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Asile : « Comment aider ces jeunes brisés ? »

Publié le 11-04-2019

Source : Le Courrier

Auteur : Isabel JAN-HESS

Extraits :

«  La mort violente d’un requérant d’asile de 18 ans attise le débat sur l’encadrement des mineurs non accompagnés.

Dans une telle situation, tout le monde se renvoie la balle, mais personne n’a vraiment de solution. Le suicide du jeune Ali au foyer de l’Etoile à la fin du mois dernier est un choc dont les collaborateurs et la centaine de jeunes requérants d’asile non accompagnés (RMNA) hébergés là peinent à se remettre. Arrivé en 2015 à Genève, il n’avait que 18 ans, un parcours d’exil chaotique depuis son départ d’Afghanistan à l’âge de 12 ans et probablement plus la force de se rêver un avenir.

Pour les personnes qui l’ont fréquenté, son désarroi face au vide juridique dans lequel il naviguait l’aurait poussé vers ce geste désespéré. « C’est d’autant plus difficile qu’il était là depuis le début, très apprécié et suivi de très près en raison de séquelles psychologiques, liées à ses traumatismes », confie une collaboratrice du foyer souhaitant garder l’anonymat. L’ambiance est lourde et dans son communiqué lié à ce drame, l’Hospice Général renforce sa pression sur le canton. En réclamant une politique coordonnée de tous les acteurs concernés, une définition claire de l’accueil et l’accompagnement des RMNA et la nécessité d’une prise en charge éducative jusqu’à 25 ans, comme le préconisaient déjà les recommandations d’un audit de la Cour des comptes sur l’accueil des RMNA, en février 2018.

Affublés de l’acronyme barbare et anonyme RMNA, ils et elles sont plus d’une centaine à cohabiter dans des containers, empilés comme des Lego, face au parking de l’Etoile. (...) Autant de parcours individuels que les équipes tentent de prendre en compte dans leur accompagnement. Une centaine de familles relais entrent également en jeu, offrant des moments de solidarité bienveillante et leur permettant de créer des liens en dehors du foyer. Mais le manque de véritable projet éducatif coordonné, depuis la suppression discrète en janvier 2017 de la task force asile interdépartementale, complique le travail sur le terrain.

La Cour des comptes alerte en 2018

Dans son rapport d’audit, la Cour des comptes pointait déjà des manquements importants au foyer de l’Etoile, ouvert en 2016 avec la volonté de sortir les RMNA des structures pour adultes afin de leur offrir une meilleure prise en charge.

(...)

Si peu de chose ont changé en un an, la seule bonne nouvelle réside dans la diminution drastique du nombre d’arrivées. Plus d’une soixantaine de jeunes hébergés à l’Etoile ont quitté le foyer et très peu sont arrivés. Les collaborateurs ont ainsi pu améliorer la prise en charge à l’interne et garder certains majeurs, mais au prix de beaucoup d’incohérences. Mineurs, ils bénéficient d’un suivi par des éducateurs du Service pour la protection des mineurs (SPMI, qui relève du Département de l’instruction publique). Le jour de leurs 18 ans, c’est officiellement terminé. Ils deviennent administrativement adultes et sont pris en charge selon d’autres directives fédérales, non éducatives. Mais, à Genève, ceux qui sont scolarisés peuvent néanmoins terminer leur formation au-delà de 18 ans. Ce brusque changement est traumatique, car ces mesures d’asile sont appliquées selon des critères individuels.

Plus d’une soixantaine de jeunes hébergés à l’Etoile ont quitté le foyer et très peu sont arrivés

« On fait aussi face actuellement à une décision de Berne de refus de permis aux ressortissants Erythréens (...) « A partir du moment où il y a une mesure de renvoi, tout est mis en place pour que la personne ne s’intègre pas. Même si le renvoi n’est pas applicable puisque, encore aujourd’hui, la situation politique en Erythrée ne permet pas de retour forcé. » Sans permis, ces jeunes ne peuvent pas non plus intégrer une formation de l’assurance-invalidité (AI), souvent préconisée en raison de leurs séquelles psychologiques.

Quelle politique ?

La prise en charge est compliquée par la multiplicité des acteurs et des directives. Le département de la Cohésion sociale compose ainsi avec les obligations légales cantonales et fédérales. Tout comme le Département de l’instruction publique pour la prise en charge des RMNA et l’Hospice pour ceux ayant passé les 18 ans. Quant aux suivis médicaux, ils dépendent du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé (DSES).

Depuis des années les milieux concernés alertent, les politiques relayent dans les parlements et, au final, peu de choses bougent. (...)

Quid des MNA ?

