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Cour des comptes | La scolarisation des élèves allophones - Communication à la commission des finances du Sénat - Mars 2023

Publié le jeudi 16 mars 2023 , mis à jour le jeudi 16 mars 2023

Source : Cour des comptes
Date de la publication : Mars 2023

« Synthèse

L’obligation d’instruction est désormais en vigueur dans notre pays pour les jeunes de trois à 16 ans, et une obligation de formation existe de 16 à 18 ans pour les jeunes qui ne sont pas en emploi. Au-delà des élèves du territoire, l’instruction obligatoire concerne, quel que soit leur statut, tous les nouveaux arrivants, y compris ceux dont la langue maternelle n’est pas le français. Pour donner aux élèves allophones les mêmes chances de réussite qu’aux autres, il est nécessaire de prévoir des dispositifs spécifiques de soutien, en particulier linguistique, en tout cas dans une phase initiale. Cette question est particulièrement sensible outre-mer en Guyane et à Mayotte, compte tenu de la démographie et des flux migratoires dans ces régions, dans un contexte d’existence de plusieurs langues maternelles autres que le français.

Une connaissance imparfaite du nombre d’élèves concernés

La scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et les délais d’affectation à l’école font l’objet d’une enquête en principe annuelle du ministère. Mais ces statistiques sont en réalité irrégulières, incomplètes et des discordances subsistent entre données académiques et nationales. Les statistiques qui existent, et qui méritent d’être améliorées, montrent des profils des EANA très hétérogènes. Les conditions d’arrivée sur le territoire français ainsi que les raisons de la migration ont un impact important sur la scolarisation. Les élèves allophones normalement scolarisés avant leur arrivée en France, comme les jeunes réfugiés ukrainiens, sont dans une situation très différente de celle d’autres EANA qui n’ont pas été scolarisés antérieurement (dénommés EANA-NSA).

Au cours de l’année scolaire 2020-2021 (dernier chiffre connu), 64 564 EANA ont été scolarisés en école élémentaire, en collège ou en lycée. Leur nombre a très certainement diminué jusqu’en mars 2022 du fait de la crise sanitaire, puis a augmenté depuis cette date compte tenu des enfants réfugiés ukrainiens scolarisés (près de 18 000 au moment du dépôt du rapport). 23 % de ces élèves n’ont pas été scolarisés antérieurement, ou très peu, dans leur pays d’origine. Le ministère ne dispose d’aucun moyen d’identifier le nombre de jeunes allophones n’ayant fait aucune démarche de demande de scolarisation.

La répartition des EANA est relativement équilibrée entre les académies. Les deux académies ultramarines de Guyane et de Mayotte se distinguent par un pourcentage particulièrement élevé d’élèves allophones dans leur population scolaire. En métropole, les deux académies de Paris et de Lyon ont la proportion d’élèves allophones la plus élevée, celle de Rennes la moins importante.

Un principe d’inclusion avec des aménagements

L’inclusion dans les classes ordinaires doit constituer la modalité principale de la scolarisation et le but à atteindre. Elle doit s’effectuer selon le critère d’âge avec un à deux ans d’écart maximum avec l’âge de référence de la classe concernée. Des structures particulières d’accueil des EANA, les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A), organisent les liens avec la classe ordinaire et y prévoient des temps de présence, dans une logique de personnalisation des parcours.

Jusqu’en 2020, les délais d’affectation dans ces structures se sont allongés, notamment dans les zones les plus concernées par les flux migratoires. Ils ont, en revanche, probablement diminué depuis deux ans, même si les statistiques ne sont pas disponibles en ce domaine. Le plus préoccupant est le nombre d’élèves non scolarisés dans le secondaire au bout d’un long délai. En effet, au bout de six mois, 9,3 % des EANA relevant du collège et 17,3 % de ceux qui devraient aller au lycée ne sont pas scolarisés. En dépit des dispositions d’une directive de l’Union européenne de 2013, notre pays n’a pas fixé de délai maximal au terme duquel les EANA doivent être inscrits dans un établissement scolaire.

