Rapport annuel de Forum réfugiés Cosi sur l’asile en France et en Europe 2019

Source : Forum réfugiés

Date : 20 juin 2019

Présentation :

«  Ce rapport annuel sur l’asile est publié par Forum réfugiés depuis 2001. Établi à partir de textes de synthèse et de tableaux statistiques, il dresse un état des lieux de la situation de l’asile en France et en Europe durant l’année écoulée.

Le 20 juin 2019, Forum réfugiés-Cosi publie pour la dix-neuvième année consécutive son État des lieux sur l’asile.

S’attachant aux faits et aux thèmes les plus significatifs, il décrit et analyse les modalités d’accueil des personnes qui fuient leur pays, les moyens qui sont affectés à cet accueil et le niveau de protection qui leur est accordé. Il propose également un aperçu de la situation géopolitique de certaines régions du monde d’où sont originaires un nombre important de demandeurs d’asile.

Le rapport intègre les contributions de 24 experts, corédacteurs de l’ouvrage. Avec ses 356 pages intégrant des tableaux et annexes, il constitue un outil d’information et de travail indispensable pour les spécialistes comme pour le public sensibilisé à la question de l’asile et de la protection des réfugiés.

Après un premier chapitre consacré à la situation qui prévaut dans plusieurs pays d’origine des demandeurs d’asile, l’ouvrage présente dans un deuxième chapitre l’évolution des dossiers européens depuis la gestion des frontières et de l’accès au territoire jusqu’à un état des lieux du régime d’asile européen commun (RAEC). On trouvera également une analyse de la jurisprudence européenne relative à l’asile.

Consacré à la France, le troisième chapitre analyse les données statistiques de l’accès à la procédure d’asile sur le territoire, à la frontière et dans les lieux de privation de liberté, de l’instruction des demandes d’asile, de l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale et pointe les améliorations et les insuffisances du système d’accueil. L’actualité jurisprudentielle est également détaillée.

Des enjeux transversaux sont traités dans un dernier chapitre consacré à trois dossiers thématiques : les routes migratoires, les mineurs non accompagnés et la demande d’asile, et les changements apportés par la loi Asile immigration du 10 septembre 2018 en matière d’asile. »

Sommaire :

Préface

Chapitre un : l’asile dans le monde

1• Panorama statistique : plus de 70 millions de personnes en situation de déplacement forcé dans le monde

2 • Des situations géopolitiques complexes, à l’origine des déplacements de population

Chapitre deux : l’asile en Europe

1 • Panorama statistique

2 • Une politique européenne axée sur le contrôle des frontières, qui restreint l’accès à l’asile

3 • Un régime d’asile européen commun qui peine à répondre aux besoins de protection

4 • Sélection de jurisprudences européennes relatives à l’asile en 2018

Chapitre trois : l’asile en France

1• L’accès à la procédure

2 • L’instruction des demandes d’asile

3 • L’accueil des demandeurs d’asile

4 • L’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale

Chapitre quatre : dossiers thématiques

1 • Des routes migratoires périlleuses et mouvantes

2 • Les mineurs non accompagnés et la demande d’asile

«  Les mineurs non accompagnés sont de plus en plus nombreux à être pris en charge en France, ce qui alimente de nombreux débats politiques et juridiques autour des modalités de cet accueil. L’exercice du droit d’asile pour ces jeunes demeure cependant limité, ce qui suscite de nombreuses interrogations. La prise en charge de ce public est également un enjeu important en Europe, malgré une baisse significative des arrivées. Dans ce contexte, la question de la santé mentale de ces jeunes est souvent peu abordée.

  • L’accueil des mineurs non accompagnés en France, au cœur de nombreux débats

Considérés comme des mineurs en danger au regard de leur minorité et de leur isolement, les étrangers de moins de 18 ans ne disposant pas d’un représentant légal sur le territoire français sont éligibles au système de protection de l’enfance de droit commun. Leur statut de demandeur d’asile n’a pas d’incidence sur le cadre de prise en charge. L’ensemble des mineurs non accompagnés (MNA) font néanmoins l’objet d’une procédure spécifique d’admission au sein des services départementaux d’aide sociale à l’enfance.

  • Eclairage statistique sur l’accueil des mineurs non accompagnés par les départements

Alors que la question des mineurs non accompagnés suscite de nombreux débats, les données statistiques sur ce sujet demeurent incertaines. Ce qui donne lieu à de nombreuses imprécisions de la part des décideurs en charge de l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques dans ce domaine, des acteurs associatifs et des médias.

