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Des mines du Burkina à sa tentative de suicide au tribunal de Paris : le périple d’A

Publié le 28-11-2018

Source : Le Point

Auteur : Marc Leplongeon

Extraits :

« (..)Vendredi matin, la scène a déclenché des hurlements au tribunal, quand le jeune homme, arrivé depuis quelques jours en France, après un périple de milliers de kilomètres à travers la Libye, la Méditerranée, l’Italie puis la France, a décidé de mettre fin à ses jours.

Sous les cris de dizaines d’avocats, de magistrats, de greffiers, de personnel administratif et de justiciables, A a enjambé le garde-corps du 4e étage du palais de justice, à douze mètres du sol, et s’est laissé tomber dans le vide. Un homme l’a retenu de justesse par un bras : « Ma main transpirait. Je glissais, je glissais. Je me balançais et je leur disais qu’ils n’avaient qu’à me laisser tomber. Je voulais pas blesser quelqu’un... » a-t-il confié au Point. La chute du jeune homme sera miraculeusement amortie par un avocat, situé au deuxième étage. A, qui souffre de quelques fractures, s’en est sorti presque indemne. L’appareil judiciaire beaucoup moins…

Dans les mines d’or à 8 ans

Car c’est bien pour dénoncer les anomalies de notre justice que le Burkinabé a choisi le nouveau palais de justice de Paris pour se suicider. Au Point et à Mediapart, il raconte être parti du Burkina Faso il y a environ onze mois. « C’était pas volontaire, c’était pas mon idée », dit-il. A explique avoir passé son enfance avec sa grand-mère, à travailler dans les champs, à « aider la famille à labourer ». Avant de partir, à l’âge de 8 ans, travailler dans une mine d’or avec le grand-frère d’une connaissance.

Il y restera plusieurs années jusqu’à ce qu’un jour, selon son récit, un chauffeur de poids lourd, qui conduisait un camion-citerne, lui demande de l’accompagner pour faire du commerce d’essence : « Le gars, il m’a dit de venir travailler avec lui, que ici [dans les mines d’or au Burkina, NDLR] c’était pas bon, trop dangereux. Je suis parti avec lui. Le premier jour, on est partis en voyage pour aller faire business en Libye. » Mais le camion aurait été victime d’une attaque, forçant A à prendre la fuite. (...)

(...)

Un périple de milliers de kilomètres

(...) Selon le document, que le jeune homme dit avoir caché dans la couture de son pantalon, A, est né le 28 novembre 2003. Il a 15 ans. Il a tenté de se suicider quelques jours à peine avant son anniversaire.

Un ping-pong administratif

(...)
Arrivé dans la capitale, A se déclare à la police, qui lui fait passer la nuit dans un hôtel. Le lendemain, le jeune Burkinabé se présente au dispositif d’évaluation des mineurs étrangers isolés de la Mairie de Paris (Demie), géré par la Croix-Rouge, près de Belleville.

L’organisme est chargé d’évaluer la minorité ou non des migrants qui se présentent à lui, via des entretiens oraux. Si le migrant est reconnu mineur, il pourra bénéficier de l’aide sociale à l’enfance. Dans le cas contraire, il redevient un migrant comme les autres. En cas de décision négative, le migrant a la possibilité de saisir le juge des enfants pour contester. A, lui, n’a pas eu cette opportunité : la Croix-Rouge aurait tout simplement refusé de l’évaluer.

« Il n’a pas été évalué, il n’est pas dans notre base », a d’abord affirmé au Point Thierry Couvert-Leroy, délégué national enfants et famille de la Croix-Rouge. Avant de reconnaître qu’il y avait « peut-être » eu un loupé à l’accueil, à cause de l’engorgement de ses services. Il arrive, en effet, certains jours, que le Demie voie débarquer près de 80 jeunes dans ses locaux. « Si effectivement il est très adulte, peut-être qu’on lui a dit qu’il était très adulte et que nous étions un dispositif de protection de l’enfance », lâche le responsable de la Croix-Rouge.

