Source : Défenseur des droits
Voir en ligne : www.juridique.defenseurdesdroits.fr
Résumé :
« Le Défenseur des droits a été saisi d’une réclamation relative au refus d’admission au séjour assorti de mesures d’éloignement opposé à un jeune ressortissant guinéen pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) à l’âge de 16 ans.
Peu de temps avant sa majorité, l’intéressé a décidé de déposer, une première demande d’admission au séjour sur le fondement de l’article L.435-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Par arrêté du 30 août 2022, l’autorité préfectorale a décidé de rejeter sa demande avec obligation de quitter le territoire dans un délai de 30 jours et interdiction de retour pour une durée de douze mois, considérant, sur le fondement d’un rapport d’expertise documentaire de la police aux frontières (PAF), que l’intéressé ne justifiait pas de son état civil et, partant, ne démontrait pas sa minorité lors de sa prise en charge par l’ASE. Il a également considéré qu’il ne justifiait pas avoir rompu les liens avec sa famille restée dans son pays d’origine.
L’intéressé a introduit des recours en référés afin de solliciter la suspension de l’arrêté et le réexamen de sa situation avec délivrance d’un document de séjour l’autorisant à travailler afin de pouvoir poursuivre l’exécution de son contrat d’apprentissage suspendu par son employeur. Les recours ont été rejetés. Son conseil a également sollicité le réexamen de sa situation auprès de la préfecture compétente en faisant valoir la production d’un nouvel acte de naissance biométrique délivré postérieurement à l’arrêté initial.
En l’absence de réponse, une requête en annulation a été introduite devant le tribunal administratif.
Au terme de son instruction, la Défenseure des droits rappelle que la minorité du réclamant évaluée par l’autorité judiciaire au moment de sa prise en charge par l’ASE n’aurait pas dû être remise en cause par l’autorité préfectorale et qu’ainsi, sa situation aurait dû être examinée au regard des conditions fixées à l’article L.435-3 du CESEDA que l’intéressé remplit.
La Défenseure des droits souligne également que la justification de l’état civil et de la nationalité est susceptible d’être apportée par tous moyens dans le cadre d’un examen individuel et global du dossier, que le contrôle de l’authenticité des actes d’état civil doit être effectué dans les conditions prescrites par l’article 47 du code civil et qu’en l’espèce, un tel examen aurait dû permettre aux autorités de constater que les documents d’état civil et de nationalité produits par le réclamant comportaient tous les mêmes mentions concernant son identité (nom, prénom, date et lieu de naissance), et de les retenir ainsi comme suffisants pour justifier de son identité. De plus, le réclamant produit un nouvel acte de naissance de nature à renforcer la force probante des actes contestés par l’autorité préfectorale.
La Défenseure des droits, relève que c’est à tort que l’autorité préfectorale s’est fondée sur l’absence d’isolement dans le pays d’origine de l’intéressé pour rejeter la demande de titre de séjour formulée sur le fondement de l’article L.435-3 du CESEDA alors qu’il justifiait par ailleurs du caractère réel et sérieux du suivi depuis au moins six mois d’une formation professionnelle qualifiante et de l’avis positif de la structure d’accueil sur son insertion dans la société française.
Enfin, dans la mesure où l’intéressé a l’essentiel de ses attaches personnelles en France depuis plus de deux ans, que les liens avec son pays d’origine qu’il a fui dès son plus jeune âge sont ténus voire inexistants, la Défenseure des droits considère que la décision portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire prise à l’encontre de l’intéressé est contraire aux dispositions du CESEDA et porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
En conséquence, la Défenseure des droits décide de présenter des observations devant le tribunal administratif saisi du litige. »
Suivi de la décision :
« Par décision du 3 novembre 2023, le tribunal administratif a annulé l’arrêté litigieux, a enjoint à l’autorité préfectorale de délivrer à l’intéressé le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois et de le munir, dans l’attente, d’une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler en prenant toutes mesures propres à mettre fin à son signalement dans le système d’information Schengen.
Le tribunal a considéré que l’autorité préfectorale n’apportait pas d’éléments suffisant à renverser la présomption d’authenticité pesant sur les documents produits par le réclamant en vertu de l’article 47 du code civil et que celui-ci devait ainsi être regardé comme justifiant de son état civil et de sa date de naissance, y compris en l’absence d’une légalisation régulière de ses actes d’état civil, conformément à l’avis rendu par le Conseil d’État le 21 juin 2022. Le tribunal a pris en compte l’acte de naissance biométrique récemment produit par l’intéressé et souligné que tant les services départementaux de l’ASE que le juge des enfants n’avaient pas remis en cause ni l’âge, ni l’identité du requérant.
Enfin, le tribunal a rappelé que l’article L.435-3 du CESEDA n’exige pas que le demandeur soit isolé dans son pays d’origine et qu’en refusant de lui délivrer un titre de séjour pour ce motif, l’autorité préfectorale a commis une erreur manifeste d’appréciation.
Bien qu’il ne se prononce pas sur l’atteinte à la vie privée et familiale de l’intéressé, le jugement suit pour le reste les observations de la Défenseure des droits. »
Voir la Décision n°2023-039 au format PDF :