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Décision 2023-226 du 7 novembre 2023 relative à des défaillances d’un conseil départemental dans la prise en charge et l’accompagnement d’une mineure pour laquelle il exerçait la tutelle, mère d’un nourrisson, puis dans sa prise en charge en tant que jeune majeure de moins de 21 ans et mère de deux enfants de moins de 3 ans

Publié le jeudi 16 novembre 2023 , mis à jour le jeudi 16 novembre 2023

Source : Défenseur des Droits

Voir en ligne : www.juridique.defenseurdesdroits.fr

Résumé :

« Le Défenseur des droits a été saisi de la situation d’une jeune majeure de moins de 21 ans, mère de deux enfants de moins de 3 ans, qui avait été confiée en tant que mineure non accompagnée par décision judiciaire à un conseil départemental, dont le président était son tuteur, se retrouvant sans prise en charge et sans ressources malgré sa demande de contrat jeune majeur.

Après instruction, la Défenseure des droits a relevé des défaillances du conseil départemental dans la prise en charge et l’accompagnement de la jeune femme, lorsqu’elle était mineure et mère d’un enfant, puis dans sa prise en charge en tant que jeune majeure de moins de 21 ans et mère de deux enfants de moins de trois ans.

Sur l’incomplétude du dossier détenu par l’aide sociale à l’enfance et l’absence de communication de ce dernier :

La Défenseure des droits a conclu que le conseil départemental avait manqué à ses obligations légales en n’établissant aucun projet pour l’enfant pendant près de trois ans, ni aucun projet d’accès à l’autonomie, et avait manqué de diligences et de rigueur dans la tenue du dossier de la jeune et de ses enfants, portant ainsi atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant qui lui était confié et dont la tutelle avait été déférée au président du conseil départemental.

La Défenseure des droits a conclu que le conseil départemental avait également manqué à ses obligations légales d’assurer à la jeune femme l’accès à son dossier détenu par l’aide sociale à l’enfance pendant plus de six mois.

Dès lors, la Défenseure des droits a recommandé au président du conseil départemental
- De communiquer à l’intéressée, sans délai, la copie de l’intégralité du dossier détenu par l’aide sociale à l’enfance, par voie dématérialisée ou en version papier ;
- D’élaborer le projet pour l’enfant pour chaque enfant bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance, dès le début de la mesure ;
- D’actualiser régulièrement le projet pour l’enfant afin que cet outil évolue avec les besoins de l’enfant et que les objectifs opérationnels et moyens fixés soient réajustés et adaptés en fonction des avancées réalisées avec le mineur et, le cas échéant, sa famille ;
- De veiller à ce que les projets pour l’enfant et projets pour l’autonomie intègrent comme axe de travail et planifient les démarches d’accès au séjour pour les mineurs ressortissants étrangers et ce, dès l’accueil du mineur ;
- D’adopter et diffuser rapidement des consignes concernant la tenue des dossiers en protection de l’enfance et le recueil d’informations essentielles et obligatoires pour assurer le suivi du mineur qui lui est confié, précisant notamment les modalités de transmissions de ces dernières entre les services de l’aide sociale à l’enfance et les structures d’accueil des mineurs ;
- De veiller à conserver la copie des dossiers de déclaration de nationalité française, copie des dossiers de demandes de titres de séjour ou copies des échanges avec les autorités compétentes, de veiller à en remettre copie aux mineurs ou jeunes majeurs que le conseil départemental accompagne ;
- D’envisager un audit de ses services afin de s’assurer de la teneur actuelle des dossiers des mineurs suivis par le conseil départemental ;
- De veiller, concernant les mineurs ressortissants étrangers pour lesquels l’accès au séjour se pose à la majorité, que chaque dossier contienne les éléments précis relatifs à la situation juridique et administrative ;
- D’organiser une information accessible et intelligible, de tout mineur ou jeune majeur accueilli en protection de l’enfance, de son droit de consulter le dossier détenu par l’aide sociale à l’enfance et les modalités de cette consultation ;
- D’établir un protocole définissant les modalités de consultation et de communication de ce dossier, lorsqu’un mineur ou un jeune majeur en fait la demande, et le diffuser à l’ensemble de ses services et des structures habilitées.

Sur l’absence d’accompagnement de la mineure en temps utile dans la reconstitution de son état civil et les carences dans l’accompagnement de cette mineure vulnérable en tant que jeune mère :

La Défenseure des droits a conclu qu’en s’abstenant de chercher un mode de garde pour son enfant, et malgré les alertes et demandes des équipes éducatives, le conseil départemental avait porté atteinte au droit à l’éducation de la mineure dont il exerçait la tutelle et avait entravé ses chances d’accéder au séjour à 18 ans, alors qu’elle était éligible à un titre de séjour mention vie privée et familiale.

La Défenseure des droits a conclu en outre que le conseil départemental avait manqué de diligences et porté atteinte au droit à l’identité de la mineure qui lui était confiée en raison de l’absence d’anticipation et de planification des démarches de reconstitution d’état civil.