Les difficultés d’accès aux dispositifs de soutien

En 2020-2021, 91 % des EANA ont bénéficié d’un accompagnement linguistique, dont 62 % en UPE2A ordinaire, 8 % en UPE2A pour les non scolarisés antérieurement, 19 % inclus en cursus ordinaire avec un soutien linguistique et 2 % soutenus par un autre dispositif. Les moyens spécifiques s’élèvent à environ 180 M€, mais sans prendre en compte ceux que l’éducation nationale met à disposition pour les EANA comme pour tout élève.

Avant la crise sanitaire, les principales régions en tension étaient les académies franciliennes, les grandes métropoles (Lyon, Grenoble, Bordeaux, Montpellier, etc.), les zones frontalières (Marseille, Lille, Strasbourg, etc.), Mayotte et la Guyane, étant observé que ces deux départements présentent de fortes caractéristiques qui les singularisent au sein de la problématique générale et même ultramarine.

Les chiffres témoignent de la difficulté de mettre en place des dispositifs UPE2A en primaire dans les territoires ruraux à habitat dispersé. Après l’UPE2A, le soutien linguistique n’est plus effectué dans le primaire si ce n’est dans le cadre du fonctionnement de la classe ordinaire. Ceci contraste avec ce qui existe dans plusieurs autres pays, où le soutien linguistique spécifique s’étend sur plusieurs années.

Dans le secondaire, à périmètre constant, le nombre d’UPE2A augmente depuis trois ans, alors que, selon les indications données dans les rectorats, le nombre d’EANA diminue. Cette évolution est notamment due à la montée en puissance du dispositif dans les lycées.

Une insuffisante formation des enseignants

Une étude récente de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)1 donne en matière de formation initiale des résultats très préoccupants : 8 % des enseignants de notre pays se sentent « bien préparés » ou « très bien préparés  » pour enseigner en milieu multiculturel ou plurilingue, contre 26 % en moyenne dans l’ensemble de l’OCDE.
La formation continue sur ces questions reste marginale, surtout dans le premier degré. Même si aucune donnée nationale n’existe en ce domaine, de nombreux enseignants en UPE2A ne disposent pas d’une certification français langue seconde (FLS).

Plusieurs actions ont été entreprises pour l’accompagnement des enseignants. Les centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) animent ces initiatives. Leur mise en réseau reste à améliorer.

Les carences de l’évaluation

Le diplôme d’étude en langue française (DELF) valide des compétences en langue de communication orale et écrite. Les EANA peuvent passer gratuitement ces épreuves au cours de leurs deux premières années en France. Mais cet examen est facultatif et ne constitue donc pas un indicateur systématique de l’avancée dans l’apprentissage de la langue. S’il était généralisé, il constituerait pourtant un bon outil d’objectivation de l’apport du dispositif, débouchant ensuite sur un soutien pédagogique plus précis. Il inciterait à construire des compétences en français dans différentes disciplines scolaires, et donc à une prise en compte du FLS par d’autres enseignants que ceux de français.

Comme dans les autres pays européens visités, les données d’évaluation sont très parcellaires et parfois anciennes. Ceci est d’autant plus dommageable que le caractère insatisfaisant de certains dispositifs peut expliquer en partie le nombre d’élèves se trouvant au bout du compte en situation d’échec scolaire. Il n’existe pas en particulier d’étude de suivi de cohorte des EANA à partir de la date de leur premier test.

La question des élèves allophones de moins de six ans et de plus de 16 ans

Pour les EANA de moins de six ans, le ministère n’envisage pas pour le moment de dispositif spécifique, considérant que l’entrée dans la langue de l’école est une problématique commune à tous les élèves de maternelle. Pourtant, la question mérite d’être posée au vu des pratiques différentes d’autres pays.

S’agissant des EANA de plus de 16 ans, l’écart important entre leur nombre et celui des mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux laisse penser qu’une bonne partie de ces derniers ne bénéficie d’aucune formation. Faute d’orientations nationales précises, les rectorats sont amenés à prendre des initiatives pour tenter de répondre aux besoins, mais sans vision systématique et cohérente. Les UPE2A en lycée sont de création récente, et restent en nombre insuffisant dans certains départements, comme le montrent les délais plus longs pour accéder à ces structures. Le nombre d’élèves en UPE2A n’est pas plafonné par lycée, et ces structures sont le plus souvent insérées dans les lycées professionnels, ce qui concentre les difficultés et pose le problème de l’inclusion. Certaines sont de fait en réalité « fermées », c’est-à-dire sans inclusion en cours d’année ni cours commun avec des classes ordinaires, à l’exception de l’éducation physique et sportive (EPS), si bien que la scolarisation des EANA de 16 à 18 ans ne s’effectue pas dans des conditions satisfaisantes.

