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« « Pour les migrants mineurs, le cauchemar est permanent », entretien avec Dieudonné Kobanda, éducateur et sociologue »

Publié le 10-11-2020

Source : Street press

Auteur.e.s : Par Christophe-Cécil Garnier , Loana Berbedj

Extraits :

« (...)

« Lorsque les mineurs isolés ont commencé à arriver, au début des années 2000, les pouvoirs publics français et européens ne savaient pas quoi faire d’eux », se remémore Dieudonné Kobanda, auteur de l’enquête sociologique Enfants isolés étrangers : une vie et un parcours faits d’obstacles, paru en 2016. « Les législations n’avaient prévu d’accueillir que des familles et des adultes. »

Dieudonné Kobanda a consacré une partie de sa vie à aider ces migrants mineurs. L’homme de 51 ans a travaillé au sein de la protection de l’enfance à Strasbourg, avant de devenir cadre socio-éducatif en Île-de-France. Cela fait presque dix ans qu’il gère des centres d’accueil pour migrants. L’ancien réfugié de la République démocratique du Congo l’affirme avec force :

« Pour ces migrants mineurs, le cauchemar est permanent. »

Avoir moins de 18 ans devrait leur permettre d’être aidés, hébergés et scolarisés, selon la loi française. Et ce, jusqu’à leur majorité. Mais Dieudonné Kobanda dénonce le chemin de croix de ces enfants pour faire reconnaître leur âge et leurs droits. Et « la situation n’a fait que se dégrader ».

Combien y a-t-il de mineurs isolés étrangers en France ?

(...) Aujourd’hui, personne ne connaît leur nombre exact, entre ceux qui sont pris en charge dans nos structures d’accueil et ceux qui sont dans la nature, sans accompagnement. On sait que certains jeunes n’osent pas aller vers les centres d’accueil. Ils ont peur des évaluations.

Pourquoi ?

Parce qu’on ne les croit pas forcément quand ils annoncent leur âge. L’administration les accuse de mentir. J’ai un exemple en tête. Au foyer pour migrants majeurs que je dirige, un jeune m’a avoué avoir 16 ans. À l’évaluation [À Paris, cela passe par le Demie, géré par la Croix-Rouge, ndlr], on lui a refusé son âge. Il a été jugé trop grand : il fait 1m87. À l’idée de me rencontrer, il pleurait déjà. Il pensait qu’on allait le mettre dehors parce qu’il n’était pas adulte. Je ne l’ai pas fait, mais il a dû avoir peur parce qu’il a disparu un jour. C’est ça le quotidien des mineurs isolés étrangers.

Pourtant, il avait un acte de naissance de son pays. Il a été contesté illégalement par les pouvoirs publics français. L’article 47 du Code civil indique que l’acte d’état-civil, même produit à l’étranger, est considéré comme authentique jusqu’à ce qu’on prouve le contraire. Mais « c’est fait en Afrique, ça n’a aucune valeur ». Cette phrase n’est écrite nulle part, mais on l’entend. Une juge des enfants m’a confirmé que « si le jeune qui a l’acte a une corpulence imposante, ça pose problème ».

(...)

Dès lors qu’il y a un doute sur l’âge, cela doit normalement profiter aux jeunes. C’est un principe de justice. Ce n’est pas ce qui arrive.

Vous désapprouvez le placement des mineurs isolés dans les hôtels sociaux [des endroits gérés par des assos, souvent critiqués pour leurs conditions de vie déplorables, ndlr]. Pourquoi est-ce un problème selon vous ?

Dans une structure comme la mienne, il n’y a que des adultes, environ 250 places, avec des travailleurs sociaux à temps plein prévu pour ce nombre de personnes. Là, on trouve juste quelques places dans un hôtel parfois insalubre. On y met des mineurs isolés étrangers. Ils ne voient un éducateur qu’une fois par semaine. En tant que parent – j’ai trois enfants dont deux adultes – est-ce qu’on accepterait qu’un enfant soit seul dans un hôtel social ? Est-ce une éducation digne ? Pas pour moi. On les place là en attendant qu’ils aient 18 ans pour ensuite les expulser.

Entre 16 et 18 ans, le mineur isolé navigue entre l’inquiétude et le désespoir. Ils attendent là, sans qu’on leur propose un projet de vie. En tant qu’ancien éducateur spécialisé, j’ai accompagné au quotidien certains de ces jeunes. Un mineur isolé pris en charge correctement est l’avenir de la France.

Dans votre livre, vous illustrez ce point avec l’histoire d’Armando Curri, sacré meilleur apprenti de France en 2015…

C’était une histoire ubuesque. Ce jeune albanais a gagné le titre de meilleur apprenti de France. Problème : dans la tradition, le président du Sénat doit recevoir les jeunes primés. Mais voilà, cet Albanais est sans-papiers. L’affaire est embêtante, le Sénat décide de ne pas l’accueillir. Mais il y a eu un écho médiatique. Alors il a quand même été reçu. (...)

Vous avez indiqué que les mineurs isolés naviguent entre l’inquiétude et le désespoir entre 16 et 18 ans. Dans votre livre, vous dites qu’avant 16 ans, c’est surtout l’espoir qui règne tandis qu’après 18 ans, c’est « le cauchemar permanent ». C’est très fort comme terme.

Oui mais c’est au-delà du simple constat. Parce qu’en tant qu’éducateur spécialisé, je vis la situation au quotidien. Quand le jeune est en pleurs devant moi, je le ressens. Quand le jeune me dit qu’il n’en dort pas, je le vois sur son visage. À Strasbourg, un jeune a été arrêté par la police le jour de ses 18 ans. C’est quand même affreux. Il était parti en ville pour fêter ça. Et au moment où il rentre : contrôle d’identité juste devant le foyer… Ce jeune a été interpellé par des policiers qui le connaissaient. Un des policiers l’avait contrôlé plusieurs mois à l’avance et lui avait dit : « On se retrouve le jour de ton anniversaire ». Il a été placé en Cra près de Strasbourg. Il nous a appelés en pleurant, il disait qu’on le renvoyait à Conakry. Par chance, il a été libéré. Mais quand je l’ai revu, il était traumatisé… L’angoisse commence avant 18 ans. Il suffit d’un contrôle de police. Le cauchemar est permanent. »

Voir en ligne : https://www.streetpress.com/sujet/1...