunal judiciaire de Lyon afin qu’il ordonne, sans délai, une mesure de protection en application des articles 375 et suivants du code civil. Le juge des enfants a convoqué M. pour une audience en son cabinet le 25 mars 2020 mais, compte tenu de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire, cette audience a été reportée sine die. Par suite, par un mail de son conseil du 11 avril 2020, M. a saisi la métropole de Lyon d’une demande de mise à l’abri dans l’attente de la décision du juge des enfants.
9. Si à la suite de l’évaluation dont a fait l’objet M. qui était alors en possession d’un extrait du registre de l’état civil, des doutes ont été émis sur son âge, il produit toutefois désormais en outre, en soutenant avoir obtenu cette pièce grâce à l’action du Secours populaire, un acte de naissance. Si en défense, la métropole de Lyon conteste la véracité de ces documents, les arguments qu’elle avance, qui ne permettent pas de mettre en évidence une irrégularité, une falsification ou une inexactitude, ne sont toutefois pas de nature à renverser la présomption d’authenticité résultant de l’article 47 précité du code civil.
10. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la métropole de Lyon, la mise à l’abri que sollicite M. dans l’attente de la décision du juge des enfants saisi par l’intéressé, lui incombe. Par ailleurs, compte tenu de la protection particulière à laquelle M. peut prétendre dans le contexte lié à la situation d’état d’urgence sanitaire, et alors qu’il ne résulte d’aucun élément que le juge des enfants serait amené à se prononcer rapidement, la métropole de Lyon, qui ne soutient pas ne disposer d’aucune solution d’hébergement, en refusant de le prendre en charge, a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Enfin, compte tenu de l’état de vulnérabilité particulière de l’intéressé, qui vit dans un squat et est sans ressource, et dudit contexte, l’intervention du juge des référés du tribunal est justifiée par une situation d’urgence. »
Ordonnance à retrouver en format pdf ci-dessous :