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Être un mineur isolé étranger en France

Publié le 10-05-2019

Source : RFi

Auteur : Arnaud Jouve

Extraits :

«  De plus en plus de mineurs isolés ou non accompagnés viennent chercher refuge en France. Leur nombre varie suivant les critères utilisés parmi ceux qui sont visibles, mais beaucoup ne le sont pas. Ceux qui sont pris en charge bénéficient de la protection de l’Etat jusqu’à leur majorité, souvent difficile à établir. Mais le système peine à prendre en compte leurs traumatismes et leurs histoires et ces enfants qui arrivent en piteux état en France ne sont pas au bout de leurs souffrances. Entretien avec Eric Sandlarz, psychanalyste, psychologue clinicien au Centre Primo Levi, un organisme en pointe pour les réfugiés victimes de torture et de violences politique dans leur pays d’origine.

(...)

RFI : Eric Sandlarz, qui sont ces mineurs isolés étrangers en France ?

Eric Sandlarz : C’est extrêmement vaste, divers,complexe et variable selon les périodes, les situations dans les pays d’origine et les moments de crue migratoire. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y en a beaucoup plus qu’avant, avec un vrai problème de respect de l’adolescence.

(...)

Quand on parle de ces jeunes, on parle de quelle tranche d’âge ?

Ça va de 10 ans à 22 ans. Massivement, cela touche une population qui a entre 12, 13 ans jusqu’à 20, 22 ans. Sachant que s’ils sont reconnus majeurs, c’est-à-dire au-delà de 18 ans, ils sont censés ne pas être pris en charge. Donc, quand je dis « une population qui va de 12 à 22 ans » c’est parce que je prends en compte tous ces jeunes errants qui ne sont pas nécessairement reconnus comme mineurs isolés ou mineurs non accompagnés parce qu’ils ont 19 ou 20 ans, suivant un âge osseux qui est mesuré, comme le Conseil d’État vient de le dire, avec une marge d’erreur de trois à 18 mois.

On voit bien que pour un adulte, le voyage est difficile et coûte cher. Mais comment un mineur peut-il le faire ?

Il a toujours son corps à négocier, pour dire les choses crûment. Comment un jeune peut-il partir de Syrie et arriver jusqu’en France, traverser tout ce qu’il traverse et rester à peu près debout ?... Il y a une chose essentielle qui s’est modifiée depuis deux ans, qui concerne les Subsahariens, voire un certain nombre de jeunes du Moyen-Orient, c’est le passage par la Libye, par la torture, par les viols… On se retrouve aujourd’hui avec en face de nous, des jeunes qui ont eu des problématiques dans leur pays, fort différentes des uns aux autres selon les pays d’origine, qui ont été, pour une bonne partie d’entre eux, obligé de passer par la Libye et là c’est l’horreur. Ces jeunes ont alors quelque chose d’enkysté, et cela va être extrêmement compliqué d’en parler, d’arriver à transformer les échecs qu’ils ont vécus en Libye, et cette douleur n’est quasiment pas prise en compte. Le soin psychique des réfugiés, et a fortiori de ses adolescents, est réduit à une peau de chagrin.

L’état de la psychiatrie et de l’offre psy privée en France aujourd’hui ne permet pas d’orienter ces jeunes. Donc, on leur propose, de manière accélérée, des « prêt-à-porter » sociaux, d’apprentissage, d’accès à l’autonomie et il faut que ça aille très vite, car ça coûte cher à l’État français. Donc à peine arrivés, ils doivent apprendre le français, avoir une formation. Comme en plus on supprime les contrats jeunes majeurs pour les 18-21 ans, à 18 ans, ils doivent être des ouvriers autonomes sur le territoire français, sans que l’on prenne en compte tout ce qu’ils ont vécu, et ça, c’est un vrai scandale. C’est une maltraitance monumentale.

Y a-t-il une écoute sur l’histoire de ces jeunes ?

C’est très compliqué de les écouter et beaucoup ne sont pas formés pour ça. Ces jeunes n’ont pas intérêt à parler, parce que c’est revivre les humiliations et on ne va pas se présenter en proposant une image de soi-même qui a été éminemment dégradée. (...)
Les jeunes finalement se protègent et protègent ceux à qui ils ont affaire pour pouvoir s’intégrer le plus vite possible pour obtenir leurs papiers, apprendre le français et avoir une formation…

Ils sont les représentants de notre merveilleuse humanité, donc parmi eux, il y a des gens très intelligents, très fins, mais cela n’est pas pris en compte, en général on leur propose d’être « techniciens de surface ». Ces jeunes viennent de quelque part, ils ont eu des parents, parfois ils ont une histoire qui les pousseraient vers un métier, mais tout cela n’est pas écouté. (...)
On prend en charge ces jeunes avec l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et il y a une pression massive pour que ce soit liquidé à leurs 18 ans. Quand la prise en charge des mineurs majeurs ASE s’arrête, ils sont sortis des hôtels, des foyers et mis à la rue.

