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Le chemin semé d’embûches de la scolarisation des mineurs non accompagnés

Publié le 22-09-2023

Date de la publication : 22/09/2023
Source : La Vie
Autrice : Audrey Parmentier

« Des jeunes exilés témoignent des difficultés qu’ils rencontrent pour accéder à l’éducation. Des obstacles décrits dans un rapport de l’Unicef, publié mercredi 20 septembre et corédigé par l’association Droit à l’école.

Tableau noir à craie, bureaux beiges… Tout est conforme à une salle de classe traditionnelle. Mais quelques détails interpellent : une carte de l’Afrique accrochée au mur, un alphabet arabe et des trousses transparentes identiques. Leur cahier neuf ouvert à la première page, 11 élèves – dont une fille – ne perdent pas une miette de ce que dit Jean-François, leur professeur. Les formalités terminées, un des jeunes intervient : "Quand est-ce qu’on va commencer la vraie école ? "

Au sein des locaux de Ground Control (Paris XIIe), l’association Droit à l’école donne des cours à une cinquantaine de mineurs non accompagnés (MNA) répartis dans cinq classes de niveau. Chacune faisant référence à une équipe de football. En plus de suivre des leçons de français et de mathématiques, ces jeunes, principalement originaires d’Afrique de l’Ouest ou d’Afghanistan, sont accompagnés sur le volet administratif. Objectif : qu’ils rejoignent bientôt les bancs de l’école de la République.

250 MNA sur liste d’attente

Ici, tous sont en recours de minorité : leur prise en charge a été refusée par le département où ils ont fait une évaluation. Ces futurs écoliers attendent désormais une audience devant le juge des enfants qui les reconnaîtra mineurs ou non. La plupart dorment dehors et aucune proposition éducative ne leur est proposée. "Leur présomption de minorité n’est pas respectée", s’agace Morgane Magdelain, la coordinatrice de Droit à l’école. Au total, 250 noms se trouvent sur la liste d’attente, preuve que les besoins sont importants.

Afin de tirer la sonnette d’alarme, l’association a participé à la rédaction d’un rapport publié par l’Unicef, mercredi 20 septembre. Une cinquantaine de pages révèlent qu’en raison de nombreux obstacles, le droit à la scolarisation des mineurs non accompagnés présents sur le territoire français est gravement entravé, en dépit de la Convention Internationale des droits de l’enfant. "Ces jeunes peuvent ainsi perdre jusqu’à trois ans de scolarité ; l’équivalent de 3 000 heures de cours", alerte le document. La présidente d’Unicef France, Adeline Hazan, demande "une réforme de la procédure d’évaluation, pour qu’ils soient pris en charge tout de suite au niveau scolaire".

« C’est mieux que d’être dehors »

Mamadou* (tous les prénoms ont été modifiés), 15 ans, a déjà perdu six mois depuis qu’il est à Paris. Ce mardi 19 septembre, il s’assied enfin sur les bancs de Droit à l’école, en attendant la vraie : "C’est mon premier jour ici, c’est mieux que d’être dehors." Le jeune homme guinéen a eu son audience devant le juge des enfants fin août, mais la reconnaissance de sa minorité a été rejetée. "Je ne sais pas quoi faire", confie-t-il.

La tête "pleine de problèmes", Mamadou se concentre sur ce qu’il aime : les mathématiques. Dans la classe Brésil, où les jeunes ont le meilleur niveau, il lance un débat sur la soustraction. "Je veux vous montrer une autre méthode", coupe Mamadou avant de demander au professeur la permission d’écrire au tableau. Plus tard, il aimerait étudier le commerce. "J’espère commencer l’école bientôt, je veux faire de longues études", déclare-t-il à la pause.

Avant d’être scolarisés, les jeunes passent des tests oraux et écrits au Centre académique de scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (Casnav). S’ils doivent renforcer leurs compétences, on les affecte dans une classe d’accueil unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Sinon, ils sont directement orientés vers un centre d’informations et d’orientation (CIO), où ils se soumettent à d’autres tests de positionnement, préalables à une affectation en CAP ou en seconde professionnelle.