Une autre population inquiète les professionnels : les mineurs non accompagnés (MNA) non intégrés et non concernés par les mesures d’asile. « C’est assez simple, ils n’ont droit à rien, assure une assistante sociale. Ils sont de plus en plus nombreux à errer dans le canton et font l’objet de mesures policières indignes, telles prise d’empreintes, analyses osseuses, etc. » Des tests rendus possibles par un arrêté du Conseil d’Etat en août 2018, visant à répertorier les personnes et lever les doutes sur leur âge. (...) Ils ne répondent pas aux critères de l’asile et ne peuvent être intégrés dans des foyers, alors qu’ils auraient besoin d’aide et d’encadrement pour ne pas tomber dans la délinquance. »

Arrivés à Genève seuls en provenance de pays économiquement précaires, souvent après un parcours scolaire sommaire, ils sont absents des statistiques. En décembre 2018, le SPMI en dénombrait 86. Là encore, société civile et représentants politiques s’accordent pour dénoncer la situation d’enfants « abandonnés à leur sort ». La motion interpartis « pour une prise en charge immédiate des MNA ne relevant pas de l’asile… », déposée en juin 2018 par 19 députés, n’a été traitée que le 25 mars dernier. Dans ses conclusions, la commission réclame à nouveau des mesures ; les mêmes que celles demandées depuis des années aux autorités…

« ACCOMPAGNER LES 18-25 ANS ASSURE UNE MEILLEURE INTÉGRATION »

Président du département de la cohésion sociale (DCS), Thierry Apothéloz est conscient des incohérences dans l’accueil des jeunes requérants non-accompagnés (RMNA) et plaide, lui aussi, pour une prise en charge institutionnelle et cohérente jusqu’à 25 ans. Avec une vraie intégration à la clé. Interview du conseiller d’Etat socialiste.

Le Canton a-t-il sous-estimé depuis des années les besoins d’accueil pour ses jeunes et sa responsabilité dans ce domaine ?

Thierry Apothéloz : Non ! A la suite de l’arrivée massive à Genève de requérants mineurs non-accompagnés en 2015 et 2016, l’Hospice général (HG) a fait face à des difficultés majeures, liées notamment à l’hébergement. Le travail d’intégration est déjà mené activement par le DCS, en concertation avec la Confédération et d’autres partenaires dans le cadre de l’Agenda Intégration Suisse.

Avec l’ouverture du foyer de l’Etoile, l’Hospice général a pu se consacrer à leur suivi social, éducatif, sanitaire et, pour certains, psychologique, en collaboration avec les partenaires institutionnels et associatifs. L’enjeu se situe dans la prise en charge renforcée des jeunes qui ont atteint l’âge adulte, et éviter autant que possible les ruptures.

La volonté d’instaurer un suivi pour les 18-25 ans peut-elle trouver une majorité au Conseil d’Etat ?

Un mandat d’étude concernant la prise en charge jusqu’à 25 ans a été confié à la Haute école de travail social (HETS), qui rendra son rapport cet été. Sur la base des conclusions, je souhaite qu’un modèle d’accompagnement interdépartemental soit élaboré avant la fin de l’année. Pour le DCS, il est primordial qu’il couvre les années 15-25 ans, car plus on accompagne les jeunes adultes dans leur parcours de formation et/ou professionnel, plus on s’assure d’une intégration réussie.

« La grande majorité de ces jeunes vont rester en Suisse » Thierry Apothéloz

Nous savons que la grande majorité de ces jeunes vont rester en Suisse. Il est donc important qu’il n’y ait pas de différence de traitement en fonction du statut de séjour. A Genève, les jeunes bénéficient de soutien jusqu’à 25 ans ; il devrait en être de même pour ceux relevant du domaine de l’asile. L’idée d’une prise en charge jusqu’à 25 ans a l’avantage de pérenniser leur insertion et de ne pas avoir d’arrêt brutal de l’accompagnement dès l’atteinte de la majorité.

Pensez-vous que cette mesure garantirait vraiment une meilleure intégration ? Ne risque-t-elle pas de simplement repousser le problème de quelques années ?

Miser sur les jeunes n’est jamais un risque. Au contraire ! De bonnes conditions d’intégration sociale et professionnelle sont synonymes de meilleure qualité de vie pour ces personnes.

Le Canton peut-il envisager d’augmenter sa subvention à l’Hospice général pour lui permettre d’assumer cet accompagnement des MNA dans de meilleures conditions ?

Une telle demande, inexistante en l’état, devrait provenir de l’Hospice général. Cela étant, pour les mineurs comme pour les bénéficiaires de cette institution, la réussite de l’intégration passe par la qualité de l’accompagnement social.
PROPOS RECUEILLIS PAR IJH
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Voir en ligne : https://lecourrier.ch/2019/04/11/co...