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#6 À Ivry-sur-Seine, le combat d’un maire pour l’accueil de jeunes exilés

Publié le 28-12-2022

Date de la publication : 28/12/2022
Source : Le Bondy Blog
Auteur.rice.s : Julie DELEANT & NNOMAN

« Durant presque six mois, près de 300 jeunes étrangers ont campé sous le pont Nelson Mandela, à Ivry-sur-Seine. Depuis leur arrivée, le maire (PCF), Philippe Bouyssou, s’est mobilisé pour réclamer leur mise à l’abri. Une fois toutes les deux semaines, Carnet de route documente la situation de campements, de bidonvilles et de squats en Île-de-France.

Contexte : Depuis juin 2022, près de 300 jeunes étrangers ont campé sous le pont Nelson Mandela, à Ivry-sur-Seine. À bout de souffle et en l’absence de solutions d’hébergement, ces derniers ont déplacé leur tente devant le Conseil d’État en décembre.

Une action symbolique pour alerter sur leur situation : en l’absence d’examen de minorité, ils se retrouvent à la rue, sans prise en charge. En l’attente de solutions pérennes, la mairie d’Ivry-sur-Seine a ouvert un gymnase pour accueillir une partie de ces jeunes.

Date : Décembre 2022

Lieu : Ivry-sur-Seine

Ivry-sur-Seine. Le dernier bouclier de la banlieue sud avant de se jeter, en traversant la Seine, dans la grande gueule de Paris. Ivry et son centre-ville aux accents brutalistes, repensé par le tandem d’urbanistes Gailhoustet-Renaudie dans les années 60.

Ivry et son incinérateur aussi, le plus vieux et le plus grand d’Europe, qui traite 700 000 tonnes de déchets par an, mais intoxique ses voisins à la dioxine. Et puis, sur la charmante placette Pierre Gosnat, son centre d’art contemporain, le Crédac, accessible à tous en entrée libre.

Cette place porte le nom de l’ancien maire de la commune. Issu d’une famille historique de communistes, Pierre Gosnat a été aux commandes de la ville de 1998 jusqu’à son décès en 2015. Bastion rouge depuis plus d’un siècle, Ivry-sur-Seine a gardé la même couleur avec le maire actuel, Philippe Bouyssou, qui partage avec son aîné le goût de la lutte.

Le 9 novembre dernier, il manifestait, auprès de jeunes migrants, de membres d’associations et d’une poignée de députés devant la préfecture du Val-de-Marne. Il réclamait la prise en charge des quelque 300 jeunes occupants du campement dit de « La Liberté », sous le pont Nelson Mandela à Ivry-sur-Seine.

« Les jeunes sont arrivés petit à petit à partir de cet été, principalement parce qu’ici, on les laissait tranquille »

Il exige alors un diagnostic social de leur situation, et une mise à l’abri dans les plus brefs délais. « Les jeunes sont arrivés petit à petit à partir de cet été, principalement parce qu’ici, on les laissait tranquille. Mais après l’évacuation du campement de Bastille, on s’est vite retrouvé avec plus de 300 jeunes », se souvient Philippe Bouyssou depuis son bureau, dos à sa collection de boules à neige.

Celui dont la politique a été « profondément marquée  » par un projet expérimental d’intégration par le logement de familles Roms, se dit prêt à ouvrir un gymnase. Dans l’après-midi, la préfète du Val-de-Marne, Sophie Thibault, accepte de recevoir une délégation, afin de faire le point sur la situation.

Mais en coulisses, la pièce se joue en réalité depuis déjà plusieurs mois. Ses alertes semblent être restées quelque part entre les piles de dossier poussiéreuses et les courriers indésirables. Inquiet de l’arrivée massive de ces jeunes en situation d’extrême précarité, Philippe Bouyssou tente dès l’été d’alerter. Il interpelle le préfet de région Île-de-France, Marc Guillaume, la préfète Sophie Thibault et même «  trois présidents de conseils départementaux  ». Silence radio.

« Il faut des travailleurs sociaux, des médecins, parfois des traducteurs. Nos services municipaux ne sont pas outillés pour ça »

« Dans une situation humanitaire de cette ampleur, on peut penser qu’un maire se dit : “Allez, j’ouvre des gymnases”. Mais les communes ne peuvent pas prendre ces responsabilités, parce qu’il ne s’agit pas seulement de convertir des infrastructures communales en hébergement d’urgence, explique l’édile. Il faut des travailleurs sociaux, des médecins, parfois des traducteurs. Nos services municipaux ne sont pas outillés pour ça. J’étais d’accord pour ouvrir un gymnase, mais pas pour bricoler.  »

Autre souci, majeur : l’argent. L’accueil des demandeurs d’asile est en France géré par l’OFPRA, sous tutelle du ministère de l’Intérieur, et celui des mineurs des départements, via l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE). « Si on commence à faire, hors convention, sur nos propres budgets, de l’accompagnement relevant de l’ASE, on prend des responsabilités qui ne sont pas les nôtres, et qui engageraient des dépenses auxquelles on ne pourrait pas faire face », poursuit-il.

