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"Ma mère n’en dormirait plus si elle savait" : 200 mineurs isolés dorment sous un pont en banlieue de Paris

Publié le 25-10-2022

Date de la publication : 25/10/2022
Source : InfoMigrants
Auteur.rice.s : Bahar Makooi et Hafiz Ahmad Miakhel

« Près de 200 migrants mineurs isolés vivent dans un campement de fortune installé sous un pont en banlieue parisienne. Faute de prise en charge par l’État français, l’association Utopia 56 a installé des tentes pour éviter que ces jeunes étrangers en procédure de recours en justice ne se retrouvent seuls dans les rues parisiennes.

Les derniers arrivés n’ont même plus de place pour monter leurs tentes sous les deux ponts qui servent d’abri aux migrants mineurs isolés regroupés depuis le mois de juin à Ivry-sur-Seine. La rangée s’étire dorénavant sur les bas-côtés de la route qui passe sous les deux ouvrages. Quand il pleut, ces petits espaces de pelouses se gorgent d’eau et deviennent boueux par endroits.

Mana, 16 ans, a attrapé froid. Il passe la soirée à tousser et s’éloigne pour cracher discrètement sous un arbre. Sa tente est exposée aux intempéries. À l’intérieur, seule une couverture rose et humide. "Elle ne sèche jamais. Je dors dessus, je n’ai rien pour me couvrir", dit le jeune Camerounais, le menton vissé dans son manteau. D’autres font sécher l’étoffe qui leur sert de matelas par-dessus leurs tentes.

Ici, au fil des semaines, le campement de mineurs isolés - une quarantaine à l’origine - a grossi à l’abri du regard des riverains. Seuls quelques joggeurs, des cyclistes, et des trottinettes à vive allure passent par là. Le camp est scindé en deux par une piste cyclable et une voie rapide.

"Je dors mal. J’ai des maux de tête"

Comme Mana, la plupart des habitants sont des jeunes Africains et quelques Afghans que l’administration française n’a pas reconnus comme mineurs après une rapide évaluation. Ils ont déposé des recours en justice et attendent de passer devant un juge pour enfants. D’ici là, considérés comme majeurs, ils sont livrés à eux-mêmes, sans aucune prise en charge de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).

Chaque nuit, sous ces deux ponts, résonne le bruit des voitures qui empruntent la voie rapide à grande vitesse. Sans compter l’autoroute A4, dont le bourdonnement s’élève depuis la rive d’en face. "Je me bouche les oreilles avec les mains, mais c’est vrai, je dors mal. J’ai des maux de tête", confie Ibrahim*, 16 ans.

Ce jeune Ivoirien se rend au lycée tous les matins sans que ses professeurs, ni ses camarades de classe ne sachent dans quelles conditions il dort. "Ma mère n’en dormirait plus si elle savait, alors personne n’est au courant. Il n’y a que l’assistante sociale du lycée qui sait".

Ibrahim a lancé une procédure de recours. Malgré sa situation administrative, il est l’un des rares mineurs isolés ici qui ait réussi à reprendre une scolarité en classe de 3e UPE2A. Avec l’aide de l’Association de solidarité avec les mineurs isolés étrangers (ASMIE), le lycée des métiers du bâtiment Hector Guimard dans le 19e arrondissement de Paris a accepté de l’inscrire dans cette classe réservée aux élèves nouvellement arrivés sur le territoire français.

La bonne nouvelle est tombée début septembre. Ibrahim se trouvait alors en hôtel social à Melun, à plus de 60 kilomètres de Paris. Il est l’un de ceux qui campaient à Bastille cet été et ont pu être relogés par les autorités françaises après l’évacuation du campement, fin septembre. Mais il a finalement renoncé à Melun parce qu’il avait peur de rater l’école. "Je n’ai pas de pass Navigo pour faire l’aller-retour, je ne veux pas avoir de problème avec les contrôles", explique-t-il.

L’adolescent fouille dans sa tente. Il en sort une pile de cahiers colorés tout neufs, ainsi que son carnet de correspondance, dont la première page a été remplie d’une écriture ronde et soignée.