Une mobilisation importante pour les jeunes réfugiés ukrainiens

20 075 élèves ukrainiens ont été accueillis au 15 novembre 2022 dans les écoles, collèges, lycées français depuis le 24 février 2022. Ces chiffres sont inférieurs à ceux enregistrés au début de l’été en Allemagne (environ 100 000 jeunes ukrainiens scolarisés) et Italie (27 500). 54 % des élèves ukrainiens sont scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires, 33 % au collège et 13 % au lycée. Leur localisation géographique est assez bien équilibrée.

Les services de l’éducation nationale se sont mobilisés, aux côtés des préfectures, pour scolariser au plus vite les enfants ukrainienst, dès leur arrivée. Les familles ont eu la possibilité de se rendre directement à l’école, au collège ou au lycée le plus proche de leur lieu d’hébergement. Dans certains départements, un guichet unique pour l’ensemble des démarches administratives a été mis en place. Enfin, dès le mois de mars 2022, il a été demandé à toutes les académies de scolariser ces enfants avant de procéder à des tests de positionnement permettant de déterminer leurs acquis initiaux en langue française et leurs compétences scolaires et ainsi de favoriser leur prise en charge rapide. Le délai entre la première prise de contact et l’inscription en établissement scolaire a pu ainsi s’établir à deux à trois semaines.

Le ministère a accepté que les élèves suivent des cours sur la plateforme du ministère ukrainien de l’éducation, mais au sein de l’établissement scolaire et, dans la mesure du possible, sur le temps périscolaire. Dans certaines situations, notamment pour les élèves des classes à examen ukrainien, ce lien avec l’enseignement ukrainien a pu se tenir sur le temps scolaire. Ceci a pu ainsi nécessiter des aménagements d’emploi du temps décidés par les chefs d’établissement. Lorsque les élèves ne disposaient pas de l’équipement numérique nécessaire dans leur lieu d’hébergement, ils ont pu suivre cet enseignement à distance depuis leur établissement ou bénéficier du stock national de prêt d’équipements numériques.

La scolarisation rapide a été facilitée par le nombre de places existant en UPE2A. Le soutien linguistique est principalement assuré par des enseignants itinérants rémunérés en heures supplémentaires effectives (HSE). Au 12 mai 2022, 97 enseignants réfugiés ukrainiens sont recrutés ou en cours de recrutement. Ils sont majoritairement francophones et enseignants en Ukraine, dans diverses disciplines. Le coût moyen annuel par élève des seuls dispositifs spécifiques peut être évalué à environ 2 650 €, soit environ 25 M€ pour la demi année scolaire février-juin 2022. »


