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Les expulsions de jeunes étrangers explosent en Gironde

Publié le 23-04-2022

Date de la publication : 23/04/2022
Source : Actu
Auteur : Grégory Lassus-Debat

"C’est une fabrique à clandestins !" : Les expulsions de jeunes étrangers explosent en Gironde

En Gironde, une vague d’Obligation de quitter le territoire français frappe d’ancien mineurs non accompagnés parfaitement intégrés. Les structures d’accueil sont révoltées.

INFO ACTU BORDEAUX – Depuis la fin 2021, une vague d’Obligation de quitter le territoire français (OQTF) frappe, en Gironde, des jeunes arrivés il y a plusieurs années en tant que Mineurs non-accompagnés (MNA).

Le directeur d’une association* qui a accueilli, suivi et formé l’un d’entre eux est furieux : l’un de ses protégés, Mamoudou**, doit quitter la France.

Mamoudou est Guinéen et vit à Bordeaux (Gironde). Alors qu’il est parfaitement intégré et a construit sa vie ici, il vient de recevoir une OQTF, qui l’oblige à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours

Dans ce centre d’accueil, alors qu’il n’y avait pas eu une seule OQTF en plus de trois ans, il y en a eu cinq en deux mois.

Il travaille et a construit toute sa vie ici mais doit partir.

Mamoudou a vingt ans et est arrivé seul en France alors qu’il en avait quinze, ce qui lui a automatiquement donné droit au titre de séjour le plus stable qui mène, normalement, à une naturalisation.

Il a été pris en charge par l’une des associations d’accueil des Mineurs non-accompagnés, puis hébergé par un couple officiant comme famille d’accueil. Il a passé un premier CAP de vendeur en boulangerie puis un deuxième CAP de vente. Il travaille et a construit toute sa vie ici mais doit partir. En cause, son acte de naissance qui, selon la Police aux frontières (PAF) comporterait des irrégularités.

"Entre août 2019 et avril 2022, c’est pas moins de 110 000 euros (une centaine d’euros par jour environ, c’est ce que coûte la prise en charge d’un MNA) qui ont été dépensés sur lui par le Département, entre la formation, le suivi et la famille d’accueil. Tout ça pour lui demander de partir ? C’est absurde !" Un travailleur social

Deux nationalités sont particulièrement visées : le Mali et la Guinée

Tous les spécialistes consultés par Actu.fr font le même constat : une augmentation très importante du nombre du nombre d’OQTF reçues ces derniers mois.

Dès que les jeunes passent la barre de la majorité, l’authenticité de leur acte de naissance ou de leurs papiers est remise en cause par la Police aux frontières (PAF) avant que la Préfecture ne prononce une Obligation de quitter le territoire. Deux nationalités sont particulièrement visées : le Mali et la Guinée.

Pourquoi ces deux pays ? Mystère. Chacun y va de son hypothèse : « Peut-être parce que les relations diplomatiques se sont dégradées voire n’existent plus », nous dit une responsable de structure. « On ne comprend pas pourquoi, par exemple, ça passe pour les jeunes camerounais alors que le Cameroun est autant connu que le Mali et la Guinée pour délivrer des papiers parfois frauduleux et pourquoi pour les Maliens et Guinéens, ça ne passe plus ».

« C’est une vraie fabrique à clandestins, c’est complètement con ! » Une fonctionnaire

Philippe Anizan, le Consul honoraire du Mali à Bordeaux, le regrette : « C’est très triste mais depuis le coup d’Etat dans mon pays, il n’y a plus d’ambassadeur du Mali à Paris et plus d’ambassadeur de France à Bamako et on ne nous répond plus au téléphone. Je ne sais pas s’il y a une relation de cause à effet sur les OQTF délivrées à nos jeunes.  »

Une fonctionnaire s’indigne à son tour : « On a mis une énergie pas possible, on a dépensé des fortunes, on a inséré ces jeunes qui sont parfois brillants pour finalement leur demander de partir ? Ça n’a pas de sens. On leur délivre des OQTF mais on ne les renvoie même pas dans leur pays d’origine. Ils ont toute leur vie ici, bien sûr qu’ils ne vont pas partir d’eux-mêmes. C’est une vraie fabrique à clandestins, c’est complètement con ! »

« Elle est beaucoup plus dure que le précédent juge. »

Tous nos interlocuteurs s’accordent sur un point : la nomination de Colette Lajoie, en juillet 2021, comme nouvelle Première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, a tout changé : « C’est elle seule qui décide si un enfant est vraiment mineur ou pas, et nous avons récemment eu des cas où tout indiquait qu’un jeune l’était, mais elle ne s’est quand même pas saisie et refuse de délivrer un Ordre de placement provisoire (OPP) !, s’emporte une bénévole. Elle est beaucoup plus dure que le précédent juge. On nous avait annoncé qu’il y allait avoir plus d’OQTF mais on ne s’attendait pas à en avoir autant. »

« La vérité, on ne l’aura pas »

« La vérité, on ne l’aura pas, mais il y a des concomitances d’éléments factuels. Est-ce que c’est un rattrapage post-Covid ? Est-ce que c’est un durcissement assumé ? » Nous avons fait une demande d’interview à la Préfecture (qui est actuellement tenue par un devoir de réserve lié à la période électorale) ainsi qu’à la juge Lajoie. Actuellement en congés, elle n’a pas encore pu nous répondre.

*Tous nos interlocuteurs ont souhaité garder l’anonymat, de crainte de se brouiller avec la juge des enfants et la préfecture.
**Le prénom a été modifié.

Voir l’article en ligne : actu.fr