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Migrations. A la frontière, la solidarité sauve

Publié le 26-04-2019

Source : ASH n°3108

Auteur : Maïa COURTOIS

Extraits :

«  Chaque nuit, des exilés tentent de rejoindre la France depuis l’Italie par des sentiers montagneux pour éviter le poste-frontière, synonyme de refoulements illégaux. Face au non-respect du droit et à l’urgence humanitaire, des associations ont mis en place une organisation solidaire inédite.

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Le domaine skiable qui s’étale entre la France et l’Italie marque le passage de la frontière. Il est le théâtre de la mise en danger des personnes migrantes qui cherchent à la traverser. Mais aussi celui de la solidarité de citoyens qui leur portent secours. Quelques heures plus tôt, dans le soleil de l’après-midi, une grappe de jeunes jouaient au football devant le refuge géré par des bénévoles briançonnais. Créé en juillet 2017 grâce à une mise à disposition de l’ancienne caserne CRS de secours en montagne, ce lieu, à deux pas de la gare, offre un répit aux exilés après leur traversée. Pour quelques nuits, le temps de retrouver des forces, ils peuvent s’y réchauffer, manger, recharger leurs téléphones. Il faut ensuite laisser la place à d’autres. Le refuge peut accueillir une vingtaine d’occupants ; parfois, cela monte jusqu’à cent. Ceux qui arrivent viennent majoritairement d’Afrique de l’Ouest, beaucoup de Côte d’Ivoire et de Guinée-Conakry.

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En montagne comme en mer

Dans la montagne, les personnes ne cessent d’arriver, à la nuit tombée ou au petit matin. Une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau sépare Clavière, côté italien, de Briançon. Des heures de marche dans la neige sont nécessaires pour contourner le poste-frontière. Les associations Refuges solidaires et Tous migrants concentrent la plupart des bénévoles maraudeurs, au nombre de 200 pour les plus réguliers. D’autres sont occupés à la gestion du refuge ou font de l’hébergement solidaire.

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« Il y a urgence humanitaire ! »

Comme presque chaque soir, les bénévoles se retrouvent dans leur local de maraude, où une carte de la montagne est dépliée sur la table en bois. Ils attendent les retardataires en avalant du thé. Les dernières consignes sont données. Ce soir-là, une dizaine de personnes se mettent en route vers le col de Montgenèvre. (...) Au volant sur la route qui monte en virages serrés, Patrick passe devant le parking où, une nuit de décembre, se sont regroupés près de 40 membres de Semences paysannes, association dont il fut salarié. Alors, 17 exilés avaient été secourus et descendus dans la nuit jusqu’à Briançon (...)

Chaque silhouette aperçue fait monter la tension. « C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin », lâche le père aux côtés de sa fille. Deux ou trois heures plus tard, les téléphones s’affolent soudain. Des exilés ont été trouvés. Sur le parking où tous les maraudeurs se rassemblent, deux grands jeunes hommes attendent un peu en retrait. L’un a l’air solide et attentif. L’autre, vêtu d’une grande doudoune blanche, cache son visage de son gant bleu. Patrick et Florence se chargent de ramener ces deux Sénégalais au refuge de Briançon. « Les autres, retournez-y, il y en a encore dix ! », presse une bénévole. Une association italienne a donné l’indication du nombre de voyageurs partis depuis l’autre côté de la frontière.

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En février, Tamimou, un jeune Togolais, est mort de froid sur le bord de la route entre le col de Montgenèvre et Briançon. En mai 2018, il y a eu Blessing Matthew, Nigériane de 20 ans, noyée dans la Durance après que son petit groupe a été surpris par la PAF. D’autres ont frôlé la mort, comme ces deux Guinéens tombés dans un ravin par peur de gendarmes cachés dans un tunnel. Les glissades, fractures et sauts dans la rivière pour échapper à ce que les associations nomment tantôt « course-poursuite », tantôt « chasse à l’homme » sont régulières. Depuis l’année dernière, quatre décès ont été répertoriés, côté français.

(...) « Mi-juin, on n’avait personne. Début juillet, il y avait 15 à 20 arrivées par jour. » A chaque tentative, les exilés prennent davantage de risques pour échapper à la PAF. « Ils prennent des chemins détournés et dangereux. » Les conséquences, en plus des gelures, vont « de l’entorse au décès ». Surtout, les exilés africains ont pour beaucoup été « torturés, abusés, battus en Libye ». Max Duez confie : « Les viols sur les femmes comme sur les hommes, ils n’en parlent pas, se sentent honteux, veulent préserver leur intimité… J’ai soigné des hémorroïdes pendant des mois sans comprendre ce que je faisais… » Des soignants ont mis en place une permanence d’accès aux soins mobile pour intervenir au refuge, avec un financement non pérenne de l’agence régionale de santé.