Sommaire

PROCÉDURES ET MÉTHODES.......................................................................5
SYNTHÈSE...........................................................................................................7
UNE CONNAISSANCE IMPARFAITE DU NOMBRE D’ÉLÈVES CONCERNÉS........................................................................................................7
RECOMMANDATIONS......................................................................................11
INTRODUCTION................................................................................................13
CHAPITRE I DES PRINCIPES ET DES MOYENS DE SCOLARISATION SPÉCIFIQUES POUR DES ÉLÈVES AUX CARACTÉRISTIQUES TRÈS DIVERSES............................................................................................................15
I - UNE CONNAISSANCE INSUFFISANTE DU NOMBRE D’ÉLÈVES CONCERNÉS........................................................................................................16
A - Des statistiques non systématiquement mises à jour.........................................................................................................................................16
B - Des interrogations sur des discordances de chiffres..................................................................................................................................17
C - Un champ d’enquête à compléter.....................................................................17
II - LES CARACTÉRISTIQUES DES ÉLÈVES ALLOPHONES NOUVELLEMENT ARRIVÉS EN FRANCE ..................................................18
A - Les effectifs globaux..............................................................................................18
B - Le cas particulier des académies de Guyane et de Mayotte ................19
III - LE CARACTÈRE INCLUSIF DE LA SCOLARISATION........................21
A - Les recommandations internationales.........................................................21
B - L’obligation scolaire..............................................................................................23
C - La place de la langue maternelle ....................................................................25
IV - DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES SPÉCIFIQUES RELATIVEMENT STABLES.............................................................................................................26
A - Les crédits budgétaires consacrés à la scolarisation des élèves allophones .......................................................................................................................26
B - Le premier degré (P140) ....................................................................................27
C - Le second degré (P141).......................................................................................27
D - Le programme vie de l’élève (P230) .............................................................28
CHAPITRE II DES DISPOSITIFS SOUVENT PERSONNALISÉS, MAIS AVEC PLUSIEURS DIFFICULTÉS..................................................................31
I - L’INSCRIPTION ET L’AFFECTATION DANS LES DISPOSITIFS.........31
A - L’inscription dans un établissement..............................................................31
B - Le repérage des jeunes allophones non scolarisés..................................32
C - Les tests et l’affectation ......................................................................................33
II - LES DISPOSITIFS DE SOUTIEN SCOLAIRE POUR LES EANA........36
A - Des données par académie très différenciées...........................................36
B - Le fonctionnement des UPE2A........................................................................38
C - Les capacités d’accueil en UPE2A ordinaire .............................................40
D - Les UPE2A-NSA......................................................................................................43
E - Le soutien en heures complémentaires de français langue seconde (FLS)...................................................................................................................................44
F - La prise en compte du plurilinguisme dans certains territoires en outremer ..........................................................................................................................46
III - DES ENSEIGNANTS INSUFFISAMMENT FORMÉS...........................47
A - L’affectation des enseignants.............................................................................47
B - La formation initiale..............................................................................................48
C - La formation continue .........................................................................................49
D - L’accompagnement des enseignants..............................................................52
IV - UN PILOTAGE PERFECTIBLE................................................................52
A - Le réseau des Casnav et son efficacité...........................................................53
B - Les diplômes de langue française....................................................................54
C - Les carences de l’évaluation ..............................................................................57
V - LES MODALITÉS DE LA SCOLARISATION DES EANA DE TROIS À SIX ANS ET DE 16 À 18 ANS À EXPERTISER............................................58
A - Les EANA de 16 à 18 ans.....................................................................................59
B - La question des EANA de moins de six ans ................................................63
CHAPITRE III LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES RÉFUGIÉS UKRAINIENS.....................................................................................................65
I - LE NOMBRE ET LES CARACTÉRISTIQUES DES JEUNES RÉFUGIÉS UKRAINIENS......................................................................................................65
A - Des flux importants et peu prévisibles.........................................................65
B - Des caractéristiques spécifiques.....................................................................66
II - UNE GOUVERNANCE SPÉCIFIQUE.................................................................67
A - La coordination des ministres européens de l’éducation ....................67
B - L’organisation ministérielle ..............................................................................67
III - LES MODALITÉS DE SCOLARISATION ET D’ACCOMPAGNEMENT ..............................................................................................................................67
A - Les difficultés initiales.........................................................................................68
B - Un accueil amélioré et une inscription facilitée ......................................68
C - La scolarisation et le soutien linguistique .................................................68
D - Le maintien du lien avec la scolarisation en ukrainien .......................69
E - Une estimation du coût du dispositif............................................................70
IV - QUELQUES RECRUTEMENTS DE PERSONNELS UKRAINIENS...70
V - LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES RÉFUGIÉS UKRAINIENS EN ALLEMAGNE ET ITALIE.................................................................................71
A - En Allemagne (Länder de Berlin et de Brandebourg) ..........................71
B - En Italie......................................................................................................................73
CONCLUSION GÉNÉRALE .............................................................................77
LISTE DES ABRÉVIATIONS ..........................................................................79
ANNEXES............................................................................................................81


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Cour des comptes | La scolarisation des élèves allophones - Mars 2023

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