Il convient tout d’abord de distinguer, comme pour tout phénomène migratoire le nombre d’arrivées sur une période donnée et la présence à une date déterminée. Ces deux données, qui apportent un éclairage différent sur la situation, sont souvent confondues. Ces statistiques comportent par ailleurs une part d’incertitude constituée par la présence de MNA qui ne sont pas identifiés et ne sont donc pas enregistrés dans le dispositif de protection de l’enfance. Certains étrangers peuvent par ailleurs voir la minorité qu’ils revendiquent être contestée, et ne sont donc pas considérés comme mineurs non accompagnés. Enfin, l’ensemble des chiffres cités ici concernent la France métropolitaine et ne doivent pas occulter la situation outremer et notamment à Mayotte, où le Défenseur des droits indiquait la présence de 3 000 mineurs non accompagnés en 2015.

Les arrivées de mineurs non accompagnés en France métropolitaine

La mise en place d’un mécanisme de répartition des mineurs non accompagnés dans l’ensemble des départements métropolitain depuis 2013 a entraîné la création d’une cellule dédiée au ministère de la Justice chargée de piloter le dispositif. Les rapports annuels qu’elle publie ainsi que les tableaux de suivi mis à jour régulièrement permettent de connaître le nombre de MNA ayant fait l’objet d’une décision judiciaire de placement auprès d’un service d’aide sociale à l’enfance (ASE), et portés à la connaissance de la cellule ministérielle.

En 2018, 17 022 MNA ont été placés auprès d’un service départemental d’aide sociale à l’enfance, contre 14 908 en 2017 (+14,2%) et 8 054 en 2016. La comparaison avec les années antérieures à 2016 est peu pertinente puisque ce n’est qu’à partir de cette année-là que le recueil statistique du ministère de la Justice s’est avéré fiable et complet – auparavant, de nombreux jeunes pris en charge dans les départements n’étaient pas portés à sa connaissance par les magistrats.

Ces chiffres portent sur les jeunes dont la minorité et l’isolement ont été reconnus par une décision de justice, au terme du parcours d’évaluation dédié à ce public. Un nombre plus important de jeunes a sollicité une protection, sans que celle-ci ne soit accordée. D’après le rapport de plusieurs services d’inspection et de l’Assemblée des départements de France (ADF) publié en en février 2018, 54 000 évaluations de la minorité et de l’isolement auraient été réalisées en 201732. Ce chiffre ne permet pas cependant de connaître le nombre de jeunes concernés, le rapport soulignant qu’il inclut des évaluations multiples pour les mêmes personnes. Concernant le taux de reconnaissance de la minorité et de l’isolement pour les jeunes qui se présentent aux services départementaux, il diffère selon les départements où les profils des jeunes évalués varient, tout comme les pratiques d’évaluation. La mission bipartite Inspections-ADF faisait état d’un taux de reconnaissance moyen de 56% en France en 2017, tout en reconnaissant les limites de cette méthode de calcul. En 2018, les évaluations sociales ont abouti à reconnaître la minorité et l’isolement pour 29% des jeunes à Paris, 40% dans l’Isère et 58% à Lyon. Ces données ne prennent pas en compte les mineurs admis suite à une saisine du juge des enfants, qui représentent une part significative des admissions dans certains départements.

La présence de mineurs non accompagnés en France métropolitaine

Les arrivées sur une période donnée ne permettent pas de connaître le nombre de MNA pris en charge à un instant donné : certains jeunes arrivés dans le courant de l’année ou les années précédentes sortent régulièrement du dispositif de protection de l’enfance, notamment parce qu’ils atteignent la majorité.

Les départements sont tenus de communiquer au ministère de la Justice le nombre de MNA qu’ils prennent en charge à la fin de l’année, cette donnée étant notamment prise en compte pour le calcul de la clé de répartition. Ce chiffre ne fait cependant l’objet d’aucune communication officielle. Pour 2016, un rapport sénatorial publié en juin 2017 indiquait que 13 008 mineurs isolés étaient pris en charge par les départements au 31 décembre. Un arrêté de juillet 2018 portant sur le financement exceptionnel de l’État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l’aide sociale à l’enfance révèle que les département accueillaient 8 005 mineurs non accompagnés en plus fin 2017, par rapport à fin 201638. Au 31 décembre 2017, il y avait donc 21 013 mineurs non accompagnés pris en charge en France métropolitaine.

(...)

Plusieurs biais statistiques peuvent cependant être relevés. D’une part, le ministère de la Justice ne peut vérifier la véracité des chiffres qui lui sont transmis par les départements. D’autre part, les textes réglementaires ne sont pas clair sur le fait de savoir si les départements doivent inclure dans ce chiffre l’ensemble des mineurs pris en charge au 31 décembre, y compris ceux mis à l’abri au titre de l’accueil provisoire d’urgence à cette date, ou seulement ceux confiés par une décision judiciaire. L’interprétation et donc les chiffres diffusés doivent ainsi varier d’un département à l’autre.

