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Mineurs isolés : vives inquiétudes autour du futur fichier biométrique

Publié le 27-12-2018

Source : Libération

Auteur : Kim Hullot-Guiot

Extraits :

«  Dans les prochains jours, un décret doit être pris pour permettre aux préfectures et aux départements de collaborer pour évaluer l’âge des étrangers se présentant comme mineurs. Un détournement à la fois de la mission de protection de l’enfance et du principe de l’évaluation, jugent de nombreux acteurs associatifs, judiciaires, et le Défenseur des droits.

C’est un article de la loi « asile et immigration » qui est passé un peu inaperçu lors des débats parlementaires, mais dont le décret d’application qui doit être pris dans les prochains jours suscite des inquiétudes des organisations de protection de l’enfance et de défense des migrants, mais aussi du Syndicat de la magistrature, du Défenseur des droits, du Conseil national de la protection de l’enfance, et de responsables politiques. L’article 51 de la loi du 10 septembre 2018 prévoit que « les empreintes digitales ainsi qu’une photographie des ressortissants étrangers se déclarant mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille [puissent] être relevées, mémorisées et faire l’objet d’un traitement automatisé ». La création de ce fichier vise, selon le texte, à « mieux garantir la protection de l’enfance et [à] lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France ».

« Seule l’évaluation documentaire est fiable »

En France, les mineurs isolés, c’est-à-dire les jeunes hommes et les plus rares jeunes femmes qui arrivent seuls dans le pays, sont considérés comme des mineurs avant d’être considérés comme des personnes en situation potentiellement irrégulière. Ils n’ont pas l’obligation de posséder un titre de séjour tant qu’ils n’atteignent pas la majorité. Pour bénéficier d’une prise en charge de l’Aide sociale à l’enfance, gérée par les départements, il faut d’abord être reconnu mineur. (...)

Anaïs Vrain, juge des enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (...) Pour elle, le problème réside d’abord dans les conditions d’évaluation : « Les refus de prise en charge motivés par la maturité du jeune, c’est au doigt mouillé. Un jeune qui n’est pas cohérent, ou qui ment, ça veut juste dire qu’il ment, pas qu’il est majeur. Seule l’évaluation documentaire est fiable. » Afin d’endiguer le phénomène de la double évaluation, le gouvernement proposait avec cet article 51 de créer un fichier national biométrique. Un décret devait venir ensuite, comme il est d’usage, en préciser les contours.

Crainte de régulation migratoire

A la lecture du projet de décret, en octobre, certains se sont étranglés. Le texte prévoit une collaboration, si les départements le souhaitent, entre ces derniers et les préfectures pour évaluer l’âge des personnes se déclarant mineures. Les préfectures pourraient être amenées à participer à l’authentification des documents présentés ou à appuyer les investigations. (...)

En clair, si les départements sollicitent l’appui de l’Etat, ils devront en retour lui fournir la liste des personnes selon eux majeures. Liste dont les associations craignent qu’elles ne servent des objectifs de régulation migratoire plutôt que de protection de l’enfance. Le 13 décembre, le Défenseur des droits Jacques Toubon demandait l’abandon d’un projet de décret, « qui élabore une procédure d’évaluation de la minorité et de l’isolement privilégiant la gestion des flux migratoires au détriment de la protection de l’enfance ».

« Le gouvernement va être amené à expulser des enfants »

« Dans la loi, l’objectif était de lutter contre les doubles évaluations, en sachant que celles-ci ne sont pas quantifiées et qu’il n’est écrit nulle part que c’est interdit. Le projet de décret va beaucoup plus loin : il y a un objectif de contrôle d’identité. A partir du moment où un conseil départemental refusera de reconnaître une minorité, les enfants pourront faire l’objet d’une mesure d’éloignement, même s’ils ont déposé un recours en justice. Alors que dans certains départements, une personne [refusée] sur deux finit par être reconnue mineure devant le juge », pointe de son côté Violaine Husson, de l’organisation de défense de droit des étrangers la Cimade.

Le Défenseur des droits lui relevait aussi que « la notion de fin d’évaluation prise en compte dans le projet de décret paraît bien renvoyer à la date de la décision du président du conseil départemental et ainsi faire fi des voies de recours possibles devant le juge des enfants ». Franck Ozouf, du Secours catholique, abonde : « Les voies de recours ne sont pas suspensives. Cela va avoir un effet dissuasif : quand l’information selon laquelle tenter d’être reconnu mineur peut aboutir à des mesures d’éloignement va se répandre, certains ne demanderont pas de protection. » Violaine Husson résume : « Le gouvernement va être amené à expulser des enfants, ce qui est illégal. »

Autre inquiétude de la juge Anaïs Vrain : « On va comparer les demandes de reconnaissance de minorité avec le fichier Visabio [qui recense toutes les demandes de Visa pour la France, ndlr]. En général, les gens commencent par essayer la voie légale, avant de tenter des choses dangereuses. Pas mal de jeunes empruntent des documents de leurs parents pour demander un visa. Mais on peut piquer les papiers de ses parents, pas leurs empreintes. Ce sont donc leurs empreintes qui sont enregistrées sur Visabio, même si la demande de visa a échoué. » Faire reconnaître sa minorité par un conseil départemental débordé, alors qu’on figure dans un fichier de personnes majeures, relèvera alors de l’impossible, s’inquiète-t-elle. « On sait que Visabio est peu fiable, estime aussi Violaine Husson. A cause de la forteresse européenne, beaucoup ont déclaré de faux âges pour avoir un visa. Si les évaluations étaient bien faites, on n’aurait pas besoin de ce fichier. »

« Cela va juste ajouter de la précarité »

Les associations soulignent en outre que ce fichier n’arrêtera pas « le nomadisme » des jeunes, comme le fichier Eurodac, censé depuis 2003 éviter les mouvements secondaires de migrants au sein de l’Union européenne, n’a jamais empêché quiconque de se rendre dans un autre pays que son pays d’entrée sur le territoire européen, relève Franck Ozouf : « Le ministère dit que c’est une demande des départements pour éviter que les jeunes bougent, mais cela va juste ajouter de la précarité. On estime qu’il y a d’autres choses sur lesquelles travailler pour qu’un jeune n’ait pas la tentation de se balader quand il n’est ni pris en charge ni mis à l’abri dans le département où il se trouve. » (...)

« Une aubaine pour ne pas prendre en charge »

Une fois le décret pris, sur lequel le Conseil d’Etat doit rendre un avis technique, une poignée de départements pilotes entameront cette nouvelle collaboration entre préfectures et départements. Sur la base du volontariat. Une précaution que Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris en charge des Solidarités et de la lutte contre l’exclusion et ancienne Défenseure des enfants, juge piégeuse : « Le nouveau décret va dire que le président du département peut s’appuyer sur la préfecture pour évaluer, pas qu’il le doit. Mais 80% des départements voient ce fichier comme une aubaine pour ne pas prendre en charge. Les jeunes n’iront plus dans les départements qui s’appuieront sur les préfectures, et se présenteront à Paris, qui lui ne le fera pas ».  »

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/france/20...