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"Parfois, on se sent seul" : avec l’association Kabubu, les exilés boxent pour s’intégrer

Publié le 7-08-2023

Date de la publication : 07/08/2023
Source : InfoMigrants
Auteur : Romain Philips

« Tout l’été, les journalistes d’InfoMigrants vous racontent la place du sport dans la vie des exilés. Pour ce troisième épisode, la rédaction est partie à la rencontre des apprentis boxeurs de l’association Kabubu, à Paris. Elle a notamment interrogé Marie*, une Congolaise de 15 ans qui enfile les gants pour "rencontrer du monde".

Adossée contre les cordes bleues du ring, Marie dépose ses gants à terre. L’apprentie boxeuse reprend son souffle après des dizaines de coups hésitants assénés dans la garde de son amie. Autour d’elle, la vingtaine de personnes qui participent au cours de boxe de l’association Kabubu continuent de suivre avec entrain la motivation contagieuse de Mohamed, le coach du jour.

"Droite, gauche, droite, gauche !", "reste mobile, toujours mobile !". Les cris du coach couvrent presque la voix hésitante et timide de la jeune fille. Congolaise âgée de 15 ans, elle est arrivée en France en mars dernier après un long périple à travers le continent africain, la Méditerranée, puis l’Europe. C’est la troisième fois qu’elle vient boxer avec l’association dans ce gymnase du 12e arrondissement de Paris.

L’"amitié par le sport"

Ici, les niveaux, comme les origines, sont hétérogènes. Depuis cinq ans, Kabubu propose aux Parisiens et aux sans-papiers, demandeurs d’asile ou réfugiés des cours de boxe gratuits toutes les semaines. Logée dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance, Marie, profite de ces quelques heures pour "rencontrer du monde". "On se sent seul parfois quand on vient d’arriver", raconte-t-elle avant de reprendre l’exercice avec un nouveau partenaire.

Favoriser l’intégration des nouveaux arrivés en France, c’est justement l’objectif de l’association Kabubu, qui signifie "amitié par le sport" en swahili. "La boxe crée un lien social entre tous de manière naturel. C’est un outil puissant qui permet de se fédérer autour d’un but commun. On oublie tout le reste", justifie Simoné Etna, codirecteur de l’association et pratiquant régulier de boxe française. "Français de souche, Malien, Afghan… Moi, je m’en fiche. Pendant deux heures, ce sont des boxeurs que j’ai en face de moi", résume, de son côté, Mohamed, le coach.

Kabubu permet aussi aux Parisiens et exilés de se rencontrer et d’ouvrir un dialogue entre ces deux populations qui n’échangent que très peu. Ainsi, les exilés "sont exposés au français, tissent des liens et peuvent se créer un réseau social et professionnel", ajoute le codirecteur. Maillot des Lakers [célèbre équipe de basketball de Los Angeles ndlr] sur le dos, Fofana acquiesce. "Ça fait deux ans que je viens ici, je me suis fait des amis, des Parisiens comme des exilés", nous confie ce Malien. Arrivé en France il y a plusieurs années, il gesticule tel un professionnel sur le ring et n’hésite pas à donner des conseils aux autres sur la boxe ou la vie à Paris.

Et c’est le même constat pour Sidy, qui habite dans le quartier. Boxeur confirmé, il vient à Kabubu car se sent "touché par la situation des réfugiés". "On apprend énormément d’eux, de leur parcours, leur courage", exprime-t-il. "Quand on discute avec eux, on se rend vite compte que tout ce qu’on entend sur l’immigration est parfois très loin de la réalité", assène-t-il.

C’est d’ailleurs l’un des objectifs de Simoné Etna : déconstruire les préjugés. Venu d’Italie, il prend notamment comme référence le gouvernement de Giorgia Meloni lorsqu’il évoque les discours anti-migrants et la discrimination. "Il faut provoquer un changement de regard, lutter contre la désinformation et les discours haineux. Nous, en tant qu’association, nous avons un rôle à jouer si on veut un jour arriver à des conditions d’accueil digne de ce nom", témoigne celui qui a été marqué par sa première rencontre avec un migrant, un Afghan arrivé par bateau sur l’île de Lampedusa. Et d’ajouter : "Entre la bureaucratie, le traumatisme du voyage, la discrimination, la difficulté de se loger ou encore de travailler, etc… La vie d’un exilé est très difficile. La boxe ne peut que les aider".

"Tu viens du Congo, c’est à côté du Mali ?"

C’est "une excellente manière de se défouler", confirme Marie qui profite de ces deux heures par semaine pour laisser son difficile passé derrière elle. Le sport, un bon remède face aux traumatismes ? "Beaucoup font des insomnies à cause de leur histoire, traumas, etc… Mais après ces deux heures de boxe, elles sont rincées et s’endorment beaucoup plus facilement", illustre Elie, animatrice pour France Terre d’Asile. C’est elle qui a initié Marie et deux camarades à la boxe chez Kabubu. "C’est très important de sortir du foyer, d’autant plus que pour ces jeunes fraichement arrivées, les traumatismes sont encore récents, donc la boxe a un rôle thérapeutique", ajoute-t-elle.

Après deux heures, les apprentis boxeurs, tous exténués, finissent en cercle pour se saluer avant de se quitter non sans une certaine amertume car pour eux, c’est le dernier cours de l’année. Certains restent quelques minutes pour faire des photos et immortaliser ces nouvelles rencontres.

L’échange de coups laisse place à celui des histoires. "Donc toi, tu viens d’où ?", demande un jeune à Marie. "Du Congo". "Ah oui, c’est du côté du Mali, c’est ça ?". "Non, pas du tout", répond-elle en rigolant, "c’est là", pointe la jeune fille du doigt sur un téléphone pour expliquer le long trajet qui l’a mené jusqu’ici. En les regardant partir, Mohamed, lui, espère les retrouver tous en septembre : "Mais c’est rarement le cas, leur situation est très volatile et l’année dernière par exemple, beaucoup sont partis en Allemagne car apparemment, c’est plus facile pour trouver du travail".

*Les prénoms ont été modifiés »


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