En tout état de cause, l’absence de données officielles et fiables sur le sujet donne régulièrement lieu à des approximations regrettables. On a ainsi pu lire fréquemment que 25 000 mineurs non accompagnés étaient pris en charge en France fin 2017, une estimation fournie par le rapport sénatorial précité qui s’avère presque 20% supérieure à la réalité. Ce chiffre imprécis a pourtant été relayé par plusieurs institutions, du chef de l’État à l’Assemblée des départements de France et figure dans de multiples rapports d’organisations nationales ou internationales, et productions médiatiques sur ce sujet. Le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge fin 2018 n’était toujours pas connu en mai 2019, mais l’Assemblée des départements de France relayait dès la fin 2018 une évaluation de 40 000 MNA à la charge des départements. Là aussi, les médias ont largement relayé cette donnée dont l’exagération ne fait pourtant aucun doute et vise à influencer les débats politiques intenses sur ce thème.

Une procédure d’évaluation de l’âge qui continue d’alimenter les débats politiques et juridiques

Le cadre juridique entourant le parcours d’entrée dans la protection de l’enfance pour les mineurs non accompagnés, élaboré à partir de 2013, a été renforcé et consolidé en 2016. Une loi sur la protection de l’enfance, complétée par plusieurs textes réglementaires, a précisé les contours de l’évaluation sociale menée par les conseils départementaux et a consacré le mécanisme de répartition des mineurs dans les départements. Bien que limitée dans le temps, pour entrer dans un cadre juridique préexistant qui ne permet aux départements d’accueillir un mineur sans décision judiciaire que pendant 5 jours, la consécration de l’évaluation sociale comme méthode de base pour évaluer la minorité et l’isolement constitue une avancée significative. En l’absence de méthode scientifique permettant de déterminer l’âge d’un jeune, l’évaluation sociale, entourée de certaines précautions indispensables et articulée avec les dispositions portant sur l’état civil, est en effet considérée comme la pratique la plus respectueuse des droits de l’enfant.

Cette phase d’évaluation est mise en œuvre de façon très inégale, avec une application souvent incomplète du cadre juridique par les départements et les juridictions en charge de l’enfance en danger, couplée à un manque d’appui et de pilotage au niveau national. Malgré ces enjeux, le débat public a principalement porté sur la question du financement de ces mesures pour les départements. Le 17 mai 2018, l’ADF a accepté une proposition du gouvernement d’apporter « une aide concentrée sur la phase d’accueil et d’évaluation, avec 500 euros par jeune à évaluer plus 90 euros par jour pour l’hébergement pendant 14 jours puis 20 euros du 15ème au 23ème jour ». Ce dispositif remplace en 2019 le remboursement prévu jusqu’alors de 250 € par jour et par jeune évalué, pour une durée maximale de 5 jours. Le principe d’une participation financière exceptionnelle à la prise en charge de ces jeunes a par ailleurs été reconduit, avec un budget total de 175 millions d’euros en 2019 dédié à cette aide. L’État cherche par ailleurs à apporter un appui opérationnel sous plusieurs aspects. En mars 2019, un marché public a ainsi été lancé par le ministère de l’Intérieur pour des campagnes de communication dans les pays d’origine des mineurs, des projets de retour volontaire – difficile pourtant à concilier avec l’intérêt supérieur de l’enfant – et une étude de faisabilité. Le gouvernement a par ailleurs déposé en novembre 2018 un amendement au projet de loi sur la Justice instaurant un mécanisme de répartition nationale des jeunes isolés avant leur évaluation, une proposition non examinée car constituant un « cavalier législatif » (proposition sans lien avec le texte discuté). Le nouveau secrétaire d’État à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, a réitéré cette idée de « mettre en place des pôles régionaux pour mieux répartir les jeunes sur le territoire dès la phase d’évaluation » dans un entretien de mars 2019.