Plusieurs mois d’errance avant la scolarisation

Et parfois, la machine se grippe, comme avec Ousmane*, 18 ans. "Il y a deux ans, je n’ai pas été reconnu mineur par le tribunal pour enfants, et le CIO ne voulait pas que je passe le test. C’est une bénévole de Droit à l’école qui a été obligée d’insister", raconte le jeune homme originaire de Guinée. Arrivé en France en mai 2021, Ousmane a dû attendre dix mois avant d’être scolarisé. Aujourd’hui, il est en deuxième année de CAP Signalétique et décors graphiques dans un lycée du XIe arrondissement. "Ma matière préférée, c’est l’histoire et l’évolution des êtres humains", sourit-il.

Si le cas d’Ousmane est rare, l’association reste indispensable pour lever des barrières administratives. "Livrés à eux-mêmes et sans représentant légal, il leur est impossible de s’inscrire dans une école de la République", soupire Morgane Magdelain. D’autant que l’absence de logement peut s’avérer un frein supplémentaire. "Ce n’est pas légal de demander un justificatif de domicile, mais dans la pratique, les départements le font", soutient la coordinatrice. Quand le jeune n’a pas de justificatif, un bénévole doit l’accompagner au Casnav pour insister. Et cela fonctionne.

« Une course contre la montre »

De son côté, Emmanuel Deschamps, responsable du Casnav à l’académie de Paris, admet que "la scolarisation se fait en tenant compte de la localisation de l’hébergement". Et quand il n’y a pas d’hébergement ? "L’école est obligatoire, donc on ne refuse jamais un élève. Il arrive qu’on retarde un peu la scolarisation, le temps que le dossier soit complet."

Les mineurs non accompagnés représentaient, en 2022-2023, environ 25 % des élèves allophones. Sur la même période, le rectorat de Paris a recensé 515 MNA, contre 622 en 2021-2022. "On reçoit en ce moment une vingtaine d’élèves par demi-journée et il y a toujours plusieurs places dédiées aux MNA", continue Emmanuel Deschamps. II indique que deux tiers de ces jeunes sont répartis dans des UPE2A, les autres intègrent une classe ordinaire (seconde générale, professionnelle ou CAP).

"Au total, 40 % des mineurs non accompagnés n’ont pas été à l’école antérieurement et vont dans des UPE2A", affirme Delphine Guedat-Bittighoffer, enseignante-chercheuse en sciences du langage et FLE à l’université d’Angers (Maine-et-Loire). Il arrive qu’il n’y ait plus de place en UPE2A, car les dispositifs de classes adaptées sont en nombre insuffisant. Certains n’ont donc pas le temps d’apprendre à lire et écrire, car ils doivent valider six mois de formation professionnelle pour obtenir un titre de séjour demandé l’année de leurs 17 ans. Ainsi, le délai de scolarisation peut mettre en péril le processus de régularisation. "C’est une course contre la montre, alors qu’ils ont perdu plusieurs mois à errer dans la rue", reprend l’enseignante-chercheuse.

De cette course de vitesse Sékou*, 19 ans, est ressorti gagnant. Originaire du Mali, le jeune homme ne parlait pas un mot de français quand il est arrivé à Paris en 2020. Trois ans plus tard, il est fier d’avoir obtenu son titre de séjour après un parcours long et difficile. "J’ai dormi plusieurs jours dans la rue à République, puis j’ai été hébergé et mis en UPE2A, où j’ai appris le français. Tout le monde était très gentil. La dame de la cantine me gardait toujours un plat pour le dîner", se souvient celui qui dort maintenant dans un foyer.

Sa régularisation, Sékou la doit à la validation de sa formation de couvreur. Mais il rêve d’un autre métier, celui de plombier. Cette après-midi, il a rendez-vous avec l’équipe du pôle orientation de Droit à l’école pour commencer une nouvelle formation dans ce domaine. S’il a trouvé un établissement scolaire, Sékou cherche un patron en Île-de-France pour faire son apprentissage. Avis aux intéressés. »


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www.lavie.fr