L’un des principaux sujets de préoccupation concerne les mineurs non accompagnés, que les personnels de l’hôpital de Briançon doivent amener, sur leur temps de travail, au commissariat pour leur déclaration. Le sort de ces enfants est au cœur des pratiques policières qui cristallisent la colère des associations. La PAF de Montgenèvre est accusée de systématiser les refoulements à la frontière « à chaud », c’est-à-dire sans possibilité de déposer une demande d’asile, ce qui est illégal. Les mineurs isolés n’en sont pas exclus. Or, en vertu des traités internationaux dont elle est signataire, la France a une obligation de protection de ces enfants. Tout mineur déclaré à la PAF devrait être pris en charge par le conseil départemental et, le cas échéant, par l’aide sociale à l’enfance.

Refoulement de mineurs isolés

Grâce à la venue, ce jour de mars, des élus écologistes Damien Carême, maire de Grande-Synthe, et Michèle Rivasi, eurodéputée, qui bénéficient d’un droit de contrôle, les portes de la PAF de Montgenèvre s’ouvrent. Face aux questions pressantes des visiteurs, l’adjointe au chef de service sort quelques documents de refus d’entrée en France. L’un d’eux, négligemment posé sur le rebord du bureau, attire l’œil. On y lit que le jeune s’est déclaré mineur, né le 2 février 2002. Or le refus d’entrée, synonyme de renvoi en Italie, porte la mention « Identité non vérifiée. Apparence physique de personne majeure ». Pourtant, la PAF n’est pas habilitée à évaluer l’âge des personnes. La fonctionnaire, jetant un coup d’œil en biais à ce papier, enjoint son collègue de le ranger dans les archives. A notre demande, et non sans avoir essayé de nous en présenter un différent, elle finit par le ramener. « C’est vraiment pour des personnes se déclarant mineures mais qui font plus âgées que moi », justifie-t-elle, en tentant un sourire entendu.

L’an dernier, à la PAF de Menton, des preuves de falsification des dates de naissance et de préremplissage de documents avaient été rapportées par des avocats, élus et associations. Devant nos yeux, un autre refus d’entrée porte une trace de blanc correcteur sur la date de naissance. « Notre travail quotidien est attaqué, certaines allégations nous font mal au cœur », regrette l’adjointe au chef de service. Entre les bénévoles présents et les fonctionnaires de la PAF, les constats sont opposés, le vocabulaire n’est pas le même. Là où les uns fustigent les refoulements illégaux, les autres affirment que leur local de police, point de passage soumis au rétablissement du contrôle aux frontières intérieures depuis novembre 2015, est dans la zone italienne. Les demandes d’asile émises à la PAF de Montgenèvre « doivent être transmises à l’Italie ». De toute façon, assure la fonctionnaire, « personne ne demande l’asile ici ». Les associations s’étranglent : « La loi ne s’applique pas à la frontière. Si on la respectait, les gens n’auraient pas besoin de se mettre en danger dans la montagne », clame Agnès Antoine, de Tous migrants. Aux refoulements « à chaud » s’ajoutent de nombreux témoignages de vols, menaces ou brutalités commis par les fonctionnaires de police.

Au sortir des locaux de la PAF, les élus et bénévoles rejoignent Clavière, en Italie, pour se rendre sur les lieux de l’ancien squat « Chez Jésus ». Ouvert en mars puis évacué en octobre 2018, celui-ci était situé au sous-sol d’une église. En faisant le tour de l’édifice, le groupe tombe sur deux jeunes hommes. L’un a l’air frigorifié. Les deux amis se cachent là, attendant la nuit pour passer la frontière dans la neige. Ce n’est qu’autour d’un café qu’ils racontent, par bribes. Les jeunes hommes ont fui la Côte d’Ivoire, sont restés bloqués quatre et sept mois dans l’enfer de la Libye. « Un ami nous a expliqué les chemins », glisse l’un, quand l’autre murmure : « C’est quoi, la ville la plus proche en France, de l’autre côté de la frontière ? » Les deux amis restent sur leur garde, hésitent à donner leur âge, semblent perdus. Ils n’ont pas enlevé leur doudoune depuis qu’ils sont entrés, le plus gelé a le menton enfoncé dans son col. L’équipe leur explique l’emplacement du refuge à Briançon, laisse un numéro, promet de revenir avec de bonnes chaussures et des gants avant ce soir. De l’argent leur est donné pour qu’ils puissent rester au chaud ici tout l’après-midi.

Mais lorsque les bénévoles ressortent du café, une voiture siglée « Carabinieri », la gendarmerie italienne, est postée juste en face. Deux agents surveillent l’entrée. Avaient-ils repéré le groupe ? La patronne du café les a-t-elle appelés pour signaler la présence de deux clients inhabituels ? Que faire pour éviter leur interpellation ? Comment les exfiltrer à la dérobée ? L’expression « jeu du chat et de la souris » utilisée par les associations prend là tout son sens. Les deux jeunes migrants paraissent pris dans une souricière. Une personne du groupe se souvient avoir vu, dans les toilettes, une porte donnant sur la cour extérieure. Elle entre seule dans le café, puis revient le long d’un mur, discrètement, avec les jeunes hommes, à l’insu des gendarmes. Les bénévoles les ramèneront au refuge italien d’Oulx, avec lequel ils sont en contact permanent. La pluie et le froid s’abattent en fin d’après-midi. Aux dernières nouvelles, les deux jeunes Ivoiriens avaient décidé de tenter la traversée le lendemain. »

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