Le rôle de l’État dans la phase d’évaluation s’est par ailleurs affirmé à travers la loi du 10 septembre ouvrant la possibilité de créer un « fichier d’appui à l’évaluation de la minorité », mis en place par un décret du 30 janvier 2019. Ce texte permet au département de s’appuyer, en plus des entretiens conduits avec le jeune par des professionnels et des tests osseux, sur le concours du préfet. Lorsqu’un jeune se présente pour demander une mise à l’abri, le département pourra l’envoyer en préfecture afin que son identité soit enregistrée et comparée avec les données d’un nouveau fichier « aide à l’évaluation de la minorité ». Le ministre de l’Intérieur, en charge de la mise en œuvre du fichier, est ainsi autorisé à prélever et enregistrer les empreintes digitales de deux doigts des jeunes et les images numérisées de leur visage, ainsi que les données à caractère personnel et les informations relatives à ces jeunes (état civil, nationalité, coordonnées, langues parlées, filiation, données transmises par le département, etc.). Si un jeune est déclaré majeur suite à cette évaluation, les données seront immédiatement versées dans le fichier AGDREF (application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers). Il fera alors « l’objet d’un examen de sa situation et, le cas échéant, d’une mesure d’éloignement ».

Ce fichier a fait l’objet de nombreuses critiques émanant d’associations mais également du Défenseur des droits, portant sur plusieurs aspects : la prise en charge serait envisagée en premier lieu comme un enjeu migratoire et non plus de protection de l’enfance, le seul constat qu’un jeune a formulé une demande de visa comme majeur ne peut permettre à elle seule d’écarter sa minorité, le préalable à toute démarche de contrôle doit être d’harmoniser des pratiques départementales d’évaluation souvent en contradiction avec le cadre légal, ou encore l’absence de suspensivité de la saisine du juge pour enfant qui pourrait entraîner un éloignement sans regard d’un magistrat sur la demande de protection. Certaines collectivités, comme Paris, la Seine-Saint-Denis ou la Haute Garonne, invoquant l’intérêt supérieur de l’enfant et leur mission de protection de l’enfance, ont déjà indiqué qu’elles n’appliqueraient pas ce texte. La démarche consistant à solliciter le concours de la préfecture n’est en effet pas obligatoire. Le Conseil d’État, saisi en référé par plusieurs associations concernant la légalité de ce fichier, du fichier MNA a rejeté la requête par une ordonnance du 3 avril 2019 en considérant qu’il n’existait pas de doute sérieux sur la légalité du décret contesté. Tenu cependant de statuer au fond sur la légalité de ce texte, il a décidé le 15 mai 2019 d’adresser une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, pour savoir si la disposition législative permettant ce décret et introduite par la loi du 10 septembre 2018, est conforme à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel avait statué quelques semaines avant sur une autre question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été soumise concernant les mineurs non accompagnés. Le Conseil a déclaré dans une décision du 21 mars 2019 que l’article 388 du Code civil qui prévoit la possibilité d’un examen médical pour déterminer l’âge des jeunes étrangers isolés est conforme à la Constitution. Il a cependant consacré l’exigence constitutionnelle de « protection de l’intérêt supérieur de l’enfant », imposant que les mineurs présents sur le territoire national « bénéficient de la protection légale attachée à leur âge ». Il a par ailleurs rappelé que « les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures ». Des garde-fous qui ne constituent qu’un rappel de la loi et des engagements internationaux de la France au titre de la Convention internationale des droits de l’enfant.

  • Un faible niveau de demandes d’asile pour les mineurs non accompagnés qui suscite des interrogations

Panorama statistique de la demande d’asile des mineurs non accompagnés

En 2018, 742 demandes d’asile de mineurs non accompagnés ont été enregistrées par l’OFPRA, soit une progression de 24,2% par rapport à 2017 (où 591 demandes d’asile avaient été enregistrées) et un doublement par rapport à 2013. Cependant, les mineurs isolés sollicitant l’asile représentent toujours une faible proportion parmi l’ensemble des demandeurs d’asile (0,81% en 2018, 0,80% 2017, contre 0,74% en 2016). La part des mineurs non accompagnés sollicitant l’asile parmi ceux pris en charge par les services de protection de l’enfance est également très faible. Les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile ne représentent ainsi que 4% des 17 022 mineurs ayant fait l’objet d’une admission judiciaire dans un dispositif de protection de l’enfance au cours de l’année 2018 (4% en 2017, 6% en 2016, 5% en 2015).

88% des mineurs isolés ayant demandé l’asile en 2018 avaient entre 16 et 17 ans, et 5,2% étaient âgés de moins de 14 ans. La répartition par genre reste stable par rapport aux années précédentes, puisque 75,6% des mineurs isolés demandeurs sont des garçons contre 76,1% en 2017. Concernant le pays d’origine des demandeurs mineurs non accompagnés, 33,8% viennent d’Afghanistan, 8,1% de la République démocratique du Congo et 7,5% de la Guinée. Enfin, les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile résident principalement dans les départements de Paris, Mayotte, l’Ille-et-Vilaine, le Pas-deCalais et la Loire-Atlantique.

