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Publié le 28-09-2023
Date de la publication : 28/09/2023
Source : InfoMigrants
Autrice : Leslie Carretero
« Environ 200 jeunes isolés originaires d’Afrique de l’Ouest, en attente de reconnaissance de leur minorité, passent leur nuit au parc de Belleville, dans le nord de Paris. La plupart ont vécu plusieurs semaines dans l’école désaffectée du 16e arrondissement. Mais lors de sa fermeture en juin, ces mineurs se sont retrouvés une nouvelle fois à la rue. Reportage.
Il est 19h30 en cette douce soirée d’automne, et les terrasses du nord de Paris se remplissent. Les tables du bar chic et branché "Floréal Belleville" affichent déjà complet, tandis que la galerie d’art à ses côtés grouille de Parisiens venus assister à un vernissage. À sa droite, le parc de Belleville, lui, se vide petit à petit. Dans ce lieu emblématique de la capitale, c’est une autre soirée qui s’annonce.
Plus loin, au détour d’allées ombragées, c’est une autre population qui investit les lieux. Plus jeune, plus démunie aussi. Il faut s’aventurer dans les artères de ce parc tout en hauteur pour comprendre. Quand le soleil disparaît et que l’obscurité recouvre tout, des petits groupes d’adolescents, originaires d’Afrique de l’Ouest, apparaissent ici et là.
Ils se saisissent de gros sacs en plastiques, des matelas, des couvertures dissimulés derrière des bancs et des buissons. Et ils s’installent. Au bout d’un autre chemin, leurs pulls, leurs t-shirts, leurs duvets ou encore leurs serviettes sèchent sur les barrières vertes entourant une petite place. Certains discutent sur les bancs, d’autres jouent, d’autres encore pianotent sur leur téléphone.
Des mois passés à la rue
Il est 20h quand les services de la mairie évacuent le site, sifflets vissés sur la bouche, pour fermer les grilles du parc. Les quelques badauds restants se dirigent vers la sortie. Mohamed, lui, ne bouge pas. Les employés municipaux ne disent rien. Comme des dizaines d’autres, ce Guinéen de 16 ans n’a nulle part où aller. Installé sur un matelas au milieu du passage, il parait plutôt serein malgré son quotidien précaire. "C’est ici que je dors", explique le jeune homme, en montrant son lit de fortune. La rue, il connait. Depuis son arrivée en France en mars dernier, il enchaine les nuits dehors. "Au départ, j’ai dormi sur l’esplanade de Bercy, puis je suis allé vivre à l’école. À sa fermeture, je suis revenu à Bercy et maintenant je suis là depuis quelques mois", précise Mohamed.
L’école dont parle ce Guinéen a été un lieu d’hébergement pour environ 700 mineurs isolés pendant deux mois et demi. L’établissement désaffecté, situé dans le très chic 16e arrondissement de Paris, a été évacué en juin par les associations qui géraient le site surpeuplé, les humanitaires redoutant un drame. Mais sa fermeture a contraint des centaines de jeunes à retrouver la rue. Tous sont des migrants dont la minorité n’a pas été reconnue. En attendant leur recours auprès d’un juge, ils ne sont pas pris en charge par les autorités et errent sur les trottoirs de la capitale.
Salif* aussi a suivi le même parcours rue / école / rue. Agé de 17 ans, son recours est prévu dans deux semaines. "Ce n’est pas facile", dit simplement le Guinéen pour évoquer sa vie en France depuis sa venue en avril. Assis sur des marches du parc, tapis dans l’obscurité, l’adolescent mange des pâtes à la tomate dans une barquette en aluminium récupérée un peu plus tôt lors d’une distribution de nourriture sur la place de l’Hôtel de ville. "On arrive le soir vers 19h/20h, on attend que le parc ferme et on ouvre notre tente", raconte Salif.
De nouvelles arrivées chaque soir
Une fois la nuit tombée, des dizaines de silhouettes s’activent dans des buissons pour y récupérer des effets personnels et s’installer à même le sol. Les plus "chanceux" ont une tente, d’autres ont récupéré des matelas trouvés dans la rue, mais certains n’ont qu’un bout de carton pour dormir. "Parfois je dors assis, sur les marches, tellement j’ai froid", confie Abdou*, un Ivoirien de 15 ans.
La nuit, personne ne les déloge, mais le matin, la police les réveille vers 6h et leur demande de plier bagage et de nettoyer la zone. Les mêmes gestes se répètent quotidiennement : ranger les tentes, les bâches et les couvertures, et les cacher dans les buissons.
Selon la mairie du 20e arrondissement, ils sont environ 180 à passer leur nuit dans ce parc. Les associations, elles, évoquent 300 personnes. Tous s’accordent cependant à dire que leur camp n’a cessé de grossir depuis les premières arrivées en juin, après la fermeture de l’école.
Ce soir-là, difficile de compter le nombre de personnes. Plusieurs petits groupes d’une dizaine de migrants sont disséminés à différents endroits, rendant le comptage compliqué. Et les arrivées continuent bien après la fermeture du parc. Les jeunes passent par un barreau cassé au niveau de l’entrée principale, près du belvédère qui surplombe Paris.
"Nous n’évacuerons pas sans mise à l’abri organisée par l’État"
La mairie, encartée à gauche, tente de gérer ces personnes à la rue, avec ses propres moyens. "Ce n’est pas qu’on tolère leur situation, c’est surtout qu’on essaye de faire en sorte que les choses se passent au mieux pour ces jeunes en attendant que l’État ne réagisse", assure à InfoMigrants Antoine Alibert, adjoint municipal aux Solidarités.
Agathe Nadimi, des Midis du Mie, craint de son côté que ce lieu de vie informel ne grossisse encore. "Tous les nouveaux déboutés de leur minorité se retrouvent là donc fatalement ça va aller vite. Chaque soir, il y a de nouveaux arrivants. Plus le temps passe, plus il y a de gens. On va monter à au moins 500 dans les prochaines semaines", pense la militante. Depuis des mois, les humanitaires réclament une mise à l’abri de ces jeunes, dans l’attente de leur recours. En vain.
La mairie aussi dit ne recevoir aucune aide de la part des autorités. "Les courriers envoyés à la préfecture sont restés lettre morte", signale Antoine Alibert. "Notre doctrine est claire : nous n’évacuerons pas sans mise à l’abri organisée par l’État. En attendant, on fait comme on peut". Ordre a été donné par les services de la mairie du 20e de ne pas harceler ces jeunes et de les laisser dormir dans le parc. Ces derniers mois, pourtant, les campements de ce type sont rapidement démantelés par les autorités.
Maigre consolation pour ces jeunes. Tous les exilés rencontrés ce soir-là redoutent une chose : le froid et la pluie. "On va faire comment cet hiver quand les températures baisseront ?", s’inquiète Kourouma, un autre Guinéen de 16 ans. "Quand il pleut, c’est déjà la galère. On s’abrite sous des arbres ou sous les endroits couverts du parc. Mais le froid, c’est pire, on ne peut rien faire pour se réchauffer".
*Les prénoms ont été modifiés. »
Voir l’article en ligne : www.infomigrants.net