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Faut-il ficher les mineurs étrangers non accompagnés ?

Publié le 11-04-2019

Source : Le Parisien

Auteur : Sébastien Morelli

Extraits :

«  Lancé le 30 janvier dernier par décret dans trois départements, l’Appui à l’évaluation de la minorité (AEM), un fichier biométrique, doit être généralisé à tout le territoire prochainement, bien qu’il ne fasse pas l’unanimité. Le débat.

Il porte le nom d’Appui à l’évaluation de la minorité (AEM). Ce nouveau fichier biométrique a été lancé le 30 janvier 2019 par décret. Trois départements, l’Essonne, le Bas-Rhin et l’Isère le testent actuellement.

(...)

Un fichage dénoncé par 19 associations, dont l’Unicef France, devant le Conseil d’État. Le 4 avril, cette juridiction a décidé de ne pas suspendre ce décret, estimant qu’il n’existe pas de doute sérieux sur sa légalité. Le test dans les trois départements doit se terminer ce mois-ci, avant d’être généralisé.

Alors faut-il ficher les mineurs isolés étrangers ? François Durovray, président LR du conseil départemental de l’Essonne, et Anne-Lise Denoeud, chargée de plaidoyer et expertise à Unicef France, développent leur point de vue sur la question.

« Ce fichier me semble indispensable »
François Durovray (LR), président du conseil départemental de l’Essonne

« Ce fichier me semble indispensable pour assumer nos missions, car l’accueil des mineurs non accompagnés est à la charge des départements. La condition est qu’ils soient mineurs et qu’ils n’aient pas de famille sur le territoire français.

Or la vérification de ces éléments est très compliquée. La création d’un fichier national est un moyen de recouper ces informations afin que nous prenions en charge les bonnes personnes. Sinon, chaque département peut apporter des réponses différentes. Un jeune refusé dans un département peut actuellement retenter sa chance dans un autre. Il nous est arrivé qu’on nous envoie des jeunes qui avaient une obligation de quitter le territoire français ! On ne peut pas mobiliser des fonctionnaires pour traiter plusieurs fois le même dossier.

Nos services de l’aide sociale à l’enfance accueillent toujours les mineurs et leur fixent un rendez-vous avec la préfecture, de l’autre côté de la rue, pour faire le contrôle. Tous les jeunes envoyés vers la préfecture ne reviennent pas. J’ai confiance dans le travail des agents de la préfecture qui s’en occupent. Pour les autres, nous les accueillons jusqu’à leur majorité. Ensuite, nous faisons le maximum de contrats de jeunes majeurs, 700 cette année, pour leur donner une chance de construire un avenir. Ces jeunes ont la niaque, ils veulent travailler, s’intégrer. Je préfère en accepter moins pour mieux m’en occuper.

Je ne vois pas en quoi il serait scandaleux ou attentatoire aux libertés de respecter les textes de loi. Les envoyer en préfecture pour des vérifications ne fait pas de ces jeunes des délinquants. Leur situation est difficile. J’ai passé une journée avec les travailleurs sociaux qui s’en occupent. En tant qu’être humain, vous êtes touchés. Mais nous représentons des institutions, des lois. Si on accepte des personnes sans vérifier, nous favorisons des trafics. Je ne reprocherai jamais à une association caritative d’aider un clandestin. Mais ils doivent rester dans leur champ humanitaire, et non déroger aux textes. Cette expérimentation, c’est le juste droit. J’espère que ce fichier sera étendu à tous les départements. »

« Un dévoiement de la protection de l’enfance »
Anne-Lise Denoeud, chargée de plaidoyer et expertise à Unicef France

« Ce fichier constitue un dévoiement de la protection de l’enfance à des fins de contrôle migratoire. Ces deux objectifs ne sont pas conciliables.

Il y a un effet dissuasif. Aller en préfecture pour ces jeunes, c’est lourd de sens. Sur l’objectif de lutter contre ce prétendu nomadisme entre départements, il est important d’indiquer que cette pratique n’est pas illégale et n’est pas quantifiée. Il n’y a aucun impératif objectif à lutter contre.

Avec ce fichier, la lutte contre l’immigration prend le pas sur la protection des enfants. Cette nouvelle procédure facilite l’éloignement d’un jeune déclaré majeur par un conseil départemental. Or ce n’est pas une décision définitive. Ces jeunes peuvent ensuite saisir un juge des enfants et être reconnus mineurs. Nous savons que dans certains départements, 50 % de ceux qui saisissent un juge ont une chance d’être reconnus mineurs. Avec ce décret, un jeune peut être visé par une mesure d’expulsion, avant même d’accéder au juge des enfants, ou avant que la décision du juge ne tombe, le recours n’étant pas suspensif.

Pour la première fois, l’Unicef France saisit la justice contre un acte émanant du gouvernement français. Nous le faisons au vu du recul conséquent qu’il constitue pour le droit des enfants. Le défenseur des droits a sollicité l’abandon du projet, le conseil national de la protection de l’enfance s’est déclaré défavorable, de même que certains députés de la majorité.

Pour le comité sur les droits de l’enfant des Nations unies, les données récoltées au sujet d’un enfant ne peuvent être utilisées que pour sa protection, non pas pour lutter contre l’entrée et le séjour irrégulier des étrangers. Mais le ministère de l’Intérieur s’est montré inflexible. Nous avons été déboutés de notre recours en référé, ce qui signifie que l’application du décret du 30 janvier n’est pas suspendue. Mais les juges n’ont pas tranché au fond. Nous attendons une date d’audience. Nous avons également transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’État, qui décidera ou non de la faire suivre au Conseil constitutionnel.  »

Voir en ligne : http://www.leparisien.fr/faits-dive...