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En 2018, L’OFPRA a instruit ces demandes en procédure normale dans 81,2% des cas, en baisse par rapport à 2017 (87,1%). Le taux de protection à l’OFPRA était de 67% en 2018, et le taux global de 72,3% en incluant les décisions de la CNDA, en légère baisse par rapport à 2017 (73,8%). 444 protections ont été accordées par l’OFPRA (226 statuts de réfugiés et 218 protections subsidiaires) et 35 par la CNDA, soit un total de 479 personnes ayant formulé leur demande en tant que mineurs, protégées en 2018.

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Le taux d’accord, en baisse depuis 2016, demeure particulièrement élevé. Il est deux fois plus important que pour la demande globale (36%). Pourquoi alors si peu de mineurs non accompagnés demandent l’asile ?

(...)

Un faible niveau de demandes aux explications multiples

En France, les mineurs non accompagnés (MNA), sont accueillis par les départements au titre de la protection de l’enfance, qui permet de placer auprès du service d’aide sociale à l’enfance (ASE) des conseils départementaux tout mineur en danger indépendamment de sa nationalité. Cette protection est fondée sur la minorité et l’isolement. Toutefois, l’ASE ne remplace pas la protection au titre de l’asile. Celle-ci offre un droit au séjour durable en France, sans que le mineur n’ait à attendre sa majorité pour élaborer un projet de vie, et elle permet aussi une reconnaissance des persécutions et violences subies par le/la mineur(e), dans son pays d’origine.

La protection au titre de l’asile est pourtant très peu sollicitée par les mineurs. Chaque année, moins de 5% des jeunes admis à l’Aide sociale à l’enfance introduisent une demande d’asile à l’OFPRA alors que ceux qui le font obtiennent très souvent une protection. Les acteurs de l’asile partagent plusieurs facteurs d’explication au faible taux de demande des mineurs non accompagnés.

Tout d’abord, les travailleurs sociaux qui sont chargés de l’accompagnement éducatif des jeunes pendant leur prise en charge par l’ASE, méconnaissent souvent le droit d’asile, le pensent parfois réservé à certains pays ou même aux seuls adultes, ou imaginent que les chances d’aboutir sont très faibles. L’orientation vers la demande d’asile suppose de la part du travailleur social un diagnostic précis sur la situation du jeune dans son pays d’origine, ce qui n’est pas toujours possible au regard des moyens ou compétences mobilisables. On constate ainsi que l’essentiel des demandes d’asile des MNA en France sont formulées dans quelques départements, où des dispositifs d’accompagnement juridiques dédiés sont mis en place.

La demande d’asile peut par ailleurs être écartée car les jeunes disposent de possibilités de maintien sur le territoire à la majorité qui paraissent plus simples. Pour les jeunes admis à l’ASE avant 15 ans et qui peuvent prétendre à la nationalité française à leur majorité, et dans une moindre mesure pour ceux admis avant 16 ans qui se verront délivrer assez facilement un titre « vie privée et familiale », la demande d’asile présente pour principal intérêt de voir reconnaître les persécutions subies.

Un autre facteur explicatif, est celui du caractère complexe et intense de la demande d’asile. Certains ne souhaitent pas revenir sur des épreuves traumatisantes. La démarche de demande d’asile peut effectivement s’avérer difficile, a fortiori quand elle n’est pas accompagnée sous l’angle psychologique. La demande d’asile peut cependant permettre d’avancer quand une persécution subie est reconnue par le biais d’une décision de protection. D’ailleurs, l’une des spécificités de la demande d’asile des MNA auprès de l’OFPRA est que le seuil de persécution requis est plus bas (plus une personne était jeune au moment des faits moins l’on peut s’attendre à des détails précis). L’OFPRA a mené un travail important pour mieux instruire ces dossiers. La demande d’asile des mineurs non accompagnés bénéficie par ailleurs de certaines souplesses en droit ou en pratique : pas de transfert Dublin, possibilité de faire venir ses parents et frères et sœurs mineurs, hypothèses de placement en procédure accélérée réduites.

Des aspects liés au cadre juridique de l’asile peuvent constituer un frein pour les jeunes. Si un retour dans le pays d’origine est effectué lorsqu’on est réfugié statutaire, la protection octroyée est annulée. Ceci peut dissuader un MNA de demander l’asile s’il continue à entretenir des liens avec les membres de sa famille, restés dans le pays d’origine. Des solutions alternatives existent pourtant. Par exemple, il y a la possibilité de retrouver sa famille dans un pays voisin du pays d’origine, il y a aussi la possibilité de faire venir sa famille sans le cadre de la réunification familiale. Enfin, lorsqu’on est réfugié, obtenir la nationalité française est plus rapide, et si l’impossibilité de retourner dans le pays d’origine devient un obstacle, le mineur peut toujours renoncer à sa protection.