"Ils sont nombreux les jeunes ici à rêver d’aller à l’école", raconte Agathe Nadimi, fondatrice des Midis du Mie. Elle est venue distribuer des pulls, des paires de chaussettes et des sandwiches ce soir avec deux autres bénévoles de l’association, prenant au passage le pouls de l’état de santé et de la situation administrative des habitants du campement. La toux de Mana l’inquiète, elle tente de lui trouver un rendez-vous dans un centre médical de la ville de Paris.

"Les jeunes ne vont pas bien, beaucoup toussent"

"Le lieu est ’craignos’, caché sous un pont, très bruyant et dangereux avec la voie rapide à proximité. Les jeunes ne vont pas bien, beaucoup toussent. Certains sont complètement perdus, livrés à eux-mêmes, ils n’ont même pas encore déposé de demande au dispositif d’évaluation de la minorité", s’indigne-t-elle. "Je ne comprends pas qu’il n’y ait pas de mise à l’abri".

Hormis un unique centre d’hébergement, doté d’une quarantaine de lits à Paris, pour accueillir ces jeunes en recours, les capacités d’accueil associatives sont très limitées : seuls quelques mineurs peuvent être hébergés par des associations comme Les Midis du Mie ou la TIMMY.

Dans l’urgence, depuis le 10 juin, Utopia56 oriente chaque jour de nouveaux adolescents vers le campement d’Ivry-sur-Seine. Ce soir-là vers 21 heures, sept nouveaux venus arrivent avec des morceaux de carton sous le bras. Certains ont dormi aux abords des gares parisiennes les nuits précédentes. La plupart ont appris quelques heures avant qu’ils n’étaient pas reconnus mineurs et ont dû quitter leur chambre d’hôtel dans la foulée.

Un huitième jeune étranger devait venir avec eux, mais il se sentait tellement mal qu’une bénévole l’a accompagné aux urgences psychiatriques. "On n’a que trois tentes pour eux", se désole Priscavine (la personne n’a pas souhaité que son nom de famille soit publié) du pôle accompagnement des bénévoles d’Utopia56, "il va falloir qu’on trouve une personne seule qui accepte de partager la sienne".

La scène se répète tous les soirs. Chaque semaine, Utopia56 installe 20 à 30 tentes en moyenne. Certains jours, l’association reçoit jusqu’à douze jeunes à la rue, qui se présentent à la permanence improvisée sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris (du lundi au dimanche à 18h), avant d’être réorientés ici.

"Ils sont dans un état de fatigue extrême. On attend une mise à l’abri rapide. Ce ne sont pas des conditions de vie décentes. Mais on est malheureusement obligés de faire des choix dans la précarité. Nous avons reçu 300 demandes d’hébergement de familles la semaine dernière dont 122 enfants, parmi lesquels 33 petits de moins de 3 ans", déplore Priscavine.

Eau croupie, odeur d’urine

Depuis l’installation des premières tentes il y a quatre mois, seuls 60 jeunes ont été pris en charge par l’ASE, après avoir été reconnus mineurs. Autant de places se sont libérées sous les tentes.

Avec l’extension du campement, des sanisettes ont été installées par la mairie d’Ivry-sur-Seine depuis l’été, mais l’odeur d’urine se répand à proximité. Une citerne d’eau est rechargée plusieurs fois par semaine, mais elle laisse apparaitre des moisissures. "On évite de la boire, on va marcher plus loin, il y a un robinet près d’un restaurant le long de la Seine", raconte un jeune qui se prépare à faire couler un peu d’eau pour se laver les mains.

Pendant qu’une bénévole d’Utopia56 aide deux nouveaux à monter leurs tentes, le reste du groupe est abordé par un occupant du campement qui leur souhaite "Bienvenue à la rue" sur le ton de la plaisanterie. L’échange ne semble pas amuser un jeune Algérien, resté les sourcils froncés depuis son arrivée.

Quelques secondes d’inattention et l’un de ses camarades ne retrouve plus la couverture qu’Utopia56 venait de lui attribuer. Il est dépité. Les jeunes en manquent ici.

Un peu plus loin, alors que la nuit s’est installée, Mana est embêté par un jeune Afghan, qui démonte sa tente pour se l’accaparer. Tant bien que mal, sans perdre patience, il lui explique qu’elle est à lui et qu’il veut bien la partager. Le jeune Afghan finit par accepter.

*Le prénom a été changé »

Voir l’article en ligne : www.infomigrants.net