Une nuit dans un chantier à côté du palais de justice

Le Demie remet à A un papier avec l’adresse du palais de justice et lui conseille de s’y rendre. Le migrant prend donc le métro, arrive à l’antenne des mineurs du barreau de Paris, mais tombe sur un guichet fermé. Il est déjà tard dans l’après-midi. « Des Noirs que j’ai croisés m’ont donné trois euros pour manger. J’ai acheté une mangue avec de l’eau et je suis parti à côté du palais. J’ai vu un chantier, y avait pas les portes, y avait pas de gardien. J’ai dormi là-bas », explique-t-il.

« Le lendemain, à 8 h 30, je suis allé au palais parce qu’il faisait froid. Je me suis assis là-bas jusqu’à 14 heures. La femme nous a donné un biscuit à partager. Quand elle est venue ouvrir, elle a reçu les gens. Quand c’est arrivé à moi, je lui ai expliqué mon problème. Elle a envoyé un mail à la Croix-Rouge », dit A qui doit retourner au Demie pour être évalué. Sans cela, impossible de faire avancer la procédure. Le jeune Africain retraverse donc Paris, mais arrive une nouvelle fois trop tard. Il se rend donc à la police qui, une nouvelle fois, le fait dormir dans un centre d’hébergement d’urgence.

Le lendemain matin, au Demie, A vit le même cauchemar. « Quand je lui ai donné mon acte de naissance, le même monsieur qui m’avait dit d’aller au palais de justice me dit que ce papier [son acte de naissance, NDLR], on le donne à tout le monde, que ce papier n’a pas de valeur, qu’il ne signifie pas quelque chose. Il dit qu’il faut retourner au palais de justice. » A perd espoir.

Un acte de désespoir

La suite, il la raconte avec ses mots : « J’ai commencé à penser à toutes les choses qui m’arrivaient, que mes papiers n’avaient pas de valeur. Mes amis m’ont expliqué qu’ils étaient là depuis 9 mois, et qu’ils n’avaient pas vu le juge. J’ai eu peur de devenir un voleur. Je ne voulais pas agresser quelqu’un. J’ai pleuré, j’ai pleuré. Je me suis dit : tu ne peux parler à personne. Je me suis dit : tu vas te faire toi-même du mal, et je me suis dit que j’allais faire ça chez le juge. »

Il poursuit : « Je me suis levé, j’ai laissé mes affaires, j’ai pris le train, je suis arrivé au palais de justice. Je voulais pas finir dans la rue. Je suis arrivé au 4e, j’ai vu des policiers dans l’escalier qui arrivait au 6e. Je savais pas ce que j’allais dire, je voulais pas passer devant eux. J’étais au 4e étage et me suis dit, c’est pas important : ici, ça va. J’ai attrapé la vitre [il appelle “vitre” un garde-corps, NDLR], et un policier a attrapé ma main. Je voulais mourir, j’étais vraiment fatigué. Je ne voulais pas finir dans la rue. Ma main transpirait. Je glissais, je glissais. Je me balançais et je leur disais qu’ils n’ont qu’à me laisser. Je voulais pas blesser quelqu’un. » Puis Amen est tombé.

Aujourd’hui, le jeune homme est entouré. Une associative et plusieurs de ses amis, lui ont tenu compagnie tout le week-end et lui apportent beaucoup de réconfort. Deux avocats, Me Delanoë et Me Daoud, s’occupent de lui et entendent bien se battre pour ses droits. Selon nos informations, un test osseux aurait été pratiqué par un interne de l’hôpital et pourrait conclure à la majorité du jeune homme. Mais ces tests sont peu précis, pas très fiables et extrêmement critiqués. « Le fait qu’il soit mineur ou majeur importe finalement peu, prévient Me Emmanuel Daoud. Il ne faut pas en faire un argument pour banaliser ce qui s’est passé. C’est critiquable et absolument scandaleux. »

A, lui, se veut optimiste : « Moi, je veux commencer à vivre comme tout le monde. Je veux étudier et faire un métier. Je ne veux pas quelque chose d’autre. Je veux apprendre à lire et à écrire, aller à l’école, aider ma famille aussi, ma grand-mère. » Et il conclut : « Je voulais pas blesser quelqu’un. Je sais pas faire ça. » »

Voir en ligne : https://www.lepoint.fr/societe/tent...