Concernant le droit au travail, le statut de demandeur d’asile ne permet pas – sauf exception – de travailler, ce qui peut constituer un obstacle conséquent pour le mineur. En effet, cela rend difficile pour le mineur de conclure un contrat d’apprentissage, par exemple. Cela peut donc inciter certains jeunes à privilégier leur projet de formation. Cet obstacle peut tout de même être relativisé, car si l’autorisation de travail est accordée avant la demande d’asile, la procédure d’asile ne mettra pas fin à l’autorisation. La loi du 10 septembre 2018 a validé ce séquencement. De plus, il apparaît désormais dans la loi, que l’autorisation de travail est accordée de droit aux MNA pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Reste à savoir si cette disposition, applicable depuis mars 2019, primera sur celle plus générale qui restreint le droit au travail des demandeurs d’asile.

Des obstacles procéduraux peuvent également apparaître. Ces jeunes sont tenus de disposer d’un représentant légal pour formuler une demande : pour ceux qui ne disposent pas d’une tutelle du département, ils doivent disposer d’un représentant temporaire (les administrateurs ad hoc). Or le système d’attribution de représentants légaux, est défaillant sur de nombreux territoires.

Ces représentants ne sont pas nommés ou le sont, mais trop tardivement. De ce fait, une part importante des demandes d’asile enregistrées pour des MNA en préfecture n’arrivent pas jusqu’au stade de l’OFPRA, avant leur majorité : plus de 3000 demandes de mineurs non accompagnées auraient été enregistrées en guichet unique pour demandeur d’asile en 2018, et seulement 742 sont arrivées jusqu’à l’OFPRA comme demandes de mineurs. L’articulation entre la demande de titre de séjour et la demande d’asile constitue un réel enjeu car une orientation trop rapide vers la demande de titre peut bloquer la demande d’asile si le jeune se tourne vers les autorités consulaires pour obtenir un passeport nécessaire à la délivrance du titre. En pratique, il est parfois difficile de concilier les procédures d’asile et de détermination de l’âge.

Plus largement, le parcours d’entrée dans la procédure de demande d’asile pour mineur, manque de clarté et d’harmonisation à l’échelle nationale. Des lignes directrices devraient être proposées par le ministère de l’Intérieur pour que l’entrée dans la demande s’effectue dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire français. Des mesures pourraient également être prises par les autorités pour simplifier les démarches et permettre un accès effectif à la demande d’asile pour les jeunes qui le souhaitent. En tout état de cause, le jeune doit être informé des différentes possibilités qui s’offrent à lui dont la demande d’asile, afin de participer pleinement au choix à faire pour rester durablement en France. Le développement d’outils de formation et de sensibilisation, pourraient permettre une meilleure connaissance de cette problématique par les jeunes et leurs accompagnants.

Les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile en Europe

Le nombre de mineurs non accompagnés qui ont déposé une demande d’asile dans l’Union européenne (UE) a beaucoup varié ces dernières années. Leur nombre a augmenté de 315% en 2015, avant de chuter chaque année jusqu’en 2018 à 19 740. L’Allemagne, la Suède, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie ont reçu les plus grands nombres de mineurs non accompagnés demandeurs d’asile sur ces cinq dernières années. La grande majorité d’entre eux sont des garçons à 89% et ont entre 16 et 17 ans. Les principaux pays d’origine sont l’Afghanistan (3 200 en 2018, après un pic à 47 370 en 2015), la Syrie (1 345 en 2018, 17 240 en 2015), l’Irak (1 125 en 2018, 5195 en 2015), l’Érythrée (1 960 en 2018, 5 890 en 2015), et la Somalie (985 en 2018, 3 670 en 2015). Il est cependant difficile d’évaluer le nombre de mineurs non accompagnés qui ne sont pas inscrits dans des demandes d’asile, sous évaluant ainsi l’ampleur des besoins de protection et les vulnérabilités des mineurs non accompagnés dans l’UE. Selon un rapport des organisations des Nations Unies, près de 4 600 mineurs non accompagnés sont arrivés en Europe entre janvier et juin 2018. La majorité des mineurs arrivés en Italie et en Espagne étaient non accompagnés, respectivement 86% et 65%. La majorité des mineurs non accompagnés arrivants dans les États membres reçoivent un statut de réfugié ou de protection subsidiaire, incluant un permis de résidence temporaire. Certains États membres accordent des statuts alternatifs ou temporaires spécifiques à chaque pays, sur la base de critères médicaux ou humanitaires ou une forme de protection individuelle pour les mineurs non accompagnés victimes de traite des êtres humains.

