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La traite des enfants, une réalité en France

Publié le 26-05-2016

Source : www.lemonde.fr
Auteur : Gaëlle Dupont

« Aujourd’hui, en France, des enfants sont contraints à se prostituer, de mendier, de voler ou d’effectuer des tâches domestiques épuisantes. C’est pour faire connaître cette réalité que l’Unicef, l’association de soutien aux mineurs étrangers Hors la rue et celle de lutte contre la prostitution des enfants Ecpat France, organisaient, mercredi 25 mai, à Paris, une journée d’échanges consacrée aux enfants victimes de la traite. Le phénomène est clandestin, donc très difficile à quantifier. Les meilleurs connaisseurs du sujet sont les acteurs de terrain.

Même incomplet et centré sur l’Ile-de-France, leur constat est inquiétant. Vanessa Simoni, de l’association Les Amis du bus des femmes, évoque une « explosion du nombre de mineures prostituées depuis 2014 ». Une centaine d’entre elles, âgées en moyenne de 14 ou 15 ans et originaires du Nigeria, sont présentes à Paris. Elles sont venues par une filière active depuis vingt ans, mais qui concernait, auparavant, des majeures : des accords sont passés localement entre les familles des jeunes filles et celles des proxénètes, qui collecteront au pays l’argent de la dette de passage. Celle-ci peut monter jusqu’à 50 000 euros.

Fausses pistes

Des mineurs originaires de Roumanie, qui seraient deux cents à quatre cents à Paris, sont eux contraints à mendier ou à commettre divers délits : vols aux distributeurs de billets, vols de portefeuilles, de téléphones, arnaques à la charité, etc. « Ce sont des groupes très mobiles, très difficiles à approcher, relate Mathilde Archambault, de Hors la rue. Participent-ils simplement à la survie du groupe familial ou agissent-ils sous contrainte ? Pour le déterminer, il y a des indices, comme l’intensité du travail et le nombre d’enfants qui effectuent la même activité en même temps. » En 2014 et 2015, des groupes de quarante à quatre-vingts enfants agissaient ensemble dans le métro parisien.

Laëtitia Monnier, adjointe au chef de la section des mineurs du parquet de Paris, évoque l’émergence d’un nouveau phénomène. Selon la magistrate, « entre cinq et dix gardes à vue par jour » dans son ressort concernent de jeunes Algériens qui volent des téléphones portables. Ils n’ont aucuns papiers, seraient âgés de 14 à 17 ans et vivraient dans des squats. Bien que la justice soupçonne fortement l’existence d’un réseau de traite, les jeunes orientent les enquêteurs sur de fausses pistes. Il est donc très difficile de reconstituer leur parcours.

Tous leurs droits élémentaires sont niés

Le travail forcé est encore plus difficile à repérer. Les esclaves domestiques, surnommées « petites bonnes », sont exploitées à l’abri des regards. Le Comité contre l’esclavage moderne, qui a accompagné 145 personnes en 2015, relève qu’une partie d’entre elles arrivent mineures en France. Un trafic peut apparaître fortuitement.

En octobre 2015, un groupe de sept adolescents vietnamiens voyageant en compagnie d’un homme plus âgé a été découvert par la police, près de Calais. Ils ont été placés en centre de rétention. « Ils ne savaient pas où ils étaient ni par quels pays ils étaient passés », relate Alice Dupouy, de la Cimade. L’implication d’un réseau de traite qui alimente des fermes clandestines de cannabis au Royaume-Uni est fortement soupçonnée.

Les droits élémentaires conférés à tout enfant sont niés : droit d’être protégé de toute forme d’abus, d’aller à l’école, d’avoir des loisirs, d’être soigné, etc. Tous vivent dans une grande précarité. Beaucoup n’ont pas conscience d’être exploités, car ils n’ont connu que cette activité. Il est très difficile d’obtenir leur coopération afin de mettre en cause les auteurs de la traite.

Représailles sur les familles

« Le système repose sur l’isolement de la victime et la dépendance matérielle vis-à-vis de l’exploiteur, explique Bénédicte Lavaud-Legendre, chargée de recherche au CNRS. Ils n’ont pas de papiers, ne parlent pas la langue, doivent se loger, se nourrir… Même si leur environnement est malsain, ils s’y accrochent et protègent leurs agresseurs. »
Des représailles sur les familles restées au pays peuvent peser. Celles-ci sont parfois impliquées dans le trafic, en ayant consenti, voire encouragé, le départ. Dénoncer le réseau signifie alors rompre tout lien avec le passé. Quand ils sont placés dans des foyers de l’aide sociale à l’enfance, beaucoup de mineurs fuguent, ce qui les expose à rester victimes ou à devenir eux-mêmes organisateurs de traite.

Une expérimentation menée à Paris commence cependant à porter ses fruits. Elle est fondée sur le placement des mineurs dans des endroits éloignés de leurs lieux d’exploitation, afin d’empêcher toute pression du réseau, et comprend un accueil par des éducateurs spécialisés. Une quinzaine de jeunes Nigérianes victimes d’exploitation sexuelle en ont bénéficié. »

Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/societe/artic...