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Comité des droits de l’enfant - Décision CRC/C/92/D/130/2020 du 25 janvier 2023 - Le Comité considère que l’Etat français a violé les articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 37 (a) de la CIDE et de l’article 6 du Protocole facultatif.

Publié le : vendredi 10 février 2023

Saisi de la situation d’un mineur isolé de nationalité pakistanaise arrivé sur le territoire français à l’âge de 16 ans, le Comité dans sa décision CRC/C/92/D/130/2020 du 25 janvier 2023, constate que l’Etat français a violé plusieurs articles de la Convention internationale des droits de l’enfant, notamment les garanties attachées à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’identité (articles 3 et 8 de la CIDE), combinés aux articles 12, 20 et 37 de la Convention (droit pour un enfant d’exprimer librement son opinion, d’obtenir une protection et une aide spéciales de l’Etat, et de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants).

Cette condamnation intervient après que des mesures provisoires sont ordonnées en 2020 en vue du placement de l’enfant dans un foyer pour mineur jusqu’à sa majorité. L’Etat français n’a pas entendu respecter cette mesure. Le Comité conclut aussi, dans cette instance, à la violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

Extraits de la décision :

«  (…) 8.5 (…) Le Comité rappelle que les États parties ne sauraient agir dans un sens contraire à ce qu’établit un document d’identité original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté sa validité. Dans l’espèce, la vérification auprès des autorités consulaires, avec le consentement de l’auteur, aurait suffi à confirmer son âge. (…) »

« 8. 7 (…) le Comité rappelle que dans le contexte de l’évaluation de l’intérêt supérieur et dans le cadre des procédures de détermination de l’intérêt supérieur, le droit de faire appel de la décision devant une juridiction supérieure ou une autorité indépendante, avec effet suspensif doit être garanti aux enfants.  »

« 8.8 (...) le Comité rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Le Comité considère que le fait d’assurer la représentation de ces jeunes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendu29. Ne pas assurer leur représentation constituerait une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est à la base de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut entraîner une injustice grave.  »

«  8.9 (...) En l’espèce, compte tenu en particulier : a) de l’évaluation initiale sommaire qui a été conduite pour déterminer l’âge de l’auteur ; b) du fait que celui-ci n’était pas accompagné d’un représentant pendant la procédure administrative, ni d’un traducteur en sa langue maternelle ; c) que les recours n’étaient pas suspensifs ; et que d) la documentation qu’il a présenté a été jugé sans valeur probante sans même que l’État partie ait procédé à un examen en bonne et due forme des informations qu’il contenait ni, s’il doutait de leur validité, qu’il en demande confirmation aux autorités consulaires du Pakistan en France, et ce jusqu’à la décision de la Cour d’appel, soit presqu’un an et demi depuis son entrée en France et lorsque celui-ci était déjà majeur, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale dans la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention »

«  8.10 (…) Le Comité considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. Il fait observer qu’en l’espèce, bien que l’auteur ait produit devant les autorités françaises plusieurs documents d’identité, l’État partie n’a pas respecté son identité en considérant que ces documents n’avaient aucune valeur probante, sans que les informations qui y figuraient aient été dûment examinées par une autorité compétente ni vérifiées auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur jusqu’à la décision de la Cour d’appel le 12 février 2021, soit lorsque l’auteur était déjà majeur. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention. »

« 8.11 (...) Le Comité rappelle que les Etats parties sont obligés d’assurer la protection de tout enfant migrant privé de son milieu familial, en garantissant, entre autres, leur accès aux services sociaux, à l’éducation et à un logement adéquat et que pendant la procédure de détermination de l’âge les jeunes gens migrants qui affirment être enfants doivent se voir accorder le bénéfice du doute et être traités comme des enfants. Le Comité considère, en tout cas, que les enfants ne doivent pas être tenus de demander explicitement de mesures provisoires de protection pendant la procédure de détermination de leur âge puisqu’il s’agit d’une obligation ex officio des États parties considérant la vulnérabilité particulière des enfants migrant non accompagnés En conséquence, le Comité considère que ces faits constituent une violation des articles 20 (par. 1) et 37 (a) de la Convention. (...) »

"8.13 Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu du paragraphe 5 de l’article 10 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12, 20 (par. 1) et 37 (a) e la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

9. En conséquence, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective pour les violations subies, y compris de lui donner la possibilité de régulariser sa situation administrative dans l’État partie et bénéficier de la protection prévue par la législation interne, en tenant dûment compte du fait qu’il était un enfant non accompagné lorsqu’il est rentré sur le territoire français. Il est également tenu de veiller à ce que de telles violations analogues ne se reproduisent pas.

À cet égard, le Comité demande à l’État partie :

a) De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens affirmant être mineurs est conforme à la Convention et, en particulier, de faire en sorte : i) que les documents soumis par les intéressés soient pris en considération et leur authenticité reconnue lorsqu’ils ont été établis, ou leur validité confirmée, par les États ou leurs ambassades ; ii) qu’un représentant légal qualifié ou d’autres représentants soient désignés sans délai et à titre gratuit et que les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister tout au long de la procédure ; iii) que les évaluations initiales soient conduites de façon conforme à la Convention, à l’observation générale no 6 et à l’observation générale conjointe nos 23 du Comité.

b) De garantir que tout jeune affirmant être mineur bénéficie d’information adaptée à son degré de maturité et à sa capacité de compréhension, dans une langue et sur un support compréhensible.

c) Assurer la célérité de la procédure de détermination de l’âge et adopter des mesures de protection en faveur des jeunes gens affirmant être mineurs dès leur entrée sur le territoire de l’État partie et pendant toute la procédure en les traitant comme des enfants et en les reconnaissant tous les droits sous la Convention.

d) De garantir que les jeunes non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans se voient assigner un tuteur compétent le plus rapidement possible, y compris lorsque la procédure de détermination de l’âge est encore en cours ;

e) Veiller à ce que, en cas de litige concernant la minorité d’un enfant, il existe un recours efficace et accessible pouvant conduire à une décision rapide, à ce que les enfants soient pleinement conscients de ce recours et des procédures y afférentes, et à ce que les jeunes qui prétendent avoir moins de 18 ans soient considérés comme des enfants et bénéficient de la protection des enfants pendant toute la procédure.

f) De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés une formation sur les droits des mineurs demandeurs d’asile et des autres mineurs migrants, et en particulier sur l’observation générale no 6 et les observations générales conjointes nos 22 et 23 du Comité.

10. Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement."

Lire la décision intégrale au format PDF ici :

CRC/C/92/D/130/2020