(...)

L’UE a développé ces dernières années un cadre général de protection pour le droit des enfants, qu’ils soient accompagnés ou non, dans un contexte de migration. L’UE a notamment incorporé des dispositifs de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies de 1989. Le système d’asile européen commun prévoit également des dispositions spécifiques pour les mineurs (accompagnés ou non) notamment dans les directives Qualification, Procédures, Accueil, et Retour. D’autres instruments non législatifs ont également mis en place des lignes directrices pour garantir la prise en charge, la protection, l’intégration, et le (possible) retour du mineur non accompagné, tels que l’Agenda de l’UE sur les droits de l’enfant en 2006, le plan d’action pour les mineurs non accompagnés 2010-2014, les Conclusions du Conseil pour la protection des enfants en migration, la Communication de la Commission sur la protection des enfants en migrations en 2017, le plan d’action sur l’intégration des ressortissants de pays tiers en 2016, et le plan d’action sur le retour en 2017. Les autorités en charge des mineurs non accompagnés varient selon les États membres, mais les autorités locales joue toujours un rôle particulièrement important dans la prise en charge, la protection et l’intégration des mineurs non accompagnés et assument souvent le rôle de tuteur légal. Le rôle des associations est également central dans le soutien apporté aux mineurs sur le volet légal, social, psychologique, et culturel.

Deux défis sur la prise en charge des mineurs non accompagnés communs aux États membres ont pu être relevés dans l’étude du Réseau européen des migrations. En premier lieu, la disparition des mineurs des dispositifs de prise en charge ou suite à une décision de retour. Malgré le manque de données officielles, le chiffre est estimé à 10 000 enfants migrants et réfugiés disparus en 2017 après être arrivés en Europe selon Missing Children Europe, chiffre confirmé par Europol. Dans la plupart des cas, les mineurs disparaissent quelques jours après leurs arrivées (avant d’avoir déposé une demande d’asile ou un autre statut), soit parce qu’ils essaient de rejoindre un autre pays de destination finale et/ou parce qu’ils peuvent craindre une décision négative sur leur demande d’asile. Certains disparaissent suite à l’expiration ou le retrait de leur statut ou leur permis de séjour. Les cas de disparitions liés aux réseaux de traite des êtres humains sont malheureusement très peu documentés par les États membres. Les mesures prises par les États pour faire face à ces disparitions sont limitées. Les dispositifs de prévention consistent la plupart du temps à conseiller et informer le mineur sur les risques potentiels à sa disparition. Plusieurs États membres ont mis en place des procédures de recherche, des hotlines, des rapports d’incidents de disparitions transmises aux services de l’enfance, de l’immigration et de police.

Le deuxième enjeu identifié est le manque de personnel spécialisé et qualifié. Le rapport relève que beaucoup reste à faire sur l’accueil et le service de tutelle par une meilleure formation des praticiens pour garantir un même niveau de prise en charge dans toutes les régions d’un pays. La barrière linguistique est une problématique importante dans l’accès à l’éducation et l’intégration, souvent associée à un manque de moyens pour fournir des cours spécifiques. En outre, dans le cadre du projet européen Uprights coordonné par Forum réfugiés-Cosi et le Conseil européen des réfugiés et des exilés, le manque de connaissance des praticiens travaillant auprès des mineurs non accompagnés sur les procédures d’asile est également une problématique centrale dans la prise en charge et la protection de ces enfants.

Enjeux autour de la santé mentale des mineurs non accompagnés

L’arrivée quotidienne sur le territoire national de centaines de mineurs non accompagnés a mis à l’épreuve l’ensemble des structures médicales et sociales. Si on connaît le nombre de mineurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou formulant une demande d’asile, il faut avoir à l’esprit qu’un nombre important de jeunes, souvent en transit, échappent à toutes statistiques et dispositifs d’assistance.

Fuyant les conflits ou les conditions socio-économiques de leurs pays d’origine, ces jeunes ont en commun des parcours d’exil longs et émaillés d’épisodes de violences. Ils peuvent avoir démarré seuls leur voyage ou être séparés de leur famille au cours de leur parcours. Ils peuvent avoir été victimes de traite, d’exploitation sexuelle ou par le travail. Isolés, épuisés physiquement et psychiquement à leur arrivée, l’enjeu prioritaire est d’organiser un accueil à la mesure des besoins en santé et en sécurité. Dans un second temps, il s’agira de d’évaluer et de prendre en charge des problématiques psychiques propres aux traumatismes subis et à l’exil forcé à la période charnière qu’est l’adolescence. A plus long terme se posera la question de l’accompagnement social et éducatif de jeunes qui devront trouver des possibilités d’intégration dans le cadre du droit au séjour des pays d’accueil.

