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Sur les trottoirs de Paris, des jeunes Nigérianes victimes de la cruauté de leurs proxénètes

Publié le 4-08-2020

Source : Le Monde

Auteur.e.s : Par Joan Tilouine et Julia Pascual

Extraits :

« En juillet, un réseau de traite et de proxénétisme nigérian a été jugé devant la cour d’assises. Il réduisait en esclavage des filles souvent mineures, accablées de dettes et parfois contraintes à des avortements clandestins.

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« On y va, chéri ? » Sur les trottoirs sablonneux bordant la route de la Pyramide, à Paris, les filles sont noires, parfois mineures et abîmées par la cruauté de leurs proxénètes, et les passes à 20 euros sur un matelas crasseux ou contre un arbre. La plupart d’entre elles viennent de Benin City, la capitale de l’Etat d’Edo, dans le sud du Nigeria. Elles ont risqué leur vie en traversant le désert et la mer avant d’échouer là, piégées dans les filets de compatriotes trafiquants d’êtres humains. Les plus anciennes travaillent dans des camionnettes décaties. Les autres errent le long de cette route, sac de préservatifs à la main, jusqu’au lever du soleil.

Grace* n’avait que 13 ans lorsqu’elle a été jetée sur ces trottoirs. C’était en 2014, l’année de son arrivée en France, après avoir échappé à la mort en Libye et survécu au naufrage de son bateau dans la Méditerranée en s’accrochant au corps flottant d’une camarade morte. Placée dans un camp de migrants en Italie, elle en est extraite par son proxénète, un certain Omos Wiseborn, un Nigérian de 28 ans établi entre Naples et la région parisienne. A Paris, Miriam, sa compagne, elle-même prostituée, la bat et la surveille sur cette route de la Pyramide. Pendant plus d’un an, plus de mille fois, Grace a marché quelques mètres dans le bois avec un inconnu qui abusait de son corps d’enfant.

Dix-neuf ans de prison

Omos Wiseborn avait fixé le prix de sa liberté à 35 000 euros. Elle a payé. « Mais ça ne finit jamais, confie-t-elle au Monde. J’avais encore des milliers d’euros de dette. » Avec l’aide de l’association le Bus des femmes, qui lutte notamment contre l’esclavage sexuel, elle s’est peu à peu livrée.

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Parmi eux, plus de 11 000 femmes – un doublement en un an – et plus de 3 000 mineurs isolés. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime qu’« environ 80 % des femmes et des filles nigérianes qui arrivent par la mer en 2016 sont susceptibles d’être victimes de trafic à des fins d’exploitation sexuelle ».

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Par la force et la ruse, il a longtemps contraint au silence ses victimes, sur lesquelles il exerce une emprise perverse. Pour ce faire, il recourt, comme la plupart des trafiquants d’êtres humains de Benin City, aux esprits traditionnels du « juju », le vaudou nigérian. Avant de partir, les filles se sont ainsi rendues dans l’un des temples de la ville pour prêter serment de loyauté, sous peine de châtiment. Elles jurent qu’elles paieront leur dette, que jamais elles ne s’enfuiront ni ne parleront à la police. Une expérience traumatisante. (...)

A peine arrivées à Paris, les jeunes femmes sont enfermées par le « boss Wiseborn » dans son logement, en banlieue parisienne, ou chez d’autres « madames ». Parfois, des garçons sont conviés pour leur « enlever la virginité ». La seule sortie autorisée l’est pour « travailler ». Tout l’argent gagné est remis à Omos Wiseborn. Son épouse, Miriam, se charge de les frapper, de les contrôler sur les trottoirs, de les fouiller au retour pour s’assurer qu’elles n’ont pas caché des billets. Régulièrement, le couple menace les familles des indisciplinées au Nigeria, les terrorise en invoquant le juju.

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Pour les filles du réseau Wiseborn, le pire est derrière. Mises à l’abri en province, notamment dans des foyers de l’Aide sociale à l’enfance, elles se reconstruisent. « C’est très difficile, souligne Lois*, cofondatrice de la MIST. Elles se retrouvent parfois sans soutien, parce que dénoncer le réseau, c’est un peu comme trahir sa communauté. Et puis parce qu’elles ne parlent pas la langue et n’ont pas été à l’école, on les oriente beaucoup vers le ménage et l’hôtellerie, sans forcément leur laisser le choix. »

(...) »

Voir en ligne : https://www.lemonde.fr/afrique/arti...