Pour certains, l’enfer c’est aussi à l’arrivée. Il y a les trafiquants d’êtres humains qui peuvent les exploiter, les prostituer par exemple.

Ce sont des proies. Ce sont des gens qui ne comptent pas. Il y a ceux qu’on voit arriver qui sont la partie émergée de l’iceberg et tous ceux qu’on ne voit pas, plus tous ceux qui sont morts en route. Depuis deux ans, on parle des morts en Méditerranée, mais il y a aussi tous les morts en Libye, dans le désert et un peu partout. Tous ces jeunes que j’écoute ont vu quelqu’un mourir à côté d’eux, ça fait partie des choses les plus difficiles avec lesquelles ils vivent. (...)

D’un point de vue psy, le traumatisme est cumulatif : ils arrivent en miettes et c’est la première démolition qui conditionne les autres.« Une fois que j’ai été violé, je suis persuadé que tout le monde le sait ». Quand quelqu’un me regarde un peu fixement, au bout de 30 secondes j’imagine qu’il sait, qu’il l’a deviné. Vous imaginez la vie de ces jeunes femmes ou de ces jeunes hommes, victimes de viol, habités par l’intime conviction que ça se sait ! C’est comme si vous étiez une baraque qui a été cambriolée, si vous passez devant vous voyez les portes, les fenêtres ouvertes et n’importe qui peut rentrer. C’est la sensation qu’a le sujet. Donc, dans ces conditions-là, ce sont des proies et il y a des prédateurs.

Il y a des populations particulières chez ces mineurs isolés étrangers ?

Il y a plein de populations différentes. Vous avez toute la problématique des prostituées nigérianes qui ont entre 12 et 22 ans. Autre exemple, vous avez ces Marocains de 12-13 ans, polytoxicomanes, qui ont amené la police du XVIIIe arrondissement de Paris à faire appel à des policiers du Maroc pour essayer de traiter le problème, car eux-mêmes étaient complètement dépassés. Ces gamins de 12-13 ans sillonnent l’Europe, vous les mettez dans un foyer et le lendemain ils sont partis. Ils fonctionnent en grappe, il n’y a pas de sujet, ce sont des grappes, comme des enfants soldats, et travailler avec une grappe, c’est très compliqué. Donc, il y a plein de psychologies comme cela, différentes les unes des autres.

(...)

Comment on survit en France ?

Quand on est un jeune et qu’on arrive sur le territoire français, on est dans la survie, on va essayer de chercher où on peut trouver du pain, où on peut dormir, où on peut trouver la personne qui va répondre, qui va vous donner un vêtement, etc. Tout cela s’apprend et ils ont eu le temps d’apprendre quand ils sont passés par la Libye et ailleurs. (...)

Comment répond le système français à ces jeunes mineurs ?

Ce qui est génial en France, c’est qu’il y a la protection de l’enfance et puis l’Aide sociale à l’enfance et l’obligation de scolarité jusqu’à 16 ans, car l’État est tuteur. Mais dès qu’ils ont 18 ans, on s’en débarrasse. On dit : « Ça suffit, ça à coûté assez d’argent », pourtant quand ces jeunes arrivent ici, ils sont démolis et ils n’ont qu’une envie, c’est de s’intégrer.

(...)

Mais quand un jeune est complètement démoli, avec la carence d’offre sur le territoire français et qu’à 18 ans, même s’il a été pris en charge, il se retrouve du jour au lendemain à la rue, que ce passe-t-il ? C’est ça la problématique des mineurs isolés en France et cela concerne plus d’une dizaine de milliers de jeunes.

Combien s’en sortent ?

C’est difficile à dire. Peut-être un peu plus de la moitié, mais le problème, c’est qu’on ne compte pas les morts, on ne compte pas ceux qui ne sont pas dans le circuit, ceux qui ne trouvent pas une porte ouverte ici et qui vont dans le pays suivant... tout cela n’est pas comptabilisé. On peut faire des estimations au vu des résultats, de l’obtention du statut, des choses comme ça, car c’est chiffré, mais il y en a des tas qui échappent aux chiffres. Alors, on peut s’interroger sur ce que reflètent ces chiffres ?

(...)

Ce que j’essaye de faire dans les formations, dans la transmission de mon expérience auprès de tous ceux qui interviennent auprès de ces mineurs, c’est de dire que ce sont d’abord des adolescents, d’arrêter de se focaliser sur l’étranger, le culturel, le transculturel et je ne sais quel traumatisme… commençons par faire simple : on a affaire à des adolescents et avec ça, on est déjà suffisamment embarrassés, car il n’y a pas plus embarrassant qu’un adolescent. »

Voir en ligne : http://www.rfi.fr/afrique/20190412-...