Alors entre deux mails, Philippe Bouyssou fait le « minimum humanitaire ». « On a mis des toilettes, fait livrer de l’eau, puis des bacs poubelles pour évacuer les déchets, et éviter que la situation se dégrade trop… ». Mais comme toujours sur les campements, la situation s’est dégradée. D’abord, il y a eu la gale. Puis les visages qui se ferment, la lassitude et même une tentative de suicide, rapporte une association.

Après la manifestation très médiatisée devant la préfecture, la situation semble commencer à se débloquer. « L’État, qui ne m’avait jamais répondu jusque-là, a soudain estimé que la situation était urgente ». Mais le broyeur administratif a raison des meilleures volontés, et la procédure traîne.

« Il faut le temps de nommer un opérateur social, puis trouver des places d’hébergement. Deux semaines après la manifestation, le préfet à l’Egalité des chances [Mathias Ott, NDLR], est venu me dire en substance : “Monsieur le Maire, il faut ouvrir deux ou trois gymnases, c’est urgent ". J’écrivais à tout le monde depuis le mois de juin, je savais bien que c’était urgent !  ». Pourtant, rien ne se passe. Dès la mi-novembre, le gymnase est aménagé. Toujours rien.

Occupation devant le Conseil d’État

Dehors, l’hiver n’attend pas. Les fraîches soirées de novembre cèdent rapidement leur place aux nuits glaciales et aux premiers flocons de décembre. Pour se réchauffer, les jeunes garçons allument des feux de fortune entre les tentes. «  Là, il y avait vraiment une situation de danger », observe Philippe Bouyssou. Le 2 décembre, coup de théâtre.

Les occupants du campement déplacent leurs tentes face au Conseil d’Etat, à Paris, accompagnés par des membres de l’inter-organisation mineur-e-s de Paris (Médecins du monde, Médecins sans frontières, TARA, la Timmy, les Midis du Mie et Utopia 56 Paris, NDLR). Le maire d’Ivry ne le mentionnera pas au cours de l’entretien, mais lui aussi fait le déplacement. Alors que les jeunes et les bénévoles sont nassés depuis plusieurs heures par la police, il aide à faire passer des couvertures de survie et du thé chaud. Il ne mentionnera pas non plus avoir acheté «  200 paires de gants et 200 sacs à dos, parce qu’il ne sait plus quoi faire ».

C’est Agathe Namidi, la fondatrice des Midis du Mie, qui se le remémore à l’issue de trois jours d’une occupation « coup de poing » qui s’éternise. Au moment où elle s’exprime, une dizaine de jeunes ont déjà été évacués pour hypothermie, des engelures ou des problèmes de circulation sanguine.

« Si on n’a pas aujourd’hui une décision de mise à l’abri demain matin, ils auront gagné. Ils auront des gamins qui vont crever de froid ou finiront tous à l’hôpital  », lâche-t-elle alors, excédée. Il faudra encore 48 heures supplémentaires pour que la situation trouve enfin une issue, et que les occupants du campement soient redirigés vers des centres d’accueil temporaires.

«  C’est mieux que dehors  »

Leur situation administrative y est depuis progressivement évaluée, afin qu’ils puissent être réorientés vers les dispositifs de droits communs qui leur correspondent. Sur les 292 qui ont été pris en charge le 7 décembre, 160 ont été hébergés à Ivry, la seule commune du Val-de-Marne a avoir libéré des places. « On a essayé d’en choisir un bien, avec des blocs sanitaires qui correspondent au nombre de jeunes  », assure le maire. S’il « fait froid » et qu’il «  y a du bruit » la nuit, les quelques jeunes rencontrés devant l’entrée du gymnase s’accordent tous à le dire : « c’est mieux que dehors  ».

Les usagers des Épinettes, principalement des établissements scolaires ou des clubs sportifs, eux, prennent leur mal en patience. « On a essayé de répartir le plus judicieusement possible le poids de la suppression de ce gymnase dans le paysage pour pénaliser le moins possible  », explique l’édile.

Le plus souvent, il ne s’agit donc que de quelques centaines de mètres supplémentaires à parcourir en direction d’une infrastructure similaire. « C’est pénalisant, mais ce n’est pas un drame. De toute façon, tout le monde était scandalisé par la situation de ces jeunes  », conclut Philippe Bouyssou, qui assure n’avoir reçu « ni courrier, ni protestation  » de ses administrés depuis l’ouverture du centre. »

Voir l’article en ligne : www.bondyblog.fr