La Défenseure des droits a par ailleurs conclu que le conseil départemental avait manqué à ses obligations légales d’organiser un entretien à 17 ans.

Dès lors, la Défenseure des droits a recommandé au président du conseil départemental :
- De réévaluer, tout au long de la prise en charge d’un mineur, l’adéquation entre le mode de prise en charge et les besoins de l’enfant, afin de proposer une prise en charge véritablement adaptée à sa situation et éviter ainsi que celui-ci n’ait besoin de se rapprocher d’associations caritatives pour assurer ses besoins fondamentaux ;
- De veiller, dès l’admission de tout enfant dans ses services, à vérifier l’état civil de ce dernier, à récupérer les documents d’état civil et d’identité le concernant et à ce que la reconstitution et/ou la consolidation de l’état civil des mineurs accueillis soit un axe obligatoirement développé au sein du projet pour l’enfant et au sein du projet d’accès à l’autonomie ;
- D’adopter et diffuser rapidement des protocoles concernant la reconstitution et/ou la consolidation de l’état civil des mineurs qui sont accueillis par les services de protection de l’enfance ;
- De prévoir des modules de formation continue pour les services de l’aide sociale à l’enfance et les structures de prise en charge de mineurs ressortissants étrangers afin que les travailleurs sociaux actualisent leurs connaissances en matière d’accès au séjour ;
- De prévoir le financement de modes de garde pour les mineures prises en charge à l’aide sociale à l’enfance devenues mères afin de leur permettre de poursuivre leur scolarité ou leur projet professionnel, d’insérer cet axe de travail au sein du projet pour l’enfant, d’adopter des protocoles précisant les démarches à effectuer en vue de mettre en place ces modalités de garde et listant les structures disponibles dans le département, et les diffuser rapidement au sein des services et structures habilitées ;
- De recenser rapidement l’ensemble des mineures prises en charge au sein de l’aide sociale à l’enfance qui auraient actuellement besoin de modes de garde pour leurs enfants.

Sur le refus persistant de reprendre en charge la jeune majeure de moins de 21 ans dépourvue de soutien familial et ressources financières suffisants, mère de deux enfants de moins de 3 ans, l’absence d’accompagnement vers l’autonomie et le droit au retour :

Au regard de l’absence de notification de décision écrite, motivée en fait et en droit, à la demande formulée par la jeune femme au titre de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles (CASF), la Défenseure des droits a conclu que le conseil départemental avait violé les droits de cette dernière et avait manqué à ses obligations.

Au regard des carences observées dans sa prise en charge en tant que jeune majeure et du refus persistant du conseil départemental de reprendre en charge la jeune mère et ses enfants, ne disposant pas des ressources financières et de ressources familiales suffisantes, la Défenseure des droits a conclu à une violation du droit de cette jeune majeure à une prise en charge en tant que jeune majeure vulnérable de moins de 21 ans et à une violation de son droit au retour.

Au regard du refus persistant d’accompagner la jeune femme et ses enfants, en tant que mère isolée de deux enfants de moins de trois ans, dans un contexte de violences alléguées du père des enfants à son égard, connu par le conseil départemental, et au regard des conséquences de l’absence de cette prise en charge pour les deux enfants, notamment sur la santé du nourrisson, la Défenseure des droits a conclu à une violation de l’intérêt supérieur des deux enfants et au droit de la jeune majeure de bénéficier d’une prise en charge en tant que mère isolée.

La Défenseure des droits a alors recommandé au président du conseil départemental :

- De proposer, sans délai, un accompagnement au titre de l’article L. 222-5 5° du CASF à l’intéressée en tant que jeune majeure de moins de 21 ans ne disposant pas de ressources familiales ou financières suffisantes, incluant notamment un hébergement au sein de la protection de l’enfance, adapté à sa situation et celle de ses enfants, la prise en charge de ses besoins, un mode de garde pour ses enfants et un accompagnement socio-éducatif pour cette jeune femme ;
- De proposer, en complément et sans délai, un accompagnement à la jeune femme et ses enfants en tant que mère isolée de deux enfants de moins de trois ans, incluant notamment un accompagnement à la parentalité, un suivi psychologique et un accompagnement en tant que victime de violences ;
- D’effectuer, pour tout mineur pris en charge à l’aide sociale à l’enfance, l’entretien à 17 ans ;
- De rappeler à ses services et aux structures habilitées les obligations du conseil départemental concernant l’accompagnement des jeunes majeurs de moins de 21 ans et le droit au retour et d’organiser, le cas échéant, des sessions de formation régulières et continues sur les droits des mineurs et jeunes majeurs accueillis en protection de l’enfance ;
- De rappeler à ses services l’obligation d’examiner toute demande de poursuite de prise en charge ou demande de retour de jeunes majeurs de moins de 21 ans et de notifier, en réponse, une décision motivée en fait et en droit ;
- De rappeler à ses services les obligations du conseil départemental en matière d’accueil et de prise en charge des femmes enceintes et mères isolées d’enfants de moins de 3 ans. »


Voir la décision au format PDF :

Décision 2023-226 du 7 novembre 2023