Les associations caritatives sont les plus souvent en première ligne de l’accueil. Il s’agit alors d’orienter, de renseigner et de pourvoir aux besoins de base. La question de l’hébergement et de la mise à l’abri pour les plus jeunes est une priorité. Dans l’attente d’une admission auprès d’un service d’aide sociale à l’enfance, les dispositifs d’assistance dépendent essentiellement d’initiatives privées ou bénévoles. En cas d’urgence sanitaire, en l’absence de couverture sociale, les jeunes arrivants relèvent des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) ou des permanences associatives ; leur statut présumé de mineur, sans représentant légal, peut poser de problèmes de responsabilité médicale en cas d’examen invasif. La demande de oins psychiques est le plus souvent repérée dans ce contexte d’insécurité matérielle et de stress de l’arrivée.

Phénomène relativement récent en santé publique, il existe un certain nombre d’études épidémiologiques sur l’état de santé mentale des migrants. Toutes révèlent la fréquence des états de stress post traumatiques (ESPT), des troubles anxieux et des symptômes dépressifs. En ce qui concerne spécifiquement les mineurs et leur état de santé globale, on peut se rapporter à un travail de thèse de 2015 portant sur 235 MNA. La pathologie psychique concerne près de la moitié des dossiers médicaux étudiés : ESPT, troubles anxieux, état dépressif, avec plusieurs gestes suicidaires, décompensations psychotiques.

Au centre de santé Essor, géré par Forum réfugiés-Cosi à Villeurbanne (69), une étude faite à partir des motivations de 30 demandes de soins médico psychiques émanant des structures d’accueil de l’aide sociale à l’enfance nous renseigne sur la symptomatologie d’appel et les parcours d’exil rapportés. Il s’agit de jeunes garçons de 14 à 17 ans, originaires principalement d’Afrique de l’Ouest, notamment la Guinée. Les troubles du sommeil, insomnie et cauchemars sont mis en lien avec les violences subies (emprisonnement, maltraitances physiques, tortures, viols, travail forcé), et les événements tragiques (naufrage, meurtre d’un des parents, décès d’un ami). Ainsi les traumatismes subis apparaissent en tous points comparables avec ceux constatés dans le public demandeur d’asile adulte. La symptomatologie constatée peut-être aussi invalidante dans le quotidien de l’assistance éducative : isolement phobique, agressivité, troubles du comportement, troubles cognitifs.

Dans ce contexte, la prise en charge d’adolescents vulnérables de cultures diverses, requiert des dispositifs et une approche spécifique croisant le soin médico-psychologique avec les sciences sociales et anthropologiques. Notre expérience auprès des jeunes exilés nous montre que la qualité de l’accompagnement social et éducatif est un élément majeur de stabilisation. C’est dans cet environnement que peut alors se penser un soin répondant à des souffrances singulières et dégagé, tant que possible, des enjeux administratifs.

De manière universelle, l’adolescence implique des transformations importantes dans le développement psycho-corporel, c’est aussi le moment d’élaboration, dans l’environnement social et affectif, des repères identificatoires. Face à ces adolescents « en mouvement », la proposition de soins psychiques doit être à la fois ouverte et contenante. Espace de transition, où pourrons s’exprimer dans un lien de confiance les sentiments d’abandon et de deuil, mais aussi de colère vis à vis d’un réel exigeant et parfois décevant. Faute d’assises psychiques stables, dans le contexte changeant du droit au séjour, le moment de l’expression des événements traumatiques est à ménager avec retenue au risque d’une aggravation des mouvements anxieux ou d’un effondrement dépressif. Les interactions avec l’assistance éducative, la marche obligée vers l’autonomie, peuvent elles-mêmes apparaître anxiogènes et en décalage avec le temps psychique nécessaire à l’investissement d’un avenir par nature incertain. En pratique, dans l’espace singulier du soin et avec les partenaires, c’est le rythme de chacun dans l’acquisition d’une responsabilité d’adulte et l’expression d’un projet de vie qu’il s’agit de respecter et de promouvoir. Alors, cramponnés à leur désir de vivre, ces enfants devenus trop rapidement adultes, ne cesseront de nous étonner par leurs ressources et leurs capacités à saisir les occasions que nous leur offrirons »

3 • Les changements apportés par la loi du 10 septembre 2018 en matière d’asile

Annexes

Bibliographie

Rapport annuel sur l’asile en France et en Europe 2019 disponible au format pdf ci-dessous :

Forum_réfugiés_cosi_état_des_lieux_asile_2019
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